Stones, 22 | oignons, pigeons et clarinette

50 histoires vraies concernant les Rolling Stones – un légendaire moderne


Je triche un peu, parce que le 22 mai 1953 c’est ma date de naissance et que Bill Wyman dit, pour ce premier jour où son père l’a placé comme magasinier à Penge : juste après Pâques.

Il est né en octobre 1936, il a 16 ans et demi.

Ce sont, je trouve, les plus belles pages de Stone Alone, le livre de Bill Wyman paru en 1990 et qui a été traduit dans tous les pays sauf en France : ce portrait d’une enfance dans une famille pauvre, avec la guerre et, encore pire, l’immédiat après-guerre.

Non pas, précisément, parce qu’il chercherait à nous apitoyer. Précisément parce que, chez les Perks, c’est le contraire.

Parce que la misère on n’en veut pas, et qu’on a pour ça une solution radicale : si tu sais jouer d’un instrument, tu trouveras toujours trois sous à te procurer avec. Comme son grand-père (cordonnier) et comme son père, Bill apprendra des rudiments de piano. Sa main est trop petite, on le fait passer à la clarinette. On n’est pas spécialement béni oui-oui : mais on sait ce que c’est que chanter juste, alors il fera chorale, enfant de choeur soliste, aube et surplis, baptêmes, mariages et communions parce que chaque fois c’est une pièce pour l’enfant de choeur, celui qui chante si bien.

Le grand-père avait un élevage de pigeons voyageurs, et avait gagné de nombreux prix. Les oeufs des pigeons sont servis au petit-déjeuner des enfants, et l’hiver, quand il n’y a pas de course, il peint ses meilleurs gagneurs, on décore la maison avec.

Le problème, c’est le père. Il a des idées formidables, seulement il n’a pas de chance. Comme tenter l’élevage de poissons rouges, tortues et canaris, qu’il vend sur les marchés. Mais un soir, leur propre chat dévore tout le fond de commerce, probablement par jalousie. Il essayera l’élevage de lévriers, ça craint moins les chats. Mais ils ont beau être maigres, les lévriers, ils mangent tout ce qu’il y a, les enfants n’ont plus que leurs yeux pour pleurer, le père vendra les lévriers. Ensuite, il ouvre un guichet de paris sportifs, ça semble marcher, mais son associé disparaîtra avec la caisse.

Alors on affronte la misère nue. Une brosse à dents pour toute la famille, qu’on trempe dans du gros sel. Un bain le dimanche, et Bill, l’aîné, passe en dernier. Pour quelques revenus complémentaires, ils épluchent des oignons pour les restaurants de Soho. À l’école Bill garde les doigts jaunes, et l’odeur : comment expliquer aux copains ? Alors oui, une rage de s’en tirer. Il finit l’école primaire dans les premiers, assez pour avoir une bourse et droit au lycée. On n’avait jamais vu ça dans sa famille. Cela veut dire traverser le quartier dans l’uniforme obligé. Les anciens copains se moquent ou le tabassent. Et quand ça s’arrange, au mois de mars de cette année de toutes les promesses, le proviseur un matin convoque l’enfant : il a reçu une lettre du père, qui a trouvé pour son fils un stage de magasinier, informe le proviseur que donc c’est fini, le lycée.

Bill Wyman ne pardonnera pas, ou du moins trouvera là de quoi encaisser pour tout le reste. Dès qu’il a l’âge, il devance l’appel, part en Allemagne. La musique a toujours été sa vie, et il a revendu sa collection de timbres pour un premier électrophone et cent aiguilles de rechange. En Allemagne, un copain de foot nommé Lee Whyman apprendra les bases de la guitare au jeune Perks, qui s’en souviendra quand il lui faudra choisir un nom. Et puis il voit Elvis et puis, au retour, dans un orchestre de variété, la première basse électrique.

Bill Wyman a quitté les Rolling Stones en 1993. Depuis, il n’apparaît plus sur les photos du groupe, les quatre titulaires. La semaine dernière, à New York, les Stones rabibochés une fois de plus ont répété pendant 5 jours – le projet d’un concert des 50 ans à l’automne, voire d’une tournée ? – ils ont invité Bill Wyman. — C’est comme s’il n’était jamais parti, a dit Ron Wood.

J’ai toujours eu un respect massif pour Bill (quand bien même il m’appelle the french Benny Hill, ce qui n’est pas d’un chic massif).


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1ère mise en ligne et dernière modification le 2 août 2012
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