la Terre est morte à Buffalo | il n’y avait pas de pourquoi

puisque même vivre ne se justifiait pas


Pourquoi, disaient-ils. Il n’y en avait pas, de pourquoi. Aucun pourquoi. On vivait là. On allait d’un endroit à un autre. Qui aurait compris pourquoi ici cette ville et pas ailleurs une autre ville ? Sauf que certains jours ici lourds, plus lourds que d’autres. Qu’on vous traînait. Qu’il y avait toujours à aller de là à là, mais qu’on vous renvoyait de là à là. La ville était immense. La ville était continue. La ville était trouée. Continue et trouée à la fois : des espaces qui n’étaient pas vides, puisque c’était de l’eau, du ciment, des arasements, des chantiers, des espaces qui n’étaient pas inutiles, puisque justement la jonction entre là et là, où nous passions : matin dans un sens, l’après-midi dans l’autre sens. Ces distances nous fatiguaient. Qui se serait arrêté là ? La ville se construisait à côté d’où déjà elle était ville : pourquoi aurait-elle pris la peine de se superposer à elle-même ? Alors voilà, on ne s’étonnait plus, on passait. Ville trouée, tu disais : on te répondait que non, que là aussi il y avait des traces, des signes, qu’on y travaillait, qu’il y avait une fonction. Ce qui manque, disaient-ils, n’est pas à cause de ces vides, ni de ces trous : ce qui manque, disaient-ils, c’est un pourquoi. Et moi je répondais comme on m’avait appris à le faire, par simple politesse, puisqu’aucun de nous pour la quitter, la ville : – Il n’y a pas, de pourquoi, aucun pourquoi, je répondais. Et souvent on s’en tenait là. À peine on y pensait, en roulant, tout du long, au pourquoi : n’était-ce pas la ville là, d’où on partait, et là, où on arrivait, à elle-même son propre pourquoi ?

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 5 mai 2010
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