Lovecraft, le carnet de 1933, 2/4 | suggestions pour écrire de la fiction

« suggestions pour écrire de la fiction surnaturelle » : de lire autrement un carnet trop laissé pour compte


le carnet de 1933 sur Tiers Livre Editeur, envoi dans les 48h, ... ici un mini dossier sur comment et pourquoi ce livre, ou de la chance qui m’a été donnée d’un inédit de Lovecraft...

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1, présentation générale & compressions Poe _ 2, suggestions pour écrire de la fiction
_ 3, liste de certaines horreurs élémentaires _ 7 + 3 histoires comprimées

 

page 1 dles « suggestions », écrite à l’envers depuis la 2ème moitié de l’agenda


les « suggestions », écrites à l’envers de la 2ème moitié du carnet

 

H. P. Lovecraft | Suggestions pour écrire une histoire [1]


(l’idée du sujet ayant déjà été trouvée, même allusivement)

1, préparer un synopsis ou scénario des événements dans l’ordre où ils se produisent – et non pas l’ordre de la narration. Décrire de façon assez détaillée pour couvrir tous les points vitaux et motiver tous les rebondissements prévus. Des détails, commentaires, estimation des conséquences sont parfois souhaitables.

2, préparer un synopsis ou scénario des événements dans l’ordre de la narration, en prenant des notes sur les changements de perspective, d’intensités, de point culminant (climax). Changer le synopsis original pour voir si un tel changement augmente la force dramatique ou l’efficacité de l’histoire. Interpoler ou effacer des épisodes – ne vous sentez jamais tenu par la conception originale, même si le résultat final produit un récit totalement différent de celui initialement prévu. Les additions et les altérations sont faites chaque fois que suggérées par quoi que ce soit dans l’écriture en cours (formulating process).

3, écrire l’histoire, rapidement, fluidement, sans trop se critiquer, en suivant le deuxième synopsis. Changer les épisodes et les sujets chaque fois que l’écriture en cours (developing process) semble suggérer un tel changement, ne jamais se sentir lié par une intention antérieure. Si ce développement révèle de nouvelles opportunités d’effet dramatique qui rendent l’histoire plus vivante, ajouter tout ce qui semblera avantageux – revenant en arrière pour réaménager les parties antérieures avec le nouveau plan. Insérer ou effacer des sections entières si nécessaire ou souhaitable, essayer différents débuts et fins jusqu’à trouver ce qui est le mieux. Vérifiez que toutes les références de l’histoire sont parfaitement compatibles avec le but final. Enlever tout le superflu possible – mots, phrases, paragraphes, et même des éléments ou épisodes entiers – en respectant les précautions habituelles sur la compatibilité de toutes les références.

4, réviser le texte entier, en portant son attention sur le vocabulaire, la syntaxe, le rythme ou la prose, la proportion des parties, les beautés de ton, l’élégance et la force de conviction des transitions (scène après scène, action lente et détaillée, ou moment rapide juste ébauché pour couvrir une action, et réciproquement, etc.), l’efficacité du début, de la fin, des points culminants, etc., le suspense dramatique et l’intérêt, la plausibilité, les atmosphères, et tous les divers éléments.

5, préparer et mettre au net la copie dactylographique finale.

 

« ... en certains cas... »


...en certains cas...

 

En certains cas [2], on peut recommander de commencer d’écrire une histoire sans synopsis ni même une idée de comment elle doit commencer et finir. C’est quand quelqu’un ressent le besoin d’exprimer (recording) et exploiter complètement quelque atmosphère ou image particulièrement puissante ou suggestive. Dans de telles circonstances, le début ainsi produit doit être considéré comme le problème à argumenter et expliciter (to be motivated and explained). Bien sûr, en développant cette argumentation et cette explicitation, il faut accepter de changer (to alter) – ou même transformer, transposer au-delà du reconnaissable, ou même éliminer – le premier début ainsi produit.

