livres qui vous ont fait | L’Enfermé, vie de Blanqui par Gustave Geffroy

« Enfoncés, les Romantiques ! »


Est-ce que c’était pour le dépit de n’en avoir jamais entendu parler auparavant, de ne pas l’avoir croisé, ou par l’injustice de sa non-disponibilité, qui paraissait soudain non pas une négligence ou les dégâts collatéraux du commerce appliqué à l’édition, mais juste une revanche bourgeoise à l’égard de qui dérange ? C’est dans Walter Benjamin (le Baudelaire, et la Correspondance) que j’ai appris l’existence d’un texte énigmatique et miraculeux d’Auguste Blanqui, L’Éternité par les astres (je suis allé plusieurs fois depuis contempler de la côte, près de Morlaix, le fort du Taureau où il l’avait écrit, et dont il était le seul prisonnier), et la biographie de Gustave Geffroy, en deux tomes, la seule biographie existence d’Auguste Blanqui, L’Enfermé.

Du coup, dans cette année 1980 (c’était la première fois qu’il se donnait un cours à Paris sur Walter Benjamin, c’était à Normale Sup, on pouvait assister en auditeur libre, mais à peine était-on une douzaine, et un blanc-bec comme moi pouvait se retrouver à côté de Jacques Roubaud qui y était un fidèle – le prof s’appelait Irving Wohlfarth).

Alors, dans les librairies parisiennes je me suis mis à collectionner tout ce qui était accessible d’Auguste Blanqui. Une édition complète avait progressivement commencé de paraître chez Mouton, maison de tradition anarchiste, sous la direction de Maurice Dommanget, mais déjà arrêtée.

Et puis, probablement chez Vrin, en bas de la rue Saint-Jacques, en entresol, où on trouvait des livres d’histoire, j’avais finalement dégotté L’Enfermé, assez cher, je crois à peu près 320 francs, plus qu’un Pléiade (mon Littré d’occasion, édition Pauvert en 8 tomes, et que j’étais revenu chercher le lendemain avec un sac de sport, m’en avait coûté 800). Les deux tomes dans un étui de carton toilé.

Entre temps, j’avais fait la connaissance de Gustave Geffroy, journaliste oui, mais plume d’élégance, et historien d’art, forte monographie sur Constantin Guys, le C. G. du Peintre de la vie moderne, ce qui situait bien son ambition et ses ascendants.

J’ai littéralement dévoré la vie de Blanqui comme on lit un Dostoïevski. Geffroy se régale aussi : partant dans des accumulations (extraordinaire liste des clubs de la Constituante), reconstituant les lieux avec détail (ses phrases me hantent chaque fois qu’on s’offre la descente dans les abîmes secrets du Mont Saint-Michel), et surtout dépliant cette tranche d’histoire qui nous est si mal connue, celle qui va de la révolution de 1830 à celle de 1848.

Et c’est tellement plus fort, à suivre un acteur réel, que ce qu’en reconstruit Flaubert dans l’Éduc’Sent’. On pleurerait de rage aux tristes épisodes de la vie de Blanqui, bouc-émissaire de tous les malheurs de son temps, enfermé d’avance chaque fois que la société bouge, et on pleure pour de vrai à l’évasion manquée de Belle-ïle. On hait Barbès et ses compromissions, et on admire encore plus Blanqui quand il surgit dans je ne sais quel club, au soir des fusillades de 1830, en criant : — Enfoncés, les Romantiques !

C’est une honte que ce livre ne soit pas disponible. On peut le lire en ligne sur Gallica. J’ai scanné le premier tome, aux heures d’envol de publie.net, mais le peu de téléchargements m’a dissuadé de continuer pour le deuxième, et là j’ai pris un autre chemin.

Et si, à distance, des hommes d’une même époque, qu’apparemment tout oppose, finissaient par se ressembler – comme Gracq et Claude Simon ne cessent de se rapprocher à dix ans de leurs décès respectifs ? Alors Baudelaire et Blanqui pourraient presque danser ensemble, et, c’était peut-être ce que voulait nous faire savoir Benjamin, le livre de Geffroy sur Blanqui une somme indispensable pour comprendre aussi Baudelaire.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 6 novembre 2013
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