Lovecraft, entrouvrir l’océan des lettres

tout petit à petit, venir écouter ce stupéfiant charroi, à la fois joyeux et dramatique, mais aussi absolument littéraire que les correspondances de Kafka ou Flaubert


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Traduire le continent des lettres de Lovecraft ? Un océan sans fin, qu’on estime à 35 000 lettres et cartes postales en fourchette basse.

Et puis cet océan a ses courants, ses houles : des incantations sonores à la James Joyce, des élucubrations orales avec des amplifications rabelaisiennes.

Mais surtout, l’écriture. Parce que la socialité de ces hommes-là est à la fois bridée verticalement et horizontalement. Verticalement : un peu comme nous dans la création web aujourd’hui, un déni symbolique hostile. Le New York Times ne mentionnera pour la première fois Lovecraft que pour annoncer son décès, comme pour Hart Crane d’ailleurs. Horizontalement, parce que les distances qui séparent Lovecraft de Howard, de Barlow, de Derleth sont gigantesques. L’épistolaire est leur socialité directe.

Un travail de l’épistolaire donc jamais dissocié de l’écriture même, et tout simplement parce que pratique au quotidien de l’écriture. À la main ou dans les longues impros à la Remington, les lettres de Lovecraft peuvent atteindre 20, 40 ou 60 pages. Parce qu’écriture sérielle : éléments qui se retrouvent, mais jamais à l’identique, chez plusieurs correspondants, dans la même suite de jours. Lettres qu’on écrit au carbone pour envoyer à 4 correspondants qui répondront pareillement, dans un jeu circulaire qui relève de la publication et non de la correspondance privée.

Un océan qui supposerait plusieurs vies. Mais si décisif : pour l’écriture de Lovecraft, parce que pas encore d’index ni même de version numérisée pour la recherche par occurrences (gratitude à S.T. Joshi et D. Schulz de leurs index et notes, mais ce n’est pas la même chose). Mais aussi tout simplement pour l’histoire politique américaine, cette période qui va de la Grande Dépression à la 2nde Guerre Mondiale, avec en Europe la fascination puis la répulsion Hitler.

Je m’immerge progressivement dans ce continent. Mais lire et traduire c’est différent. Dans chaque lettre, des tunnels de profération parfois stérile. Mais chaque fois des moments d’intensité qui envoient à distance une onde sismique sur l’oeuvre.

Cet été, j’aurai toujours Lovecraft sur ma table. Un projet lourd avec mes amis de Pages&Images de Montpellier, qui va me permettre de retrouver Providence pour une semaine en juillet. Mais l’essai sur 1925 qui prend forme.

Par contre, pas de traduction, comme les Montagnes de la folie il y a 2 ans. Il faut que je me sente prêt pour le prochain gros morceau, L’affaire Charles Dexter Ward. Et j’ai un engagement important : le Uncreative Writing de Kenneth Goldsmith, livre fondamental sur le statut du langage dans le web, qui vient irriguer la totalité de ma démarche.

Donc je décide ce soir d’ouvrir ici, comme une saignée à un arbre, une page qui grossira, avec chaque fois le destinataire et la date, faite de fragments arrachés aux lettres, à mesure que je les reprends ou découvre. Ce sera des bribes, et encore des bribes. Mais pour moi la nécessité d’y voir clair. Passages où Lovecraft est pour nous complice de l’innommable, et d’autres fois le plus nécessaire des intercesseurs vers les forces noires de l’imaginaire, et la discipline littéraire.

J’ai essayé à 3 fois, ces 2 jours, d’improviser des fragments de traduction en direct pour mon appareil photo, et les commenter directement sur YouTube – la machine-langue est bien trop compliquée, et les attendants politiques ou littéraires bien trop lourds pour y brouillonner. Mais je voudrais ici, si j’y parviens, ne pas traduire comme c’est le cas pour les récits, où peut bien passer 3 heures sur un paragraphe, mais une sorte de jeu courant, de fil de la plume comme on aurait dit autrefois, et comme Lovecraft devait lui-même les écrire, lui qui parle souvent de la vitesse en écriture.

On verra bien. Je ferai signe régulièrement quand j’ajouterai, chaque soir j’espère, quelques lignes. On les retrouvera aussi dans ma série L’Instant Lovecraft qui, passée la 50ème, aborde sa saison 2.

J’irai ici au hasard, en fonction des autres problématiques que j’explore chez Lovecraft, il y aura du grave et du léger, de l’innommable et du fascinant, de la poésie et du délire, des rêves et de la politique : qui n’a pas lu l’échange où Lovecraft raconte qu’une fois dans sa vie il a tenté de boire une bière et en a trouvé le goût très mauvais, pour tenter, quelques mois avant son suicide, de guérir Robert Howard de son alcoolisme extrême et chronique ?

J’en traduirai des faciles, des difficiles, selon l’humeur, à petites touches, exercice du soir pour fuir un peu, si j’y arrive, la réalité ambiante. Tout sera classé chronologiquement, j’essayerai d’avoir des tables et des index, et je complèterai de notes comme ça viendra. Quand la page deviendra trop lourde je la déplierai... Bien sûr, vos rectifications seront bienvenues, un jour on s’y collera, à une grande entreprise réseau de traduction collective.

On peut bien sûr se procurer tous ces volumes de lettres, textes originaux collectés, transcrits et annotés par S.T. Joshi et David E. Schulz, chez Hippocampus Press, il faut les soutenir et c’est autant de collectors.

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 Images ci-dessus : un des points les plus fascinants pour moi de Providence, le tunnel inauguré en 1914, sous la vieille colline universitaire, et débouchant juste auprès d’où Lovecraft a terminé sa vie, à 46 ans, en 1937, en bas de College Street.

