Conversations avec Keith Richards | 12, la vie en gare

Arrivée Londres, brève attente salon VIP gare de Paddington.



Conversations avec Keith Richards
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THE GREATS ARE THE GREATS. YOU KNOW WHO THEY ARE. KR.

 

Si la vie est un tableau abstrait, me dit Keith Richards, alors choisis plutôt d’être le peintre.

Si le monde est une boule, me dit Keith Richards dans la gare, pense toujours au mec qui fait le bilboquet. (— Cup and ball, avais-je demandé ? Il m’a mimé... — you motherfucker frenchies really call it Bill Bucket, really ? Quand même, vous les Français s’est-il amusé ensuite...)

La vie est un mauvais film, me dit Keith Richards dans la gare, reste au fond dans les fauteuils et marre-toi.

Tes souvenirs sont des photographies, me disait Keith Richards dans la gare, quelquefois range le carton à chaussures dans ton placard.

Tous les types que j’ai croisés dans ma vie ont appuyé au moins une fois sur le bouton d’un appareil photo, m’a dit Keith Richards, eh bien moi non, c’est tout.

L’oubli est une survie, me disait Keith Richards, reste à savoir dans laquelle de tes bagnoles t’as laissé ton kit.

Je vois ma vie comme une gare, me disait Keith Richards, mais t’es jamais le voyageur aux mêmes heures.

Ceux qui t’ont expliqué l’ordinateur, me disait Keith Richards, ils ne pourraient pas m’expliquer à moi aussi ?

Il faudrait un Bo Diddley qui revienne chaque décennie pour nous montrer à nous tous le monde dans sa mécanique, me disait Keith Richards.

Dans la gare qu’est ta vie, me disait Keith Richards, compte les toi dans la salle d’attente, puis sauve-toi en courant.

Prends toutes les photos que tu veux, me dit Keith Richards dans la gare, tu verras toujours un côté et pas l’autre en même temps.

C’est sans doute un point commun à moi et Johnny Hallyday, me dit Keith Richards, mais probablement le seul (en tout cas dans mes notes ça vient à ce moment-là, mais je ne suis pas sûr que ça colle).

Ils voulaient me montrer comment danser, me dit Keith Richards dans la gare, je leur ai dit : tu vois le porte-manteau, là ? Ils n’ont pas insisté.

T’es assis tu regardes le film, me dit Keith Richards dans la gare, puis tu comprends que non c’est ta vraie vie : là tu trouilles.

Je ne sais pas si Johnny Hallyday s’est exprimé sur ses peurs, me disait Keith Richards : tu devrais le savoir, si t’es Français ?

Installe tes maisons comme tu fais de ta tête, me disait Keith Richards, en gardant toujours une pièce vide.

J’ai acheté des maisons comme on range ses souvenirs, me disait Keith Richards, quand t’en as marre tu fermes à clé et tu pars.

Le problème des trains c’est l’impossibilité de descendre en marche, me disait Keith Richards : la musique suppose toujours de descendre en marche.

Ils auraient bien voulu savoir pour qui je votais, me disait Keith Richards, j’ai toujours pensé Elvis, Elvis, Elvis, et...

Alors recommence, si t’as mal noté, me dit Keith Richards dans la gare : pense à Elvis et regarde les à-côté, les bouffons (jesters) – dans la vie, ne sois pas un bouffon : sois plutôt un Keith Richards, la différence n’est pas grande mais elle est déterminante .

Évidemment, que dans ta maison tu gardes une pièce vide, me disait Keith Richards, où est-ce que t’irait, sinon, pour réfléchir.

Si ta vie c’est une gare, me disait Keith Richards, regarde tous les toi qui sont venus pour le départ : et ça n’a jamais été le bon train.

Imagine tous les toi que tu portes ensemble dans un même train, me disait Keith Richards, et toi à l’arrivée qui les attends en rigolant.

Imagine tous les toi que tu portes ensemble dans un même train, me disait Keith Richards : jamais un qui parle aux autres, aucun.

