creative writing | de l’expansion d’une histoire simple

dans cet exercice, Malt Olbren nous familiarise avec l’idée que la composition du roman n’est pas linéaire, mais comme un germe qui pousse en relief


Malt Olbren, A creative writing no-guide
sommaire général.

 


 Outils du roman, sur les pistes et exercices du creative writing à l’américaine, par François Bon,
d’après le légendaire Creative Writing No Guide du non moins légendaire Malt Olbren...
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« Si gros que soit le livre, c’est toujours un mot après un autre », chacun connaît le proverbe.

Proverbe ayant d’ailleurs été inventé plutôt pour les longs voyages à pied dans la Chine antique, mais un voyage à pied pour découvrir un pays inconnu est-ce que ce n’est pas le plus beau des livres ?

Alors l’écrivain vient à sa table de travail, tôt le matin si c’est un écrivain du matin, tard le soir si c’est un écrivain du soir, dans le milieu de journée si c’est un écrivain de rien, reprend son travail de la veille et se dit : « à moi, j’écris la suite ». Et que ça ne marche pas comme ça, jamais.

On ne construit pas ces stratégies-là d’avance. Tu apprends à te connaître rétrospectivement, et quand tu connais tes habitudes de travail, le mieux c’est de te forcer à en changer.

Ce sont des rythmes biologiques, peut-être cinq à six heures sur douze à quatorze jours, et puis refaire les forces. Va voir cela de près chez les écrivains qui sont les tiens.

Tu es prêt, tu écris un premier jet : grande chance que le premier jour il soit bouclé. Appelons ça l’unité immédiate. À toi de savoir ou de définir comment se place l’unité immédiate dans le projet global : un chapitre, l’ébauche de sa short story tout entière, l’intuition globale du livre, ou juste un moment dans l’architecture générale ?

À toi de savoir ou de définir ce que tu comptes faire de ton unité immédiate : le lendemain, tu en accumules un autre et ainsi de suite tout le temps que tu auras souffle et que la veine sera ouverte, et c’est ensuite que tu reprendras le chantier global, ou bien tu pousses celle-ci jusqu’à ce qu’elle soit définitive ?

Leçon de Malt Olbren pour son no-guide : sache seulement qu’il n’y a pas de hiérarchie. Sache qu’on trouvera dans la bibliothèque, les correspondances, les journaux, les exégèses, autant de postures pour l’écriture de grands, très grands livres, que tu peux en définir là dans ta tête pour ton unité immédiate.

Quel auteur de théâtre déclarait récemment qu’il se disciplinait à n’écrire qu’une seule réplique chaque jour, fût-elle le seul mot Oui.

Apprends à seulement à penser en termes de temps et de stratégie dans le temps, plutôt que texte et combinaison de textes. Et souviens-toi de cette phrase pour quand tu la comprendras.

Apprends aussi, c’est moins évident que de le dire, à te défier des étagères où tu dois ranger ton texte : revue ou magazine, livre ou pas livre, ou lecture ou plateau, ou la seule publication en journal et pourquoi pas sur site Internet (NdT : Malt Olbren est disparu avant l’âge des blogs, pour notre regret). Il faut retirer à ton texte, dans le moment du premier retravail, toute question relative à sa destination.

Tout cela réglé, tu as choisi. Peut-être que le lendemain matin tu seras reparti dans l’unité immédiate suivante, peut-être que le lendemain matin tu reprendras celle-ci jusqu’à l’étarquer au définitif. L’unité immédiate est toujours arbitraire : tel va te dire qu’il boucle ses 5 000 mots et tant pis si cela le contraint à rester à sa table jusqu’à 11h du matin ou 3h l’après-midi, n’est-ce pas chez Robert Louis Stevenson notre aîné vénéré, d’autres comptent en pages de leur bloc, et d’autres diront que s’ils ont écrit une réplique (cela peut se révéler décisif pour le théâtre) ou un paragraphe ils s’en tiennent là. Et d’autres font tout le contraire de ce que je raconte : l’unité immédiate est la phrase, avancée lentement, propre et claire, et on la met sans rature à la file après la précédente sur la grande feuille à l’encre bleue, utilisée sans marge.

Vient l’exercice. L’exercice c’est d’apprendre à obéir : que veut de toi ton texte ? Et que peux-tu retourner de tes forces contre ton texte même ?