1916 _ 1920 _ 1922 _ 1929 _ 1930 _ 1932 _ 1933 _ 1935 _

1916

1916.11.16, à Reinhart Kleiner


Mon cher Kleiner [1],

Quant aux limites de ma jeunesse, je dois admettre qu’elles furent bien réelles. À l’époque, je me voyais bien en une sorte de génie égaré ; mais ces dernières années m’eurent permis de voir ma jeunesse avec un peu plus d’intelligence et de cynisme, et moins de sympathie et compassion. Je cois que c’était De Quincey qui se plaignait de n’avoir jamais rien fini de ce qu’il avait commencé. Cela vaut pour moi, c’est mon problème. Entouré par des êtres dont l’accomplissement était réel et considérable, j’étais un amateur (dabbler) en toutes choses, et sans accrocher vraiment à rien. Du côté maternel, j’héritais d’un amour de l’art. Ma mère est une peintre de paysage qui ne manque pas d’habileté [2], et ma tante la plus âgée [3] y était encore plus experte, et a même eu une tapisserie exposée au salon du Providence Art Club – oui, malgré leur génie, je n’ai jamais rien su dessiner que les gribouillis que vous trouvez si souvent dans mes lettres. Je faisais de mon mieux, mais le cadeau se refusait. La musique a été un fiasco équivalent. Ma prédilection pour le rythme m’amenait à l’amour de la mélodie, et j’étais tout le temps à siffler ou battre la mesure au mépris de toute convention et de comment se tenir à table. J’étais d’une telle exactitude dans le rythme et la justesse, et affichait une telle aisance semi-professionnelle dans mes tentatives brutes, que mon voeu d’apprendre le violon fut exaucé à peine j’eus atteint mes sept ans, et qu’on me plaça sous l’enseignement de la meilleure violoniste donnant des cours aux enfants dans la ville – Mme Wilehlm Nauck. Pendant deux ans, je fis de tels progrès que Mme Nauck en était enthousiaste, et déclara que je pouvais faire de la musique un métier – mais, toute cette période, le côté assommant de la pratique devenait un vrai choc pour mon système nerveux toujours sensible. Ma « carrière » se poursuivit jusqu’en 1899, et culmina dans un récital public dans lequel je jouais un solo de Mozart devant un public de taille considérable. Bientôt après, mon ambition et mon goût s’effondrèrent comme un château de cartes (pour user d’une triste métaphore). Je commençai à détester la musique classique, qui maintenant ne signifiait plus pour moi qu’un travail douloureux, et je me mis à positivement haïr le violonè Notre médecin, sachant mon tempérament, conseilla d’arrêter immédiatement les leçons de musique, ce qui fut fait aussitôt. Est-ce que c’est l’échec cuisant le plus significatif à retranscrire ? En art, le talent me manquait ; mais, en musique, me manquaient l’ambition et la dextérité. Il y a vingt ans de cela, je critiquais Verdi et Wagner, mais tombait avec une adoration enfantine dans les filets de Beethovent – aujourd’hui, ke chantonne ou sifflote la camelote que vous avez si honte d’entendre sur les phonographes de vos proches, plus les chansons satiriques sur les Nègres (nigger laughing songs, ou bien, il y a quelques semaines j’ai assisté à un opéra classique intitulé Katinka ! Si ce n’est pas du retard mental ou un affaissement de l’esprit, comment appelez-vous ça ? Mais le pire est encore à venir ! Il y a trois ou quatre ans de ça, je ressortis mon petit violon abandonné, achetais de nouvelles cordes, le réaccordai, pensant que cela m’amuserait de faire des sons, même si je ne vaux pas mieux qu’un violoneux de village. Je lançai l’archet sur les cordes, quand lo !, je découvris que j’avais oublié même comment jouer une simple note ! C’était comme si je n’avais jamais touché de violon auparavant [4].

Qu’est-ce qui peut compter dans un effacement aussi complet de ce qui avait été foré en moi durant deux années de labeur ? Mais avec les langues l’échec était le même. Le latin est la seule langue que j’ai réussi à maîtriser à un niveau digne d’être mentionné. L’épuisement nerveux s’interposait chaque fois entre moi et la réussite, à l’exception de quand ma forte prédilection personnelle me menait à des savoirs qu’il me fallait assimiler. Mon amour de l’antiquité romaine, et le pouvoir et la majesté de la Ville Éternelle est ce qui m’aidait pour le latin. Mais, pour l’échec linguistique, ce n’avait pas été aussi catastrophique que le latin. Je n’ai jamais oublié ce que j’ai appris dans le domaine des Lettres. Le mot mathématiques est chargé de mélancolie, dans mon vocabulaire. Ayant décidé à l’âge de 12 ans de devenir astronome, je me suis trouvé bien sûr dans l’obligation de me perfectionner en algèbre, géométrie, trigonométrie et calcul ; mais je découvris au lycée que ma vieille haine de l’arithmétique commençait même aux régions les plus basses de la recherche en mathématique. Je consacrais une pleine année à l’algèbre, mais fus si peu satisfait de ce que j’avais accompli, que je repris délibérément la deuxième moitié de mon programme. Au bout de trois ans, il me sembla avoir appris un peu d’algèbre et géométrie, mais après ma dépression nerveuse globale de 1908-1909, j’ai dû accepter de voir mes connaissances m’échapper, et quand j’essayai de guider les études de mon cousin, l’an denier, je découvris que je n’avais pas plus de facilité que lui sur ce sujet ! Quel cancre (dunce) j’ai été ! De 1909 à 1912 je me consacrai plutôt à la chimie, apprenant avec facilité les bases de la chimie inorganique, et de l’analyse quantitative, puisque ç’avait été le plaisir favori de mon enfance. Mais une fois abordée la chimie organique, avec son épouvantable corpus de problèmes théoriques, et absorbé dans les composés isomères du carbone – la molécule circulaire du benzène, etc, etc, etc – cela commença à m’ennuyer si prodigieusement que je ne pus réussir à y passer un quart d’heure de plus dans provoquer une désastreuse migraine qui me paralysa complètement pour le restant du jour. J’en devins radicalement convaincu que j’étais maudit avec cette combinaison morbide d’éléments conflictuels – un désir insatiable de savoir et d’accomplissement, couplé à un intellect et une constitution incapables de progrès matériel vers son but. Quel mêli-mêlo – les aspirations d’un poète et philosophe assaillies par les limitations mentales d’un boucher ou d’un maçon. Même en littérature, mes défauts étaient visibles. Je ne suis maître que de ce qu’il m’arrive d’imaginer. Ce que je ne sais pas de la prose et de la poésie du XIXe et du XXe siècle, c’est encore bien plus que ce que j’ose avouer ! Tout ce que je sais, c’est que je déteste tout ça !

