routes qui s’en vont droit, tout droit vers nulle part

de si les routes en pays plat doivent conduire quelque part


On les voyait, les routes, qui partaient.

Pourquoi auraient-elles dû s’infléchir, ou bifurquer ? Elles allaient là-bas, chercher le bout du pays plat, elles y allaient droit.

On pouvait rapprocher cela de la question de savoir « pourquoi la nuit est noire » : s’il existait une ville, tout là-bas, de l’autre côté, comment la route qui d’ici partait droit pouvait avoir chance de la rencontrer ?

Probablement tombaient-elles sur une côte, un canyon, une montagne.

Les routes droites qui partaient nulle part renforçaient l’idée qu’on habitait cette ville : on partait, on roulait, on roulait longtemps – et puis venait le temps qu’on s’arrêtait (des haltes avaient été ménagées, avec de l’essence, des sandwiches, du café), et puis on revenait.

Les routes droites qui s’en allaient sur le pays plat n’allaient nulle part.

Comme elles nous étaient nécessaires, pourtant, comme elles étaient pour nous les fils qui nous rattachaient encore à la terre.

On disait que parmi elles il en existait une plus étroite, et que ceux qui la trouvaient pouvaient se faufiler vers d’autres mondes, d’autres villes. Mais ceux-là ne revenaient pas pour nous en donner la carte.

D’aucuns comme moi se suffisaient de monter là, à l’observatoire, et de les regarder se perdre au lointain : la route qui ne mène nulle part est en elle-même une ouverture, un possible.

Puis nous redescendions dans la ville, ses moteurs, ses sirènes, ses toits et ses chambres, notre ville aux rues trop larges, notre ville aux rues grises, aux visages rapides dans le vent, qui nous enlevait même les paroles.

Notre ville.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 27 octobre 2013 et dernière modification le 4 novembre 2013
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