creative writing | et alors il est où, le dialogue ?

un exercice basique de Malt Olbren sur le dialogue, parfaitement représentatif de sa méthode : ici le romancier contraint ses personnages à se taire, et on comprend tout


Malt Olbren, A creative writing no-guide
sommaire général.

 Outils du roman, sur les pistes et exercices du creative writing à l’américaine, par François Bon,
d’après le légendaire Creative Writing No Guide du non moins légendaire Malt Olbren...
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Ah mes amis, le dialogue n’est pas facile dans la vie, même avec nos plus proches. Tant de choses incarnent le dialogue auquel les paroles ne donnent pas accès.

Paradoxe du dialogue : rien de plus immédiat dans l’échange oral, rien de plus présent au premier niveau du récit, et rien de plus funambule pour les artistes de cirque que nous sommes.

Avez-vous vu l’aisance du jongleur tandis que les balles gravitent autour de sa tête et de son dos ? Rien que du naturel. Il suffirait de prendre sa place, et on en ferait autant, sans problème.

Seulement voilà, ça ne marche pas comme ça.

Enquêtez : quiconque vient enseigner l’écriture a son propre exercice fétiche de dialogue. On peut même considérer, s’agissant du jonglage absolu, qu’un seul exercice n’est pas suffisant, et de loin.

Et puis à ses étudiants on ne peut pas toujours servir le même, alors qu’on doit constamment, dans un nouveau cycle, venir de nouveau appréhender le dialogue. J’ai donc cinq exercices d’approche, et voici le premier.

Demandez à un ami acteur s’ils ne font pas cela régulièrement, dès le conservatoire (NdT : ici drama class, et plus loin acting school), puis ensuite, lors des répétitions. Demandez à un ami chanteur s’il ne fait pas cela régulièrement : le pianiste ou l’accompagnateur jouant exactement toute la musique, et lui concentré sur la respiration, l’imaginaire de la chanson, mais… Sans parler la scène pour les acteurs, sans émettre un son pour le chanteur.

Et vous ne voyez pas ce qu’on en déduit pour l’écriture ?

Allons, allons… Bien sûr que si, vous voyez. C’est juste que vous n’avez pas trop envie d’écrire. Exercice aride, austère, ingrat, inflexible, sévère, disgracieux, pénible, rébarbatif, rebutant : difficile, en somme.

Alors repensez au jongleur, souriant tranquillement tandis que tournent ses balles : combien il en a ramassé à terre, après ses premiers exercices ?

Et puis ce n’est pas si terrible que ça, ce que je vous propose.

C’est juste que je ne peux pas vous aider. Prenez un travail déjà en cours : juste sur son bord, sans venir interférer avec ce que vous fabriquez de beau, on va développer un fragment de scène. Le récit initial n’est là que pour vous aider à la trouver. Qu’elle ne soit pas un objectif central. Qu’on l’aborde comme quelque chose qui vient compléter une marche existante vers un but précis, qui ne sera pas dans cette histoire.

Et si pas d’idée, tant pis, vous en voilà une : balayez à rebours vos derniers jours et trouvez un moment de tension. Essayez qu’il ne soit pas seulement à deux personnages mais en agisse trois ou cinq. Peu importe la durée de la scène.

Et c’est fini pour le mode d’emploi. Vous me jouez la scène comme vos amis du conservatoire, ou comme le chanteur dans sa répétition – tout se fait bouche cousue. À vous le style indirect. À vous tout ce qui bouillonne dans la tête. À vous la description des visages, du temps qu’il fait, du vent qui fraîchit et de la musique qui passe. À vous de lever la tête vers les immeubles, à vous les téléphones et les silences.

La seule condition : que jamais une parole ne soit dite par un des personnages, du moins qui soit retranscrite dans le texte. Ce qui signifie, incidemment, que le texte rapporte indifféremment les choses tues et les choses dites. Mais il y a une vitre, vous n’entendez rien, lors même que vous apercevez l’intérieur de la bouche criant ou hurlant ou chuchotant ou murmurant, ou simplement béant de surprise, comme de l’autre personnage vous voyez le geste à deux mains de se boucher les oreilles.

Et alors, quel rapport avec le dialogue, si on n’en écrit pas, de dialogue ? Ça, c’est mon secret, et ma prérogative. Mais on en reparlera dans cinq ou dix ans, si, à chaque fois qu’entre-temps vous aurez eu à écrire la moindre bribe de dialogue, vous n’ayez pas repensé à la scène muette, vous ne vous soyez pas joué, sous la parole dite – avec le téléphone, le vent, les immeubles – la scène sans paroles.

Et puis, mes amis, qui a écrit :

We sit and talk quietly,
with long lapses of silence,
and I am aware of the stream that has no language,
coursing beneath the quiet heaven of your eyes, which has no speech.

Cela n’aurait rien à voir avec notre exercice, et notre élévation dans la vision des choses humaines ?

The only realism in art is of the imagination.

Disait aussi William Carlos Williams, que vous négligez bien trop depuis le lycée, mes chers, à vouloir marcher vers la fiction en oubliant que la parole est évidemment en toute écriture unique et même.

Alors, on y va ?


responsable publication traduction © François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 4 juin 2013
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