Après un tel enchaînement de désastres, je crains que vous hésitiez à lire cette autobiographie que vous me suggériez d’écrire, tant les annales intimes des ratés d’une vie commandent rarement l’intérêt. Mais cette aisance dont chacun est affecté, lorsqu’il s’agit de parler ou d’écrire de ses propres affaires, m’impose de poursuivre. Je préfère accumuler cette littérature ici, plutôt que dans le Kleicomolo [5] ; Moe et moi-même avons déjà échangé de scrupuleuses autobiographies, et Cole se réjouirait très peu d’un tel ramassis d’excentricités, crises nerveuses et vie artificielle. Il est trop fils de la Nature pour être tolérant à l’égard des victimes de la civilisation et leurs caprices. Mais j’espère que votre propre histoire sera pour le Kleicomolo, tant je suis sûr vous n’avez jamais été un paquet de nerfs comme votre jeune Conservateur !

Je suis né le 20 août 1890, au n° 454 (à l’époque n° 194) d’Angell Street, dans la ville de Providence. C’était la maison de ma famille maternelle, mes parents habitant à l’époque à Dorchester, Massachusetts. Mon père était le fils d’un Anglais arrivé du Devonshire dans l’État de New York en 1847 à la suite d’un revers de fortune. Je n’ai jamais vu ce grand-père anglais en personne, mais il m’était bien connu par daguerréotypes et photographies [6] Il a été le premier de sa lignée à adopter une occupation salariée et prendre résidence américaine, mais est resté britannique dans l’âme jusqu’à sa mort – allant jusqu’à porter monocle. On m’a dit qu’il s’était efforcé de résister même à l’accent américain, si éloigné de la prononciation du Londres cultivé. Mon père, son plus jeune enfant et seul fils, a naturellement hérité lui-même de quelque chose du gentleman anglais, même né à Rochester, New York. Sa dernière adresse fut à Mt Vernon, New York, avec un bureau à New York même. Plus tard, après son mariage, il transféra ses activités commerciales à Boston, et vécut successivement à Dorchester et Auburndale. La mère de mon père était une Allgood de Northumberland, vivant à New York, descendante d’un officier britannique qui resta en Amérique après la désastreuse Révolution.

Du côté de ma mère, je suis un complet Yankee de Nouvelle Angleterre, avec des Phillipses, Places et Rathbones. De ces ancêtres, les Rathbone sont probablement les mieux nés, avec un nom qui était celui de barons en Angleterre. [à suivre un peu chaque jour !]

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1920

1920.04..., aux Gallomo [7]


