fiction dans un paysage | Conflans fin de monde

on avait déjà réduit la ville en sable


C’est pourtant le chemin habituel pour rentrer du travail. À l’écart de la ville mais pas tant. À ces heures-là, un train toutes les dix minutes, et la succession régulière des arrêts.

Ils avaient prévenu : un phénomène paraît-il dû à la saison, le jour qui se réchauffe vite, mais les nuits encore très froides, un grand écart qui fait que les particules fines restent piégées dans l’atmosphère. Cette suspension. Une réflexion orange. Voilà ce qu’on respirait, voilà ce dans quoi on vivait.

Dans les pleines heures du travail on s’en apercevait moins : la ville grise, ses brillances, l’habitude des heures, le ciel juste un peu trop blanc aux fenêtres, l’angoisse habituelle des tâches qu’on continue et qui n’améliorent rien.

Mais là, tu comprenais : bien sûr tu la rejoindrais, la ville. Mais c’est tout ce qu’il y avait entre ton travail et la ville, qu’ils avaient commencé de déconstruire.

Le sable avalait la ville.

Il restait les cours d’eau, il restait parfois la silhouette lointaine des morceaux subsistants de la ville – mais ce que tu traversais n’avait pus de nom.

Le train aussi s’essoufflait, ou bien s’épouvantait : en tout cas le paysage se traînait devant toi, tout était au ralenti derrière les vitres sales, et beaucoup trop fixe ce soleil orange, qui ne trouait plus l’épaisseur grise de ce qu’on nommait autrefois atmosphère.

La ville donc serait mangée, et cela avait commencé. Mais, à imaginer que tu trouves un moyen de faire faire demi-tour à ton train, le travail que tu avais laissé, là-bas, en partant, lui aussi désormais ressemblait à ça, ça ce sable, à ces lumières ? Et la ville, au bout, dans laquelle tu comptais retrouver les tunnels et escaliers familiers, les bruits d’autres trains, bus ou métro avant la chambre, s’étaient-ils déjà effacés dans le sable ?

Quelque chose avait commencé de s’accomplir, et toi tu ne savais plus rien sinon ces mots qui pourtant remplaçaient Conflans fin d’Oise qu’on voyait autrefois sur la gare : Conflans fin de monde tu te répétais obsessivement, sans oser penser plus loin, tandis que défilait au ralenti, entre le sable et le soleil orange, dans le voile encombré des particules fines, ce qu’il en serait du nouvel état du monde.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 19 mars 2015
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