Conversations avec Keith Richards | 13, du moi cadavre

Maison de Keith Richards à Weston dans le Connecticut (brève invitation, dans la bibliothèque – il joue de la guitare en parlant).



Conversations avec Keith Richards
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THIS IS WHO I AM. I DO WHAT I DO. DON’T TRY THIS AT HOME. KR.

 

Keith Richards m’avait dit : « Comment parlerais-je de la mort, si je ne l’ai pas crainte ? »

Keith Richards me disait souvent : « Ne demande pas aux autres d’aimer le cadavre de toi-même que tu leur montres. »

Keith Richards m’a dit à cet instant : « Écoute, là... (un temps) C’est Keith Richards qui joue, non ? »

Keith Richards disait : « Je fus à moi-même si souvent mon propre cadavre, ou la tentative de l’être. »

Keith Richards disait souvent : « On promène sur scène son corps cadavre, pour le droit de s’en retirer vivant ensuite. »

Keith Richards me disait aussi : « L’heure où tu deviens le cadavre, où tu hisses les paroles pour toi imprononçables. »

Keith Richards disait souvent : « J’ai connu le moi cadavre dès ce moment où le bruit de toi remplace qui tu es, pour tes proches même. »

Keith Richards me disait souvent : « Une façon de perdre son corps serait simplement de se glisser dedans, lorsque la musique est forte. »

Keith Richards disait souvent : « Le corps sait rugir avec l’époque, alors fais trois pas en arrière — avec lequel s’installera la vérité ? »

Keith Richards disait souvent : « Cette peau blême et usée qu’alors tu revêts, et qui devient ton visage : l’excès a fini, pas son fantôme. »

Keith Richards me disait souvent : « L’usure que nous portons au dehors, vous les intellos vous ne savez pas qu’elle vous mange au dedans. »

Keith Richards m’avait dit alors : « Regarde moi comme ton propre miroir, et sache les conséquences — je suis ta propre vérité. »

Keith Richards m’avait dit souvent : « Le repos nous rend plus blême encore, n’approche pas du toi cadavre, le rugissement vaut mieux. »

Keith Richards m’avait dit une fois : « Le moi cadavre est cette folie de se séparer de toi-même dans les voix que tu rugis pour d’autres. »

Keith Richards m’avait dit une fois : « Ne cherche pas délibérément le moi cadavre : il saura assez tôt te prendre — garde-toi de ta propre furie. »

Keith Richards disait souvent : « Le moi cadavre vous enfonce son poing en bouche, vous retourne la langue. Qui chante ? Lui. »

Keith Richards m’avait dit aussi : « Et vous les navets du mot (the words turnips), c’est par les doigts qu’il vous rongera, écris avec tes pieds pour durer. »

Keith Richards m’avait dit aussi : « Parfois, entendant Keith Richards jouer, je me dis que jamais je n’oserais jouer comme ça, jamais. »

Keith Richards avait dit : « Le cadavre de Johnny Hallyday (ou d’un autre, hein, c’est un exemple) est encore Johnny Hallyday. »

Keith Richards m’avait dit une fois : « Quand j’ouvre un livre, je ne lis pas : j’attends le moi cadavre de qui l’a écrit, qu’il sorte. »

Keith Richards disait souvent : « Livre ou chant, qui ne sait pas la dépossession de soi par son propre cadavre n’a pas commencé le chemin. »

Keith Richards disait souvent : « Ce moment où tout a fini, où rien n’est plus que décombre, la musique même, voilà ce que sera ton visage. »

Keith Richards disait souvent : « Qui m’aurait photographié à l’arrière de la scène, pendant que mon moi cadavre chantait en cuir noir ? »

Keith Richards me disait souvent : « La difficulté même où tu seras pour divulguer nos paroles sera la preuve du moi cadavre, le chanteur. »

Keith Richards me disait souvent : « Ils veulent que celui qu’ils rêvent dans les lumières n’ait pas plus de pensée que la leur, atrophiée. »

Keith Richards disait : « Je rentre dans la loge, j’enlève le cuir noir, le maquillage, alors je sens son souffle froid sur ma nuque. »

Keith Richards disait : « Les Rolling Stones ont toujours été maquillés sur scène. Personne pour en avoir relevé la signification profonde. »

Keith Richards me disait : « Au début je n’osais pas me perdre moi-même, le moi cadavre restait à distance, je chantais petit. »

Keith Richards m’avait dit : « Imagine seulement que tu couches avec lui, le cadavre. Et c’est chaque fois que tu t’endors. »

Keith Richards me disait souvent : « Sache ne pas le faire taire lorsqu’il chante dans le cuir noir, sous les lumières et sous ton nom, voilà de quoi tout dépend. »

Keith Richards me disait souvent : « Le regroupement thématique n’est pas forcément le plus indiqué pour ce que je dis là, à tâtons. »

Keith Richards disait souvent : « Rentre ainsi en toi une heure, au moment le plus faible du jour, et laisse-le dire lui, dents sans chair. »

Keith Richards me disait souvent : « Je te l’ai déjà dit, recopie tout ce que tu veux, mais dans mon dos, laisse-le devant moi, le cadavre. »