Il est rare, ô messires, que j’aie quelque chose d’un peu neuf à vous écrire. Ma carrière est si dépourvue de tout événement qu’un simple aller-retour à Boston fournit de quoi remplit quatre ou cinq pages dactylographiées serrées [8] Mais aujourd’hui j’ai quelque chose qui sort légèrement de l’ordinaire à relater, même si l’un d’entre eux ne m’a pas même pas fait dévier de mes études ordinaires. Pour en arriver au fait – j’ai passé tout mon temps depuis lundi à corrigr des devoirs d’arithmétique pour des élèves des deux classes primaires supérieures de Hughesdale, Rhode Island, e leur concocter des exercices et des problèmes, des leçons à apprendre. Voyez donc votre Theobaldus devenu pédagogue à distance ! L’explication ? Simple et logique. Une des branches encore semi-rurales de la branche maternelle de ma famille habite la ville de Johnston, dont relève le village d’Hughesdale. Ils sont par nature tournés vers la scholastique, et comptent plusieurs membres dans le corps professoral. La semaine dernière survint le besoin urgent d’un instituteur remplaçant pour prendre la place du directeur de l’école, parti en congé ; et, au regard de l’énergie infinie de ma tante et de sa versatilité, ils ont préféré garder le boulot dans le cercle de famille, pour ainsi dire. Ils sont conscients de la minceur extrême des finances locales, et ont supposé avec raison que ce petit bénéfice ne serait pas inacceptable. Maintenant, que je vous dise que ma tante n’avait jamais auparavant enseigné dans une école, pas un jour de sa vie. Même si aimant les enfants, et très capable de les diriger et les orienter, elle n’a connu l’école que du point de vue de l’élève ; et est restée parfaitement étrangère à toutes les nouveautés pédagogiques qui ont pu se faire jour depuis Mlle Abbott et son très convenable et réputé Séminaire pour les jeunes filles raffinées. Pouvez-vous imaginer quelqu’un de cette sorte prendre en charge les destinées d’une école primaire de village ? Certes non. Mais alors.... c’est que vous ne connaissez pas ma tante ! En tant que personne de grande culture, et d’une solide éducation générale, il n’y eut bien sûr aucune difficulté pour elle à assurer les cours dans les matières non mathématiques. Avec une habileté surprenante, elle se dota d’une routine compliquée, et maintint les élèves en activité par la lecture, la récitation, les exercices d’écriture et ainsi de suite. Mais alors leva le terrible spectre – la chose haïe, damnée – l’ARITHMÉTIQUE ! Imaginez un instant quelqu’un qui n’ait plus mis le nez dans un manuel depuis le début des années 90, à qui on demande de s’adapter aux terrifiantes règles arithmétiques à la mode du jour – la science absurde et pédante où des termes comme « dénominateur commun », « plus », « moins » etc sont définitivement abolies, et où on considère comme de la haute trahison de demander à un élève de diviser des fractions en inversant le diviseur et procédant à une multiplication. Voici ce qui attendait ma tante, qui confessa candidement son incapacité à répondre aux besoins exprimés de ces deux classes sans repos, et de leur en expliquer chacune des étapes par les exemples consignés dans leur cahier d’exercices. Il s’agissait chaque fois de méthodes inconnues d’elle-même, et suivre ou corriger leurs tentatives en dilettante était littéralement impossible. Et toutes ses soirées, de toute façon, seraient accaparées par la correction des autres devoirs. Mais voilà qu’entre en scène le puissant rédacteur du Journalisme amateur ! Et tout ira bien, est-ce qu le Grand Tibaldus n’est pas à la manoeuvre ? Ecce homo !Ce qui signifie que j’ai offert mon assistance, et entrepris d’être la Force Cachée sous le Trône pour le département de mathématiques de l’école primaire d’Hughesdale. Maintenant je suppose que Gahal-Bah, le Merveilleux, et Mocrates, le Superbe, s’étonneront que corriger les devoirs d’arithmétiques de deux classes de primaire soit si difficile. Mais supposez, ô Grands Anciens, que cela retombe sur moi, qui abhorre l’arithmétique de toute la haine de sa nature éthérée ? Toutes leurs méthodes m’étaient aussi étrangères qu’elles l’étaient à ma tante, et leur livre d’exercice un fait criminel – l’oeuvre d’un potentat local qui avait un marché avec l’école. Mais on peut plus ou moins considérer que les principes des mathématiques sont les mêmes en tout âge, et que les cervelles sont faites pour servir. Alors je passai le dimanche soir à apprivoiser ce bazar et me voilà maintenant digne de devenir pédagogue de la nouvelle école. Et, bien que je prierai le Créateur vendredi, quand je pourrai tout oublie comme un mauvais rêve et revenir à mes vieilles habitudes, que jamais un destin malade ne me force aux calculs mathématiques ! Ma tante dit qu’elle pourrait elle-même aujourd’hui affronter la complication des problèmes en fin du cahier. Je suppose que je pourrais en dire autant, mais ma conscience me force à m’y risquer – et par malheur j’en sais encore assez pour les faire, et les détester encore plus ! Alors imaginez-moi la nuit dernière, submergé de papiers recouverts d’à peu près tout e qu’on peut concevoir, des vulgaires fractions aux racines cubiques comme si j’étais en train de vérifier les dernières incartades métriques de D. V. Bush. Ô pauvre ! Vous auriez vu Grand’Pa annoter les exemples avec un vrai de vrai stylo rouge, aussi austère que n’importe quel autre prof. Autrefois je rêvais d’incarner l’autorité que représentaient ces stylos rouges pour interdire, maintenant je perçois comment on s’achète cette autorité au carrefour de la fatigue et de la migraine ! ô Sainte Pegana ! Les erreurs qu’ils font, ces gamins ! Autant je déteste les problèmes arithmétiques, autant j’aurais eu honte, à l’école primaire, de faire des erreurs pareilles ! Quelques-uns s’en tirent bien en terrain plat, mais le moindre problème les fait trébucher. Vous les défoncez avec le moindre diagramme. Quelquefois je trouve les mêmes bévues qui se dupliquent allègrement, et et je souris à penser comment les petits papiers circulent dans le dos de ma tante. [à suivre]

1922

1922.05.18, à Maurice W. Moe


Le 1er avril [9], en réponse aux suggestions répétées de Mme Greene [10] Loveman est arrivé à New York pour y trouver un emploi commercial. Constant l’absence de son hôtesse, il en a été si déconfit qu’il allait repartir à Cleveland immédiatement, quand un de ses amis l’a convaincu de prende une chambre d’hôtel en attendant. Mme Green était de retour le 2 avril et trouvait l’inconslé sur son seuil. Elle réussit à lui redonner le sourire, mais pas à lui trouver un travail ; et le soir même il était prêt à repartir dans le plus ténébreux découragement. Mme Greene lui avait laissé à disposition tout son appartement, s’hébergeant elle-même chez une voisine, mais même cette hospitalité semblait insuffisante à le retenir. Vous imaginez mon extatique délire à entendre enfin la vraie voix d’un poète que j’admire depuis bientôt sept ans – et pour lequel j’avais écrit des vers d’hommage sans même savoir s’il était mort ou vivant. Ce fut un grand débat, où j’ai bien failli ne pas voir la célébrité qui en était l’enjeu. Il était vraiment décidé à repartir. Mais Morton et Kleiner, avec qui il était aussi en contact, ont fait pression aussi et il décida de rester « juste un jour de plus ». Le soir du 5 je reçus un appel de l’assemblée réunie, Loveman, Greene, Morton et Kleiner, qui m’enjoignirent de les rejoindre. On me dit que s’y ajouterait la présence de mon fils et protégé, Frank Belknap Long, et Loveman conclut en disant qu’il ne resterait à New York qu’à la condition que je vinsse. C’est la surprise et la soudaineté qui finalement l’emportèrent. J’acceptai, fis ma valise, et le lendemain matin je prenais le 10h06 pour New York.