Le seul apprentissage important dans la traversée de la drogue, me disait Keith Richards, c’est d’apprendre à vomir proprement — et ça vaut pour beaucoup d’autres choses.

C’est si je ne l’avais pas fait que je regretterais, me disait Keith Richards : quand survivre même est un étonnement — et ça vaut pour beaucoup d’autres choses.

On croit que ça vous fait voir de belles choses, me disait Keith Richards, non : juste que ça écrase ce qu’on n’a plus envie de savoir — et ça vaut pour beaucoup d’autres choses.

Si ta vie c’est un film, me disait Keith Richards, à qui t’en prendre si c’est pas la bonne histoire.

T’es dans la salle tu regardes le film, me disait Keith Richards, c’est là que tu vois comment les autres te regardent par derrière.

Il y a deux films, en fait, me disait Keith Richards, toi filmé dans ta vie et toi filmé dans la vie des autres.

Parfois dans le train je pense à mes morts, me disait Keith Richards, mais ajoutant : je ne prends pas souvent le train.

La vie en elle-même est un grand train, le train de Keith Richards, wagon réservé, me disait Keith Richards, ajoutant : peut-être pour ça que je n’en prends pas souvent d’autre.

La vie des autres est toujours un plus mauvais film que ton film, me disait Keith Richards, ajoutant : sauf le film d’Elvis, la vie d’Elvis.

Elvis qui peut le connaître vraiment, sauf Keith Richards et quelques-uns, me disait Keith Richards, ajoutant : Elvis probablement se connaissait bien, mais ça change quoi.

Si la vie d’Elvis est un train, mieux vaut ne pas penser à la gare d’arrivée, me disait Keith Richards, ajoutant : même si tu voyages en première.

Imagine un train à trois cents wagons, et dans chaque wagon un seul passager, tous regardant dehors la nuit qui file, me disait Keith Richards, ajoutant : et Elvis était chacun de ces passagers, tous les passagers.

Pour cela peut-être qu’il a tant engendré de sosies, et de concours de sosies, me disait Keith Richards, ajoutant : on n’a jamais vu de concours de sosies de Keith Richards, sinon les cimetières.

Pour avancer, aie toujours un maître, me disait Keith Richards, moi pour toi, et Elvis pour moi.

Le monde serait triste sans les bouffons, me dit Keith Richards dans la gare, c’est juste dommage quand ils veulent décider à notre place.

Prends tous les bouffons que t’as connus dans ta vie, me disait Keith Richards, mets-les dans le même train : t’imagines, la gare ?

Si la vie est une gare, me dit Keith Richards dans la gare, imagine toujours Elvis avec toi dans la salle d’attente : ça aide.

On n’habite jamais qu’une seule de ses maisons à la fois, me disait Keith Richards, pour le toi ou le soi c’est pareil.

Je n’aime pas les photographies de moi-même, me dit Keith Richards dans la gare, d’ailleurs en as-tu jamais vu une qui me ressemble ?

Elvis ressemblait aux photographies de lui-même, me dit Keith Richards dans la gare, mais c’était une construction : un maître.

Ne donne jamais aux autres que l’idée qu’ils ont de toi par tes photographies, me disait Keith Richards, et toi reste dans ta pièce vide.

Qui saurait, passant le matin dans une gare, que Keith Richards ici le croise sans qu’il sache, me dit Keith Richards dans la gare ?

Être à soi-même sa propre drogue, me disait Keith Richards, voilà qui pollue lourdement l’humanité tranquille.

Que trois accords mis ensemble sauront toujours vous balayer tout ça, qui s’en plaindrait, me disait Keith Richards — et toujours se souvenir que trois suffisent.

Qui c’est ce type déguisé en Keith Richards, qu’ils pensent, dit Keith Richards : alors tiens ta langue (mais je sais que tu la tiens, la preuve).

Quand tu sors du film et que tu repars dans la ville, me dit Keith Richards dans la gare, qui saurait que tu continues l’histoire ?

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 22 février 2013
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