Stones, 34 | Robert Johnson, Love In Vain

50 histoires vraies concernant les Rolling Stones – un légendaire moderne


Combien de fois avoir prononcé ici, comme d’évidence, le mot blues ? Et cette phrase de Charlie Watts, une fois qu’il aimait bien ses collègues : mes copains de blues. Ou Keith Richards donnant cette leçon depuis le Reverend Gary Davis, ou Mick Jagger en concert privé pour son anniversaire à Moustique sur Dust My Broom...

Ou la toute première déclaration de Mick Jagger à Jazz News : I hope they don’t think we’re a rock’n roll outfit. Le blues donc comme grammaire, fondation, authenticité qui n’est bien sûr pas la leur, mais fut celle des fondateurs et qu’on importe avec la musique – beaucoup plus dur d’apprendre cette austérité du surgissement que l’art de faire des beaux solos.

C’est dès la cuisine d’Alexis Korner, quand Brian avant son installation à Londres reste pour dormir là où déjà Big Bill Broonzy et Muddy Waters ont dormi – Korner a été le premier à les faire venir.

Et toute leur carrière ils ne lésineront pas sur la dette : avec Howlin’ Wolf, avec Muddy Waters, ou plus tard Richards avec John Lee Hooker.

Mais à Robert Johnson, personne ne paye sa dette. Il a 27 ans quand il meurt, le même âge que Brian Jones (ou Morrison ou Hendrix, c’est Robert Johnson qui inaugure la malédiction des 27). Peut-être empoisonné pour une affaire de jalousie, après les 15 jours qu’il passe à Greenwood, Mississipi, à faire ce qu’il sait faire : le ballroom. Mais dans une vie intense et précaire comme il a eue, et le désert médical autour, pas forcément besoin. N’empêche, c’est bien sa mort qui créera ensuite la légende, et ses variations naïves, Faust révisé far-west. Ce qui n’enlève rien aux trois jours d’agonie, dans la souffrance de terribles crises convulsives, et la misère du musicien de génie, errant et abandonné.

Pas plus pour Robert Johnson que pour les autres, le génie ne surgit là comme ça un jour dans les doigts. Une famille instable, des déménagements, des changements de nom, un premier mariage (et veuvage) à 16 ans, un autre à 19 ans. À 20 ans, Son House qui est déjà un musicien confirmé dit que Johnson jouait très bien de l’harmonica (et donc vivait déjà comme musicien) mais était un très mauvais guitariste. Il y a ce voyage retour tout près de sa ville natale, Hazlehurst. Parce qu’à Robinsonville il y a Isaiah Ike ZImmerman qui est un guitariste de légende. On ne sait rien de plus, sauf que la technique de Johnson se révèle d’un bloc. Il aura huit noms, à mesure qu’il se déplace de ville en ville, ayant laissé sa jeune épouse et inaugurant dans chaque nouvelle ville une nouvelle brève relation qui contribuera à la légende, pour chaque départ précipité ou forcé.

L’instrument roi, pour danser dans les lieux bruyants, c’est le piano. Les guitaristes de l’époque, sur des guitares pas forcément puissantes, bien moins que celles d’aujourd’hui, mais d’un spectre sonore plus percutant, font de leur instrument un piano en réduction, avec les mêmes polyphonies de basse et d’aigus opposés. Un piano transportable, et beaucoup plus abordable. Ils sont des dizaines ou des centaines à faire danser comme ça, important même les techniques du ragtime : écouter ce géant et précuseur qu’est Blind Blake, mais qui n’a pas su appeler à lui la légende. Robert Johnson, pour les 6 ans qui seront toute sa carrière, est vite un musicien réputé : l’argent vient, la vie est facile, il part dans le Texas, puis le Kentucky, monte à Chicago et jusqu’au Canada. Quand il arrive dans une ville, il joue les musiques et chansons à la mode, et pas seulement son blues – de ses incursions dans le jazz et la country nous n’avons pas de trace.

Robert Johnson enregistrera un choix de son répertoire à San Antonio, Texas, le 23 novembre 1936 (voir Wikipedia-US), et un an plus tard à Dallas, au Texas. Six de ses disques sont distribués quand il meurt en 1938.

La première fois que Brian Jones fait écouter le disque de Robert Johnson à Keith Richards, il demande qui est le deuxième guitariste, celui qui fait les basses et accords, derrière. La technique de Robert Johnson est à la fois virtuose, et à la fois participe de ce côté très brut qu’on entend chez Leadbelly ou Big Bill Broonzy, de ceux qui d’abord installent le volume d’un piano pour tenir le rythme à échelle d’une salle de danse.

La localisation précise de sa tombe reste inconnue. Des morts on invente ce qu’on veut : trop belle était l’occasion de transporter, sur un carrefour perdu du Mississipi (et Crossroads est une des grandes chansons de Robert Johnson, il n’y avait qu’à transférer la chanson sur la vie, idem pour Me And The Devil Blues), un pacte par lequel la musique devient diabolique. Celle de Brahms l’était aussi, les deux hommes ont des ressemblances.

La question du destin hante régulièrement Watts et Richards, en tout cas lorsqu’ils atteignirent la soixantaine – à dix ans de plus, ils n’ont plus la même certitude aujourd’hui. Le musicien de blues meurt en jouant sa musique jusqu’au bout. Le musicien de blues est itinérant, il défie les moeurs, et fait humblement danser dans le bruit et la sueur des bars ouvriers des villes, des rudes dance room des cantons ruraux.

Lorsqu’il s’agit pour les Rolling Stones de se relever, après les errances psychédéliques de 1967, le procès pour drogue, la célébrité de pacotille qui mange tout, et donc de retrouver la sueur et la scène, c’est en traversant Robert Johnson qu’ils l’accompliront : Walkin Blues, ou Stop Breakin’ Down et bien sûr l’immense Love In Vain qu’ils transcendent, et sera d’abord signé Jagger-Richard sur Let It Bleed, avant de la restituer à son inventeur. Est-ce que Robert Johnson s’était jamais senti propriétaire de chansons pareilles à celles que Skip James ou Son House jouaient de façon presque identique ?

Et nous aussi continuons de lier en nous musique et nuit, ce qui serait le blues ?


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 15 août 2012
merci aux 2567 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page