Je passai les 5 heures du voyage à lire Dunsany et contempler les gares où on s’arrêtait. New London, petite ville miteuse, relique victorienne. New Haven plus active et urbaine vue depuis la gare. Idem pour Bridgeport. Un peu avant 3 heures, le train aborda le colossal et vertical viaduc sur la Harlem River – c’est juste le hasard qui m’en a procuré ce panorama unique, parce que mon train continuait sur Washington D.C. Sinon, les trains habituels s’en tiennent à un itinéraire plus fade et arrivent à Grand Central. Je découvris pour la première fois les lignes cyclopéennes de New York. Une vue mystique dans la lumière dorée de la fin d’après-midi ; un rêve tout en nuances de gris, se détachant contre le ciel encombré de fumée [11]. La ville et le ciel si fusionnels qu’on pouvait difficilement affirmer qu’il y avait bien là une ville – que ces tours imaginaires et découpures n’étaient pas qu’un effet de l’illusion. On en était à 15 kilomètes au moins – et voilà, surgissaient les gratte-ciels. Le train venait de traverser Long Island, puis bifurqua vers le sud pour s’enfoncer dans le tunnel sous l’Eas River et les rues de Manhattan jusqu’à la Pennsylvania Station [12]

On arriva pile à l’heure à la gare, et je devais y retrouver Loveman ainsi que Mme Greene, mais une erreur de calcul dans le comité de réception s’est transformée en perte dans les labyrinthes du grand terminus. J’attendis un moment, puis me lançai dans une recherche scientifique qui finit par exhumer Mme Greene. Loveman, déçu, était reparti à Brooklyn ! Mais en ajoutant métro et taxi, on était avant lui au 259 Parkside, le rejoignant juste comme il montait l’escalier. Quelle rencontre ! Loveman est vraiment bien et agréable. Si absurdement que Mme Green surévalue la plupart des gens, je doute qu’il y ait quoi que ce soit d’inapproprié dans les plus exagérées de ses rhapsodies et dithyrambes lovemaniennes. Un chouette type, Samuel.

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1929

1929.11.19, à James F. Morton


Cher point parallèle moins sa parallaxe du péripatéticosme des pierres pétrifiantes :–

Une correspondance qui vous avale ! My gord – est-ce que ça existe, des choses pareilles ? Mais, par le fait, ça ne va pas si mal de mon côté qu’il y a deux semaines. J’ai décliné tout travail de révision pour les deux mois à venir, ça me donne une chance de me remettre à l’enfer de la fiction, mais une à moi – ce que j’attends depuis un an et même plus. Pour de vrai, je n’ai rien écrit côté histoires depuis L’horreur de Dunwich en août 1928 !

Ogawd, et penser vous pourriez oublier mettre du temps de côté fait trembler Dave Bush ! Bon, vous n’avez pas souffert de cette maladie-là au point où j’en souffre, ou sinon qu’il soit brûlé dans vos souvenirs avec des lettres d’acide fluorhydrique ! Mais comment la plus saugrenue de vos lubies aurait perdu sa meilleure gloire ? La prochaine chose que vous me direz c’est que je vous avez prdu La fiancée de Gettysburg et les Histoires complètes de P.J. Pendergast ! Mais savez-vous que moi-même j’ai perdu toutes ces insanités de Dave Bush, mais ces choses qui faisaient partie de ce dont j’ai le moins besoin, j’ai découvert les avoir oubliées dans une épicerie de Flatbush bien après être revenu à la maison, et quand j’ai demandé à ces gawd damn fools de me les renvoyer il s’en est perdu la moitié en route – y compris une demi douzaine de mes écrits de jeunesse (Les aventures d’Ulysse, ou la Nouvelle Odyssée, de 1897, Poèmes mineurs de 1901, etc etc, ainsi que immortelles aventures de David V. Bush ! Repose en paix ! Et quand je pense à comment ce pauvre Pearson chérissait mon Davy ! Hot dawg ! Mais il a toujours eu un oeil sur le farfelu. Je me souviens que vers 1915 ou par là, il était un de ces malades du millenium, et se gavait de sources anthropologico-mystiques inconnues de héros tels que Huxley, Darwin, Weigall ou Sir Arthur Keith – dans la ferme croyance que nos chromosomes saxons descendaient descendaient des douze tribus perdues d’Israel !

Heureux que le pèlerinage dans mes origines rurales soit une drogue de bel intérêt. Rien de mieux que le bon vieux passé pour vous donner le sens et la raison de votre existence. Prenez mon conseil pour ce qu’il vaut et appliquez un peu de cette drogue à ce que votre tante a remonté de votre généalogie. Je suis en quête de trois réserves possibles de renseignement (possible data-sources), dès que la météo et mon énergie le permettront. J’aimerais coucher moi-même sur le papier et rester en lien avec quelques murs tristement effondrés dans quelques granges et fermes blanches aux royaumes arcadiens de l’ouest du Rhode Island. La beauté et la dignité perceptibles de colons s’est intégrée esthétiquement à cette région, à un point particulièrement poignant et cause une stimulante motivation, qu’on peut aisément ressentir quand il s’agit de votre sang héréditaire, parcourant ces paysages comme on remonterait les veines d’un organisme géant et exquis. On n’a pas le droit de dire : « J’aime ces herbes ondulantes & leurs aulnes frissonnants & le chuchotis des torrents au fond des vallées & les murs de pierre des fermes ou les clochers blancs au loin », il faut dire : « ces herbes ondulantes & leurs aulnes frissonnants & le chuchotis des torrents au fond des vallées & les murs de pierre des fermes ou les clochers blancs au loin sont MOI, JE, MOI-MÊME, LEUR EGO CONSCIENT ». Et quoi demander de plus ? Est-ce que ce n’est pas tout l’art et l’effort de l’artiste que s’identifier lui-même avec ce qui brûle de beauté et d’étrangeté dans ce qu’il décrit ? Pourquoi alors rejeter une telle identification quand c’est la Nature qui l’offre ?

