c’était ramper

autres rêves en terre


C’était ramper. J’avais une combinaison spéciale, de tissu épais, qui ne craignait pas l’usure, la salissure, le frottement. Les parois étaient rêches, d’un gris terne, mais propres. Quelques insectes, la traces d’autres parasites, mais pas leur présence. J’étais là depuis longtemps. Il me semblait garder une direction générale. Ce n’était pas facilement évaluable. On ne sait pas comment on se retrouve ici : de quel lieu de la ville, ou de votre propre chambre. Si c’est une catastrophe, ou un rêve. Reste qu’on est vêtu de cette combinaison, qu’on rampe, et que le sentiment qu’il faudrait se hâter vous ne pouvez ni le justifier, ni y échapper. Il y a peu de lumière : comment y en aurait-il ? Mais on s’est habitué à la pénombre, on perçoit les parois : une section rectangulaire, les épaules passent facilement, même si on ne peut pas relever la tête, et on prend vite cette façon d’onduler qui permet d’avancer. C’est aux changements de niveaux qu’on hésite : des ouvertures rectangulaires, parfois fermées d’une trappe. J’en ai poussé bien souvent, de ces trappes métalliques, pour avancer. Quelquefois c’est monter, quelquefois c’est descendre, sans choix. D’autres fois, la possibilité de monter, ou de descendre. Et comment savoir si ici on est sous le sol ou au-dessus ? J’ai choisi de plutôt monter. Idem pour les bifurcations : parfois pas le choix, on bifurque à la perpendiculaire gauche, ou la perpendiculaire droite. Pour cela que je dis : le sentiment global que j’ai, d’avoir conservé une direction générale, après tant et tant d’heures comment j’en serais sûr ? Et parfois c’est comme un défi ironique : que perdez-vous en choisissant le chemin de gauche, que perdez-vous en choisissant le chemin de droite ? Parfois, rayé avec un gravier – et une fois à la craie – près de ces intersections, un signe. Quelqu’un est passé avant vous. Mais quand ? Hier, une année, un siècle ? Ou une marque de fabrique, puisque ces chemins il a bien fallu les couler, les creuser, les bâtir. Et même si réservé à votre propre usage, pourquoi pas dès la conception un signe pour vous tromper ? Alors on essaye de ne pas réfléchir : vous tromper pourquoi, sinon vous perdre, et qu’il n’y a pas d’issue. L’épuisement je le sens. Cette poussière qui aggrave le manque d’eau. Cette douleur maintenant dans les coudes, les bras, le cou, les hanches. Cette infinie sensation d’étouffement parce que toujours cette même section horizontale où ramper est certes possible, mais se relever, s’asseoir, se mettre sur le côté, non. Parfois on imagine un terme : il y a forcément un terme ? Une salle plus haute où se reposer, s’asseoir, avec un robinet, un indice, un plan. Ou bien, si on débouche, on trouvera quoi : l’air, une ville, un monde perdu, un souterrain où d’autres, arrivés avant vous, attendent ? On y aurait pensé au tout début, est-ce que simplement il n’aurait pas fallu faire marche arrière ? Mais c’est bien trop tard maintenant. Et de cet instant où tout a commencé, si peu de souvenir : ça aurait été possible, seulement ? Il y a si longtemps que j’attends ce terme. « C’est une question de survie », se dit-on, on se dirait quoi d’autre ? Et donc on rampe. Je rampe.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 7 août 2009
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