011 | 47°25’49.18 N – 0°42’17.42 E

le tour de Tours en 80 ronds-points : le rond-point à dormir


 

 ceci est le 11ème rond-point visité, voir liste des précédents ;

 première visite ? voir la présentation générale du projet, qui inclut aussi des invitations et un journal ;

 état actuel du protocole : vues depuis le rond-point devenu chambre à photographier la ville (11 photos) ; vues du rond-point depuis son pourtour (3 photos) ; vue de l’intérieur du rond-point (3 photos) ; le Google Earth avec le rond-point dans son contexte (1 copie écran) ; vidéo lecture (2’48), vidéo trajet sur rocade nord (4,44) ; un livre enterré (voir protocole livres enterrés) ;

 la chaîne YouTube des performances la littérature se crie dans les ronds-points ;

 en partenariat Pôle des arts urbains Saint-Pierre des Corps (pOlau) & Ciclic ;

 

journal de voyage


Chaque rond-point pourrait être seulement une métaphore. Ainsi, de lire la prose densément poétique, grande toile polyphonique suspendue en chaque point à l’extrême de la syntaxe mise à nu, tandis que ronflent tout autour, indifférentes (juste un klaxon, comme si je le gênais, le type), les coquilles vernies des voitures toutes pareilles, à crédit ou en leasing comme sur les pubs télé, parties pour le supermarché du samedi. On s’en veut que le monde en soit là. On lui en veut qu’après trois jours de gris, au moment où on arrive au rond-point, un ciel bleu insolent donne à tout l’horizon de la ville une radieuse brillance d’automne.

Il n’empêche. Ce n’est pas métaphore. C’est la ville comme elle est. Elle se camoufle. Elle veut faire croire que. Elle éloigne les bâtiments, peint ses routes, c’est du maquillage. Déviation, Monnaie. Et tentez de le trouver, Anachronisme de Tarkos, livre immense, un classique, et son testament, ça fait des mois qu’il n’est plus disponible : alors, les POL ?

C’est compliqué, un rond-point. En voiture on ne voit rien. Quand on fait le tour à pied, puis qu’on s’y installe pour deux heures, oui.

Ce que je n’avais pas vu c’est tout près, ces petites maisons dont ne passe que le haut. Une étudiante de Cergy avait fait ça, l’an dernier, dans les bords d’Orléans : juste les toits de ces pavillons années 70 qui dépassent des thuyas – merci Caroline, ça fait partie de ces indices qui m’ont mené à ce projet aujourd’hui.

Ce que je connaissais, par contre, c’est le gros bâtiment maintenant partagé entre marchand de literie et buffet chinois à volonté. Autrefois c’était la CAMIF. Dans mon histoire familiale, la CAMIF de Niort, et son catalogue annuel, c’était la façon dont eux tous, côté maternel, instituteurs sur des générations, accédaient à une consommation moderne, et qu’ils se considéraient réservée : le téléviseur et la machine à laver, on était venu l’acheter à la CAMIF de Niort. Ensuite ça s’est banalisé, mais j’y ai acheté des fers à repasser ou autre lit d’enfant, je n’étais pourtant pas de l’éducation nationale, ça s’était banalisé. Puis la CAMIF s’est effondrée, la moitié de Niort a dû pointer au chômage, et un Darty à quelques centaines de mètres a récupéré les miettes. Ensuite c’est devenu un autre électro-ménager, peut-être Boulanger, et maintenant ces buffets chinois (celui-ci c’était le premier à s’installer en si grand) ils prolifèrent tout autour de la ville, et tous ceux du centre-ville sauf un se sont effondrés. On ne réfléchit pas assez à toutes ces choses-là. Des fois ça nous est arrivé, à une pause sur l’autoroute, de quitter à une bretelle et d’aller dans un de ces trucs, à Cergy aussi j’en connais un.

Mais ce qui m’amenait sur ce rond-point c’était d’abord les arbres, ensuite les hôtels.
Bien sûr il a été paysagé au bulldozer, avec des fausses collines comme dans les cimetières, mais ils ont gardé ces arbres bien plus vieux que le rond-point. Derrière le KFC (je ne parle pas du KFC, on en a déjà vu un. Mais on découvre soudain un tout petit bout, à peine trente mètres, de l’ancienne nationale, partant vers Paris entre ses platanes.

Et puis les usines à dormir. Elles aussi, réparties autour de la ville. Elles aussi, les boîtes à dormir pas cher, ayant mangé grosse part des hôtels qui maillaient le vieux centre (il en reste quelques-uns, mais peu). À Cergy (ou tiens, à Conflans), ou pour les arrêts arbitraires qu’on fait sur tant de routes, je sais comment ça marche. Gens qui restent là pour plusieurs semaines, voire des mois, parce qu’ils n’ont rien d’autre pour l’instant, ou bien une vague prise en charge, parfois pleine famille dans la pièce minuscule. Et puis tous ceux qu’amène ici la voiture qu’on pose en bas sur le parking. Métiers du commerce, de la parole, des affaires qui n’autorisent pas qu’on ait plus luxe.

D’ailleurs, la première fois qu’on est venu à Tours – le camion de déménagement arrivait le lendemain matin –, c’est aussi là qu’on a dormi. Pas grand souvenir, sauf que c’était là. C’est aussi ce que je suis venu chercher, pas le souvenir en lui-même, mais cette idée de venir habiter une ville encore inconnue, et puis quinze ans après et même un peu plus se poser la question de savoir ce qui s’est passé tout ce temps-là, puisque apparemment ça vous laisse dans le même non-répit (mais si, puisque là, au milieu du rond-point je suis inaccessible à tout ce qui poursuit).

Rond-point à dormir. Cohortes qui de nuit dorment tout autour de la ville. Il y a longtemps que je l’appelais comme ça. Les usines à dormir sont toujours là. Je suis revenu pour ça.

Variante : la vidéo d’ambiance n’avait pas grand intérêt (voitures qui tournent, toutes pareilles), alors j’ai posé l’appareil sur le tableau de bord de la vieille voiture (qui en prend des sonorités de V8) et j’ai filmé la rocade jusqu’au rond-point 8, celui de Genet.

 

éléments contingents et factuels


Le livre enterré c’est un Claude Louis-Combet avec des textes érotiques et des photos noir et blanc sur du papier glacé, paru tout récemment. Il est dans la broussaille, mais pas enterré profond. Je compte revenir au bout de l’expérience, je voudrais voir ce que sont devenus les mots du corps et de l’obscène, dans la langue de Louis-Combet, et les photos elles-mêmes (comme les médaillons dans les cimetières) quand auront passé dessus l’hiver et les pluies. Donc si vous y allez et le trouvez, je vous remercie sincèrement de bien vouloir le lire sur place, de m’envoyer une photo avec votre téléphone, mais de le remettre en place sous sa petite couche d’écorces broyées. Merci.

 

ce que le rond-point voit de la ville


 

le rond-point vu depuis ce qui l’entoure


 

intérieur du rond-point, Google Earth et vidéo


 

 

livre lu

responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 11 octobre 2014
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