Le passé est réel – il est tout ce qui existe [13]. Le présent est seulement un lien trivial et éphémère – tandis que le futur, même si pleinement déterminé, est bien trop essentiellement inconnu et sans repère (landmarkless) pour disposer d’une vraie prise sur notre sens concret de l’imagerie esthétique. On peut évidemment inclure de répugnantes oppositions, des contrastes à nos émotions et imaginations, et puisque pas possible de les étudier comme un tout, ou de s’habituer à leurs variations internes aussi bien que nous pouvons étudier ou nous approprier le passé dans sa variété. Il n’y a rien dans le futur à quoi puissent s’attacher nos loyautés et affections – il ne signifie rien pour nous, parce qu’il ne comporte aucune de associations mnémoniques sur lesquelles se fonde l’illusion de sens. Et voilà pourquoi moi je préfère la vieille Nouvelle Angleterre ou la vieille Virginie aux barbarismes inconnus et mécanisés qui nous attendent – aussi insensées et étrangères à des gens de notre héritage que la culture chinoise ou abysinienne ou celle de l’ancienne Carthage ou celle de la planète Saturne. Cela ne sert à rien de prétendre qu’une culture machinique, standardisée et régie par le temps aurait aucun point commun – aucune zone de contact – avec une culture basée sur la liberté humaine, l’individualisme et la personnalité ; il me semble donc que tout ce qu’on peut faire dans le présent c’est se battre contre le futur autant qu’on peut. Tous ceux qui pensent que l’homme vit par sa raison, ou qu’il serait capable consciemment de dominer les effets et influences des appareils (devices) qu’il crée, est psychologiquement en deça des enjeux de l’époque. Les hommes peuvent pour un temps s’appuyer sur des machines, mais au bout d’un temps, la psychologie de l’accoutumance aux machines et la dépendance aux machines sera telle que ce sont les machines qui se serviront des hommes, les modéliseront selon leurs lois d’efficacité absolue et de totale précision dans l’action et la pensée... un fonctionnement parfait, mais sans raison ni récompense du tout pour ce fonctionnement.

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1930

1930.09..., à Alfred Galpin


Fils :–

Ton exode d’avant-automne t’a fait manquer mes cartes postales de voyage – envoyées à Appleton – au moment où je recevais ta lettre tant attendue. Là tu dois certainement les avoir en main, le courrier aura suivi, et été prévenu que le Vieux Gentleman a enfin mis le pied sur un territoire loyal à votre légitime Souverain, pour ne rien dire de la découverte de la plus pittoresque et exquise relique du passé antique dans l’hémisphère occidental – la vénérable et magnifique ville fortifiée de Québec.

Québec ! Est-ce que je pourrai la chasser de ma tête assez longtemps pour penser à quelque chose d’autre ? Qui s préoccupe de Paris ou d’Antipolis après ça ? Jamais je ne me serais attendu à contempler n’importe quoi qui y ressemble, et jamais je n’en verrai d’autre ! Bientôt tu découvriras mon carnet de voyage [14] – mais pour l’instant je reste bouche bée. Toutes mes appréciations préexistantes de la beauté urbaine sont dépassées et obsolètes. Il m’est même difficile de croire que le lieu appartient au monde éveillé. Un puissant promontoire s’élevant au-dessus d’une rivière large de deux kilomètres et surplombé par une forteresse médiévale – des murs d’une maçonnerie cyclopéenne prolongeant des falaises verticales ou abruptement plantées sur leurs étendues herbeuses – les portes de la ville sous de grandes voûtes et d’effrayants bastions – des bouquets de toits pointus aux tuiles rouges, des beffrois d’argent, des clochers – des chemins archaïques grimpant les crêtes venteuses ou dégringolant dans des précipices sombres – toutes ces choses sont justes une fraction de ce merveilleux ensemble qu’est Québec. Le voyage a été totalement à l’improviste. Je revenais juste de Cape Cod avec les Belknap [15], quand j’ai découvert cette publicité pour une excursion depuis Boston à 12 dollars [16]. Et je me décidai sur le champ : c’était l’idéal pour une dernière aventure d’été, et quelle aventure ce fut ! Le temps m’a miraculeusement été favorable – et, comme Québec, a outrepassé mes attentes les plus belles. Je n’y ai passé que 3 jours, mais les découvertes visuelles ont été si continues et si assidues que j’ai éprouvé comme une affinité surprenante avec le lieu. J’ai arpenté quasiment toutes les vieilles à la fois de la haute et de la basse ville, fait le tour complet des remparts de la ville – à certains endroits, on peut marcher sur leur dessus – et, bien autrement que les murs de ton Paris si précieux, les remparts de Québec ont tous été préservés en parfait état, hors trois portes démolies et une en partie enlevée. Je suis monté à la citadelle et là encore de nombreux points de vue. J’ai pris le ferry pour Levis et escaladé la falaise au-dessus de la ville pour découvrir le skyline de Québec au coucher du soleil, et disposer de l’aspect et l’atmosphère générale d’un pays dont le lien avec notre époque et notre continent est le plus faible et le plus nominatif qui soit. Québec est vraiment un morceau détaché de la vieille France des Bourbon – un oppidum normand sur une colline élevé vers 1700 ou par là. À s’en souvenir, tout cela me semble un rêve fantastique [17]. Sur le chemin du retour, comme tu le sais maintenant d’après mes cartes postales, je me suis arrêté à Boston pour un aller-retour en bateau à Provincetown, tout au bout de Cape Cod [18]. Ce village, que je n’avais pu atteindre par la route avec les Belknap, est un peu monté en épingle de réputation, mais le voyage à la voile – ma première expérience de voilier au large – valait bien le prix de l’excursion. Se retrouver sur l’océan sans limite, hors de la vue de toute terre (comme de traverser l’Atlantique te l’a appris sans nul doute), voilà qui réveille l’imagination fantastique de la plus merveilleuse façon. L’horizon uniformément blanc réveille toutes sortes de spéculations sur ce qu’il peut y avoir au-delà, ce sont les sensations de Columbus, Madoc, Arthur Gordon Pym, ou le Vieux Marin et tous ces autres voyageurs des anciens chants et des récits qui vous roulent ensemble dans la tête et lèvent avec une impression poignante [19]. Qui pourrait dire quel étrange port ou temple la mer dévoilerait soudain au bout de la route ? Et revenir au port de Boston au crépuscule depuis le large est quelque chose qu’on ne saurait oublier. Des promontoires grisâtres – des phares comme des monolithes – des îles basses, cryptiques – quel est ce royaume vespéral du mystère qui lève comme un mirage dans le vide des brumes et vapeurs ? Phaeacia, Avalon, Tyre, Carthage, Alexandria, Atlantis la cité du Jamais [20] L’effet le plus net en est une sorte de défaite mystique des intolérables limitations dans le temps et l’espace des lois naturelles, un pulsion à s’échapper (ou l’insinuation que cette pulsion à s’en échapper est possible) des conditions et dimensions connues, pour passer à travers d’étranges et inconcevables portes dans le soleil couchant vers des royaumes de beauté et merveille qu’on n’a connu autrefois seulement dans l’obscurité, par traces et allusions d’une pseudo-mémoire si fortes dans l’enfance mais qui meurent à l’âge adulte, sinon chez les quelques rares qui n’ont pas oublié le comment vivre.