Keith Richards me disait souvent : « Crois-tu qu’on puisse s’aimer, quand on se sait ainsi mangé ? Et pourtant, là culmine l’apprentissage. »

Keith Richards disait souvent : « On a tous reçu cela d’un autre. Une main froide a saisi la tienne, un souffle froid a mangé ton souffle. »

Keith Richards me disait souvent : « Je n’ai rien à t’enseigner. Sinon que tous tes mots commencent à la prochaine note, et elle seulement. »

Keith Richards disait parfois : « Souvent je l’ai fui. Alors commençait la vie d’épave, qui m’a tant porté préjudice : on nous confondait. »

Keith Richards disait parfois : « Épave celui qui redoute d’être saisi par le moi cadavre, celui qui lui enseigne du dedans ce qu’est rugir. »

Keith Richards disait : « J’aimais les voitures rapides, et conduire seul, lui à l’arrière, qui enfin se taisait. S’en aller droit devant. »

Keith Richards m’a dit à cet instant : « Tu sais que tu es vivant, parce que la guitare parle seule. »

Keith Richards a dit ensuite : « Ce qui est paradoxal, si on y pense. »

Keith Richards disait parfois : « Ne pas confondre la mort idiote de ceux qui lâchent avec le moi cadavre qui te contraint à poursuivre. »

Keith Richards disait parfois : « Tant de potes enterrés, et chaque fois voir le moi cadavre couché sur eux, les embrassant pleine bouche. »

Keith Richards disait souvent : « Je ne supporte pas la vie banale, quand on dirait que ton moi cadavre tourne le dos et boude. »

Keith Richards disait : « On cherche des distractions, on achète des maisons, on prend des avions, qui donc pour croire à ce fatras ? »

Keith Richards me disait parfois : « N’encombre pas les autres de cette misère où nous rampons, nous qui cherchons, saisis du moi cadavre. »

Keith Richards me disait souvent : « Dans les distractions, on se perd soi-même — laisse-les s’imaginer que c’était l’alcool ou le luxe. »

Keith Richards disait souvent : « L’exercice du corps crée autour de toi un cercle plus grand, mais tu as plus forte capacité à sauter. »

Keith Richards me disait souvent : « Monter sur scène, et fixer le point noir — alors tu le sens, il te traverse, s’en va au devant de toi. »

Keith Richards m’avait dit une fois : « Rappelle-toi les leçons concernant le point d’assemblage. »

Keith Richards disait souvent : « L’abrutissement qu’on s’inflige à soi-même, juste pour savoir qu’au jour il y aura encore le moi cadavre. »

Keith Richards disait : « Ce qui nous a rapprochés, en fait : échanger un instant le cadavre qui ronge les mots, celui qui ronge le chant. »

Keith Richards disait souvent : « Le cadavre qui ronge ta bouche est celui qui t’autorise à grandir, mais n’autorise plus à te rejoindre. »

Keith Richards me disait parfois : « Avance de trois mètres et demande-les à lui, les mots qui nomment le moi cadavre. »

Keith Richards m’avait dit : « J’ai rêvé d’un cercueil. J’y couchais lentement le moi cadavre. Mais qui alors serait remonté sur scène ? »

Keith Richards disait souvent : « Je suis le cercueil de mon moi cadavre. C’est lui que je promène vivant, étonne-toi de ce qu’il croient. »

Keith Richards m’avait dit : « J’ai toujours pris le temps de trinquer à l’honneur de ceux qui avaient cru l’heure venue de me commander mon cercueil. »

Keith Richards m’avait dit : « Ils ne m’ont jamais posé les bonnes questions. Mais je ne leur aurais jamais donné les bonnes réponses.  »

Keith Richards m’avait dit : « J’ai beaucoup d’héritiers. Je les aime vraiment. Mais de quoi héritent-ils ? »

Keith Richards m’avait dit : « Mes héritiers ont hérité de mon grand défaut : la monnaie, à quoi ça sert la monnaie – dough is not of any use, just forget it : a right open G chord is of better value ? (ce que je traduirais par : – Un accord de sol vaut toute la fortune du monde, mais ce serait trop littéraire ?) »

Keith Richards m’avait dit : « Je te saisis pauvre type de rien, main à mots, parce qu’ils ne savent pas le cadavre derrière qui rugit. »

Keith Richards m’avait dit : « Je serais seulement sensible à une fidélité, une précision : qu’on entende le silence, et le cadavre. »

Keith Richards m’avait dit : « Cherche en toi, dans tes peurs, tes insomnies, les rêves où on crie, tes livres mêmes : où, le cadavre ? »

Keith Richards m’avait dit : « À trop parler du cadavre, on le pourrit. Tâche seulement qu’il te traverse. Sache ta peur celle des autres. »

Keith Richards m’avait dit : « Le moi cadavre c’est moi en mort, on se connaît et c’est pour ça que je suis vivant. »

Keith Richards m’avait dit : « Le moi cadavre, tue-le avant de prétendre être toi-même. C’est ce que moi j’ai fait. »

Keith Richards m’avait dit : « C’est ce que tous les matins j’ai fait. »

Keith Richards m’avait dit : « Si ce n’était pas qu’il ricane et revient. »

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 22 février 2013
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