Une fois de temps en temps, quand un auteur a un style déterminé avec des rythmes et des cadences en forte relation avec des associations imaginaires, il est possible de commencer à construire une atmosphère (weaving a mood) par des paragraphes caractéristiques et de laisser cette atmosphère dicter l’essentiel du récit.

Une fois de temps en temps, il est important de définir d’avance un titre frappant ou une série de titres – de telle sorte qu’ils évoquent des associations imaginaires poignantes – et d’écrire le matériau fictionnel à partir de lui ou d’eux. Plus tard, une fois le travail fait, on pourra changer ce ou ces titres.

Dans quelques rares cas, on peut écrire une histoire efficace (effective) à partir d’une image.

Il est souvent intéressant de macérer longtemps (to spin out) un récit d’une certaine longueur dans sa tête – en prenant des notes – avant d’en entreprendre la rédaction (before actual formulation). Y rêver à plaisir – lentement – avec toutes les variations possibles (with any number of changes).

Les histoires surnaturelles (weird stories) sont de deux sortes – celles dans laquelle l’horreur ou le prodige (marvel) dépend d’une condition ou d’un phénomène, et celles dans lesquelles elle dépend de l’action de personnes en relation avec cette étrange condition ou ce phénomène.

Après avoir pris son point de départ depuis une atmosphère, une image, une situation, une légende, un tableau ou un point culminant à rendre (to express), il est souvent recommandé à l’auteur d’explorer à fond la liste des sujets d’horreur élémentaires (basic horrors) pour en trouver un qui soit vraiment adapté à ce schéma donné. Ceci étant fait, on doit avoir recours à toute son ingéniosité (ingenuity) pour construire un explication argumentée logique et naturelle à ce schéma imposé, dans les termes de l’horreur élémentaire choisie.

Noter toute les idées bizarres, les atmosphères, images, rêves, conceptions, etc. pour un usage futur. Ne pas désespérer si elles ne semblent pas induire de développement logique. Travailler à chacune progressivement – nourrie (surrounded) de notes, bribes de synopsis, et finalement rassemblée dans une structure explicative susceptible d’usage fictionnel. Ne jamais se hâter. Les meilleures histoires poussent très lentement – sur de longues périodes, et avec des intervalles dans leur formulation.

Dans un récit qui comporte des principes philosophiques ou scientifiques complexes, essayer de faire allusion à ces explications dès le début, quand la thèse est mise en avant (comme Machen dans Le peuple blanc), pour ne pas en encombrer les parties narratives et l’intensité dramatique (climax).

Veiller à prendre autant de temps et de soin qu’il le faut à la formulation du synopsis que pour l’écriture du texte – parce que le synopsis est le vrai coeur de l’histoire. Le vrai travail créatif de l’écriture de fiction c’est de donner naissance et d’élaborer une histoire sous forme synoptique.

Ne pas avoir scrupule à mêler deux parmi les horreurs élémentaires distinctes ou plus, si telle est l’exigence naturelle et interne de l’histoire. Soyez sûr, cependant, de garder au récit son caractère absolument logique et réaliste (logical & realistic), sinon dans les directions choisies pour s’éloigner de la réalité (to departure from reality).

Il est parfois utile de concocter une histoire spontanément et à moitié irresponsable (half-irresponsably), en la laissant se développer telle qu’elle vient (as it goes along), et la changeant lorsque c’est souhaitable, pour la noter sous la forme d’un plan synoptique souple et aléatoire (in the form of a loose, rambling synoptic outline). D’un tel plan très approximatif peut souvent naître une vraie histoire.

Pour garantir un point culminant comme il faut (adequate climax), il est recommandé de le construire lui-même de la façon la plus extrêmement détaillée, et de construire ensuite le synopsis qui y mène.

Un mode d’approche (mode of approach) extrêmement bizarre et frappant est parfois souhaitable. Le temps, le décor, ou n’importe quel autre élément parfaitement lointain ou non-humain.

 

[1Titre original : Sugestions for writing story.

[2Sur nouvelle page, sans titre.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
1ère mise en ligne 10 août 2015 et dernière modification le 10 février 2017
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