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1930.12.24, à James F. Morton


Cher diamant dédaléen de la diversité dynamique :–

[..] Et pareil pour votre façon de vous bousculer – bien sûr, toute âme mortelle est faite différemment, mais je continue de croire que vous tireriez de bien meilleures satisfactions originales si vous acceptiez de réduire le nombre et la variété de vos intérêts, et de prendre le temps d’une pleine réalisation émotionnelle à une échelle plus modeste. Votre habileté à vous saisir de la dimension intellectuelle d’un sujet en un temps très bref vous contraint à établir comme un standard d’acquisition basé pleinement sur l’intellectualisme ; là où vous atteindriez une satisfaction maximum à charger (crowding) votre esprit d’autant d’idées et d’impressions de surface que possible, et d’accepter à chaque moment une perception de vide (vacancy) qu’on ne peut pas exercer par ces fonctions d’acquisition mentale mécaniques – à un tel point que même les moments de repos et de repas doivent être remplis d’artefacts à ce processus, sous la forme de magazines populaires, lecture du Satevepost et ainsi de suite. Maintenant, il est bien sûr concevable qu’aucun de ces autres régimes ne vous fournissent un meilleur plaisir – et je ressens fortement que vous le pourriez, en renonçant à cet idéal purement intellectuel peut se produire par accident dès le début. Selon votre régime, le développement d’une vie intérieure des émotions et de l’imagination est presque annihilée ou réduite en poussière par la pression encombrante d’idées et d’émotions pas encore assimilées, et même la pleine digestion intellectuelle ou la corrélation de pures idées est presque éteinte par l’idée de le faire à contre-coeur – quelque chose inconsciemment considéré comme une tâche ennuyeuse ou un devoir contrastant tellement avec le pur délice de râtisser de nouvelles parcelles de surfaces. Le danger de tout cela est de ne pas permettre aux émotions et à l’imagination, à n’importe quel moment, de surgir et de se développer de cette façon libre et ultime (mais bien sûr au départ seulement une vaine atteinte dans l’obscurité) qui donne l’illusion d’une approximation quant à une parfaite réalisation. Je ne dis pas que cela coupe toute perception de ses harmoniques émotionnelles ou imaginatives, ou referme toutes les allées transversales de cette satisfaction à construire des associations et l’apparat de l’imaginaire visuel ; mais cela peut aider à à comprendre qu’en restreignant ces processus on en tire plus de plaisir que ce qui est donné, en compensation, en les chargeant d’idées. Par exemple, il vous faut de la conversation ou de la lecture pendant vos repas. Mais pourquoi ? Quelle barrière se referme et vous sépare du flux et de l’engendrement d’associations imaginaires avec la vie intérieure qu’apportent les impressions extérieures spécifiques qui nous traversent ? Quelle extraversion ultime ou extrême rend nécessaire de choisir entre les idées importées, et un chaos nu et muet ? Dans les mêmes circonstances – en l’occurrence, mes repas solitaires – une personne moyenne dispose de milliers de choses pour l’occuper plaisamment. Il peut résoudre ou rebrasser de précédentes images mentales ou visions imaginaires – ou, et c’est plus facile dans un moment de relaxation, il peut lâcher les rênes à de fantastiques associations à propos des objets ordinaires qui frappent sa conscience – ses aliments, les ustensiles de table [21], tout ce qui est perceptible dans la décoration [22], ou les personnages aperçus et ainsi de suite. La nourriture et les couverts eux-mêmes suffisent à une imagination active [23]. Des chaînes imaginaires sans fin condensent même depuis une petite cuiller. Cuiller.... argent... étain... Paul Revere... mines d’argent... Mexique... plat d’argent enterré... pirates... pièces d’argent... drachmes.... gobelets d’argent... encensoirs et candélabres d’argent... colonnes d’argent... dômes et spirales d’argent... les spirales argentées des beffrois de Québec... reflets du soleil sur des baïonnettes... hymne militaire... mais c’est seulement l’amorce, le début étroit d’un grand train d’associations à venir. La même chose avec la nourriture. Une tasse de café ? l’Arabie.... Haroun Al Rachid dans les Mille et une nuits... la Route de la Soie à Samarcande... Vathek.... le palais d’Eblis... Sindbad.... le roc qui s’ouvre... les goules... Java.... les prêtres de Malaisie... Angkor.... silence et mystère... les sculptures que seule la lune ose contempler... le Brésil.... vapeurs de la jungle... hiéroglyphes que personne n’ose déchiffrer.... les îles de Blest... druides.... Stonehenge... Et prenez le sucre en poudre : canes à sucre ondoyantes... la Louisiane... Lafitte... Bienville... La Salle... la Main de Fer... les jours qui furent... les portes qui semblent s’ouvrir vers d’autres mystères à l’ouest... Cuba... le château de Morro... le raid de John Carter en 1762, et les gravures imprimées à l’effigie de Shakespeare : le château Morro emporté par la tempête... la Gazette de Providence et de la région avec les « Dernières nouvelles, aussi bien étrangères que locales »... les Antilles... la Martinique... Obadiah Brown... rhum, nègres, molasse... bassinoires... Vermont... Barbades... Atlantis... crocodiles... qui a tué Billy Patteson... Nous voilà bien loin du sucre en poudre, mais ce sont des associations qui vous viendront. Et si vous ne le croyez pas, relisez l’introduction que Poe fait à Double meurtre dans la rue Morgue. Et si vous en êtes au ragout : bétail... bisons... Sioux.... bisons sacrés... lentes rivières fumant dans le crépuscule... Afrique du Sud.... le Zimbawe vierge et inconnu... [...] O Gawd ! qui voudrait remplir un plein journal de tout ce qui survient à contempler une tranche de rôti de veau à 65 cents ? Bon, maintenant vous avez probablement compris ce que je cherche à dire.

