la Terre est morte à Buffalo | pas sans prison

pour un ordre calme du monde


Toute ville a besoin d’une prison. C’était notre prison, la vraie prison. On l’avait voulue grande. Surtout, on l’avait voulue indestructible. Les prisons ne doivent pas uniquement séparer : elles doivent aussi protéger. Ils ont provoqué l’hostilité du monde, on les juge, mais l’hostilité du monde ne doit pas s’appliquer plus en retour. La prison était propre et très nette : nous n’aimons pas cette image de nous-mêmes que nous renvoient ces établissements, où c’est en notre nom que l’ordre s’exerce, s’ils sont sales et contreviennent à l’hygiène. De même on l’avait voulue opaque : dedans tout se voit, il y a caméras, barreaux et grilles. Autour, un double mur. Mais dehors, et dessus, cette géométrie. La prison est puissante. Elle est une lettre dessinée sur le sol comme sur l’épaule des hommes on marque la lettre qui exclut. Sur le plan de la ville, la prison – pourtant une grande prison, une prison avec même un site Internet semble juste cette croix de métal blanc qui raye la peau de la terre. Aurait-on, dans la ville, dix mille habitants pour la remplir ? Dix mille, c’était juste le noyau, les permanents – les autres, dans les prisons plus petites, qui répétaient celle-ci. On disait que cependant celle-ci était la seule à tournoyer sur son axe : qu’à la nuit des vérins l’élevaient et qu’ainsi elle tournait et tournait, avec ses dix mille locataires – que l’effet de centrifugation, espérait-on, était bénéfique, compensait la détention, préparait la réaccoutumance à un ordre calme du monde.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 5 mai 2010
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