livres qui vous ont fait | cétait lui Koltès

histoire singulière de livres qui ont dû trop vite continuer sans leur auteur


La relation que construisait Jérôme Lindon avec ses auteurs faisait – sans qu’on nous y oblige – qu’on lisait tous les livres qui y paraissaient (en fiction, du moins). Mais Koltès nous semblait jouer dans une autre cour de récré, par le prestige des mises en scène de Chéreau (le Peer Gynt), un monde qui n’était pas le nôtre. Donc un regard curieux, mais appliqué au théâtre, un regard sur du théâtre.

Ça a changé avec La fuite à cheval loin de la ville qui doit être le premier Koltès que j’ai lu, mais m’a peu marqué, et ce serait peut-être bien que j’y revienne. Ses proses plus brèves, les combats de chat et chien, le texte sur le Kung-Fu ou sur les films de Pigalle me semblent plus centraux.

Puis il y a eu Solitude dans les champs de coton. L’impression de se retrouver chez Racine. Une langue classique, une forme dialogique qui était vraiment la littérature de Koltès, au-delà des questions de genre, roman, théâtre, qui sont un peu l’odeur de pipi de chat du commerce éditorial. N’empêche que, comme Novarina, c’est dans le rayon théâtre des librairies qu’on le trouvait, pareil qu’il faut aller en littérature africaine sous rayon Caraïbes pour trouver Chamoiseau.

Dans mon souvenir, il y a eu une sorte de bouquet rapide de publications, Zucco a fait de Koltès un auteur majeur, tandis que nous découvrions La nuit juste avant les forêts et Combat de nègre et de chien. Une façon de traîner la phrase, de lui donner cette patine, ce biais, qui fait que Koltès est immédiatement reconnaissable.

Mais il a fallu ce jour de septembre 1988, chez Veinstein qui avait accumulé un retard considérable, pour qu’on soit ensemble et qu’on parle, je l’ai raconté ailleurs – on a parlé trois quarts d’heure, mais beaucoup de Balzac, un peu de Lindon, et pas du tout de nous-mêmes. Après je lui ai écrit mais c’était trop tard, Bernard mourrait en avril 1989.

Et moi c’est quand j’ai commencé les ateliers d’écriture sérieusement, en 1993, que ses livres sont revenus sur la table pour ne plus s’en éloigner. Ce que je ne savais pas, c’est que la plupart avaient d’abord été édités comme texte de théâtre, avant d’être repris par Minuit. Ainsi, Serge Valletti m’offirait une copie carbone du premier état, dactylographié par Bernard, de La nuit juste avant les forêts, édité ensuite par les Amandiers : et pas un mot changé, 10 ans plus tard, à la reprise par Minuit.

Je n’ai pas vu Combat de nègre et de chien au théâtre (et des textes qui sont aussi importants pour soi, probablement mieux vaut éviter). Mais, dès l’édition Tapuscrit de Lucien Attoun à Théâtre Ouvert (c’est Lucien Attoun qui avait repéré La nuit juste avant les forêts à Avignon en 1977 et provoquerait le déclic), Koltès insère à la fin du texte les notes de carnet qui précèdent l’écriture. Et j’ai cru comprendre pourquoi, bien plus tard, à ce texte concernant le rituel d’enfouissement des morts, qui est ce à quoi réfèrent sans cesse les personnages de la pièce, mais qu’ils ne peuvent se dire l’un à l’autre, sur scène, puisque l’autre en a déjà connaissance.

C’est Deta Hadorn-Planta, de Bienne, qui m’a offert ce Tapuscrit. Et bien surpris d’y découvrir, en photographiant, que si, Bernard dans celui-ci a changé une et une seule chose : le sous-titre Lieux communs sur la mort du Tapuscrit a été remplacé par Lieux communs sur la faim dans le Minuit, et c’est pourtant le même texte.

Bernard-Marie Koltès, rencontré trop tard, alors que déjà malade – c’est peut-être le seul vrai regret ou manque que j’ai d’une relation qui n’a pu s’établir.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 14 novembre 2013
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