Stones, 30 | des 43 oeufs au plat de Bill Wyman

50 histoires vraies concernant les Rolling Stones – un légendaire moderne


Qui s’interrogerait sur l’importance de la révolution Beatles et Rolling Stones pour ceux de mon âge, il faudrait répondre par les cheveux.

Quand Oldham prend en main les Rolling Stones, la première chose qu’il fait c’est de leur acheter des costumes : costumes pied de poule à col de velours. On est digne, on s’habille pareil. Charlie Watts sera le premier à oublier volontairement la veste pied de poule dans une loge. Et fameux le soir où Oldham apporte les costumes, puisque les Stones sont six, et que c’est ainsi, une veille d’émission télévisée, que Stu apprend qu’il est licencié. Licencié par Oldham, mais les cinq autres se taisent, acceptent.

Le surnom de Brian, dès cette époque : Mister Shampoo. Celui qui a les cheveux les plus longs se les coiffe en casque doré (vingt ans plus tard, on en avait un à l’usine, qui avait gardé ça à l’identique jusqu’en ses 50 ans, et qu’on surnommait bien sûr Casque d’Or). Keith a déjà l’habitude de se couper lui-même les cheveux, au mèche à mèche, dans les temps morts.

Les Beatles ont mis les cheveux sur le front à la mode, provocation délibérée mais bien peignée. Bill Wyman, en intégrant les Stones, a abandonné sa banane de rocker et c’est lui le plus mal empeigné des cinq. De même, dans les conférences de presse (on est avant l’établissement de la « Non Sainte Trinité » Oldham Jagger Richards pour tout diriger), c’est lui qui répond aux journalistes avec ce que la base militaire en Allemagne puis les trois ans magasinier et les bals lui ont appris à faire, et que ne savent pas les bec-jaunes : l’humour anglais à double tranchant, l’humour ouvrier à double tranchant s’ajoutent chez Wyman en humour à triple tranchant. Après, il n’aura plus le droit de rien dire, et les Stones ne seront plus drôles.

La révolution des fringues vient avec. On ose s’habiller en couleur, on ose avoir des chaussures à bout pointu.

C’est mal vu, et du peuple bien plus que de la bourgeoisie : très polie, la protestation de la fédération des marchands de cravate (« j’aime pas ça, ça trempe dans la soupe, dira Charlie Watts, et les fans peuvent vous attraper et vous étrangler »), ou la proposition de coupe gratuite faite en pleine page dans la presse par la fédération des coiffeurs.

Ce qui est dur, c’est quand, à l’aube, on s’arrête dans les restaurants de bord des routes (il n’y a pas encore d’autoroutes), avec les chauffeurs de poids-lourd qui commencent la journée, quand eux reviennent d’un concert à Birmingham ou Blackpool. Ou alors parce qu’ils surgissent déjà, frêles épouvantails colorés, d’une grosse Mercedes louée par Stu, plus la Humber de Brian, au lieu de l’humble van Volkswagen ?

Dans ce rade, on les a fait lanterner quarante minutes avant de les servir. Il y a quarante types que le jeu fait discrètement rire, ils observent, c’est tendu. Il y a les habituels chuchotis, pédés, pédés.

Le serveur finit par leur déposer les hamburgers et les Coca demandés. Il savoure sa victoire à quarante spectateurs. Les pédés, il les a traités comme ils doivent l’être.

Alors Wyman : « Vous servirez un oeuf au plat à chacun de ces messieurs. » Il dépose un gros billet. Il est père de famille, l’argent ça compte, on n’est pas encore dans l’abondance.

Il y a un code anglais, et Wyman le connaît. C’est offert, c’est payé, le loufiat doit s’exécuter et les routiers manger – plus le respect.

Et nous, on avait ce geste, les cheveux qu’on remet derrière l’oreille, d’un doigt, quand on entre au lycée, et le geste inverse quand on sort. La liberté qu’on a eue d’échapper à la loi des oreilles dégagées, de la nuque rasée, c’est aux quarante-trois oeufs au plat de Bill Wyman qu’on la doit.

Elle était pourtant bien timide, en cette fin 1963, la première audace des franges rebelle, multipliée par cinq puisque désormais on est un groupe.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne 11 août 2012 et dernière modification le 18 octobre 2012
merci aux 1099 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page