Cela suppose qu’hier vous avez écrit quelque chose. Non ? Alors revenez demain me lire avec un texte du jour, long, pas long, peu importe. Vous êtes de retour ? Alors exercice : votre texte est sur une page de cahier ? Déchirez la page, posez la page enlevée devant vous, et recopiez sur la page blanche, puis déchirez la première version. Vous disposez d’une sortie imprimante de votre texte ? Effacez le fichier initial, ouvrez un nouveau fichier et recopiez intégralement le texte. Dans les deux cas, une fois fini, recommencez l’exercice.

Je ne me moque pas, je n’ai jamais été plus humble. C’est une technique de travail essentielle. Vous rodez, vous lissez, vous augmentez. Ce qui vous fatigue à recopier, vous l’oubliez.

Alors, où en est maintenant votre texte ?

Et savez-vous ? Le mois prochain, vous vous donnerez comme contrainte de continuer le texte sans relire ce qui fut écrit la veille.

Et savez-vous, le mois suivant le mois prochain, si c’est une page de cahier vous la collerez au milieu d’une feuille bien plus grande, si c’est une sortie imprimante vous la réduirez pour laisser des marges bien supérieures, et pour chaque page vous vous donnerez la contrainte de quinze flèches noires (j’appelle ceci exercice de la flèche noire) partant du texte vers le blanc avec développement d’un complément ou annotation.

Dans tous les cas, ce que nous nommons ici votre unité immédiate aura progressé dans l’intérieur de ses bords mêmes, dans l’intérieur de sa clôture d’une brique de base du texte futur (ou le texte lui-même, si ce que nous décidons d’appeler short story est un bloc en soi), aura trouvé sa radicale indépendance de langue, ignorant tout ce qui n’est pas elle.

Dangereux pour le livre ? Que non. J’affirme et maintiens que notre propension à l’unité, à l’uniformité, à la continuité, est toujours une pression mille fois plus forte, mille fois plus annihilante.

Enseignant responsable d’un cycle de creative writing, je sais proposer des exercice pour une logique de continuité du texte, il y en a au moins un dans ce livre, mais ma tâche est former avec décision, avec autorité, à l’apprentissage de la discontinuité.

Que, dans un même paragraphe, chaque phrase n’ait qu’elle-même pour horizon et pour référent, et cela sera gagné. Indépendamment de toutes chevilles rhétoriques volatilisées au passage. Que, dans un même texte, chaque paragraphe n’ait pas connaissance du paragraphe écrit avant lui, ou du paragraphe écrit après lui. Que, chaque réplique de dialogue tienne comme phrase complète, sans appel à celle qui la précède, et celle qui la suit.

Martelez-vous le paragraphe précédent, recopiez-le à la bombe à peinture sur le mur qui fait face à votre table de travail. Et vengez-vous sur une photographie de Malt Olbren posée à cette intention si cela vous déplaît, mais faites-le.

Et puis maintenant, maintenant seulement, revenez aux livres qui pour vous sont les livres qui comptent. Quelle est, dans leur composition, ce que nous avons ici nommé notre unité immédiate ? Pas besoin d’aller se référer à la vie de l’auteur et ses habitude de travail : lisez le texte, n’importe quel texte, comme architecture et composition discontinue. Là-même où le livre, ou l’histoire, se présente comme bloc continu, retrouvez les failles et marques et ruptures de la composition discontinue. Faites l’effort sur chacune de vos lectures pendant deux semaines. Prenez les livres marquants de votre bibliothèque, examinez les paragraphes, lisez les points qui séparent les phrases. Faites cela continûment, volontairement, opiniâtrement.

Deux semaines plus tard, vous lirez définitivement autrement.

Et vous aurez appris une des clés de la confiance à écrire : qu’est-ce qu’un livre ? Juste la composition brique à brique de ce que vous aurez trouvé là, dans cette phrase, dans cette page. Et rien de plus.

« Si gros que soit le livre, c’est toujours un mot après un autre » : est-ce que je ne devais pas vous parler de ce proverbe ? Ce sera pour une autre fois. Ou alors, ainsi c’est fait.


responsable publication traduction © François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 31 mai 2013 et dernière modification le 11 avril 2014
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