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1932

1932.07.10, à August Derleth


Cher A W :-

Vous pourrez probablement me pardonner cette missive inadéquate quand je vous ferai part des circonstances mélancoliques durant lesquelles elle fut écrite. Le 1er juillet – mon 6ème jour avec Loveman à Brooklyn – je reçus un télégramme de ma plus jeune tante, m’annonçant que l’aînée, ma tante semi-invalide (76 ans, mais l’âme vivante du 10 Barnes Street) s’était effondrée soudainement & qu’on ne pensait pas pouvoir la ramener à la vie. Reprenant aussitôt le train pour Providence, je trouvai la patiente en semi-coma ; & deux jours plus tard, malgré les meilleurs soins médicaux & la présence d’une infirmière – la fin est arrivée. La transition finale a l’oubli a été dans une telle paix et si imperceptible que pour l’instant je ne peux pas croire qu’elle s’est réellement produite. Le service funéraire s’est tenu mercredi 6, & l’enterrement a eu lieu dans l’ancien Swan Point Cemetery [24] – où moi aussi je serai enterré un jour. Le sentiment de perte, pour les deux membres survivants de la famille – ma plus jeune tante et moi-même – est insupportable ; & je crains d’être un bien piètre correspondant dans les semaines à venir. Mais de telles calamités sont bien sûr universelles et inévitables. Le jeune Brobst était ici hier soir, & m’a raconté comment la mort de son père – à Allentown – s’était produite le mois dernier. J’étais certainement en situation de lui assurer ma plus sincère et compréhensive sympathie.

Heureux de vous entendre parler de cette avancée littéraire – & désolé que Wright ait refusé votre Horreur surgie des pofondeurs. Peut-être se résoudra-t-il à l’accepter au 11ème ou 12ème envoi ! Je peux comprendre la difficulté & l’effort de mettre au point Un soir de printemps dans sa forme finale, mais confiance à votre goût et jugement pour surmonter tous les obstacles de la fin. J’accueillerai volontiers la lecture des parties que je ne connais pas, et jetterais volontiers un oeil aussi à Cinq seulement.

Tend est un magazine certainement un peu mince & dispersé pour les 50 cts qu’ils demandent. Espérons qu’il dure assez longtemps pour publier vos textes. Le prochain numéro contiendra je pense Une nuit à Malneant que les autres magazines pulp professionnels avaient rejeté. Je serai heureux de lire votre récit une seconde fois, je l’avais lue chez Loveman & je compte me la procurer rapidement.

Mon oeil m’a coûté seulement 50 cts au lieu de la facture de 3 $ escomptée. Il s’agissait seulement d’une longue et mince escarbille, & il n’y avait pas eu d’inclusion – l’occuliste a donc pu la retirer sans l’aide de la cocaïne. Il m’a dit qu’une note de 3 $ n’avait rien d’anormal quand on se servait de cocaïne – comme j’avais dû le faire en octobre dernier. J’aimerais bien savoir pourquoi mes yeux accueillent ainsi des choses trois fois plus souvent que la moyenne des gens !


1933

1933.10.24, à Nathalie H. Wooley


Chère Mme Wooley,

J’ai moi-même pris le meilleur de ces paysages d’automne, faisant de longues marches en campagne presque chaque après-midi. La plupart du temps, je prends un bus sur une des principales autoroutes, descends & traverse à pied jusqu’à ce que j’atteigne une autre autoroute desservie par un bus et puisse rentrer. Et de cette façon j’ai pu atteindre des zones très primitives et préservées ; avec d’étroits chemins à ornières entre des parapets de pierre, d’anciennes fermes à toits de chaumes (certaines de 200 ou 250 ans), avec leurs granges, étables, leurs vergers noueux, puits bien pittoresques et moulins à eaux tout recouverts de mousse, la ceinture des bois noirs se repliant tout auprès, les clochers de villages au loin et le reflet scintillant des torrents dans les vallées... toutes ces marques traditionnelles d’un peuplement continu en provenance d’Europe & que la plus vieille part du Nouveau Monde a accueilli dans son corps. L’autre jour, j’ai abouti à une très vieille maison bâtie par un des ancêtres de ma lignée – Thomas Clemence – en 1654. Elle a une grande cheminée de pierre à pilastres & est encore en excellente condition malgré son âge. L’automne ici a été considérablement léger. Les feuillages ont duré longtemps, même avec une splendeur moins éclatante qu’autrefois. La somptuosité est encore à son comble – quelques arbres commencent à perdre leurs feuilles, mais d’autres restent bien vers, et entre ces extrêmes c’est tout un kaléidoscope de couleurs. En ville, le cramoisi de la vigne vierge sur les frontons des vieilles maisons & les hauts murs de leurs jardins est d’un ravissement ineffable. Je suis allé une fois presque jusqu’à Chelmsford [25] – une si belle région, quoique la ville de Lowell soit un centre industriel désespérément moche, et largement peuplé par des ouvriers et manoeuvres d’usine – des immigrants italiens et polonais.

La fascination des mots pour eux-mêmes est certainement profonde et puissante pour ceux qui sont vraiment sensibles à la qualité musicale & aux subtiles associations imaginatives. Je ressens profondément cette fascination, et tente de me prémunir d’y succomber au point que le sens serait sacrifié au jeu verbal des couleurs. On peut tomber dans de désastreux excès à s’y livrer – Arthur Symons ou le dernier Swinburne sont de typiques victimes de cette tendance. Et pourtant, je pense globalement qu’il est mieux d’errer de ce côté que sur le versant opposé, celui d’un littéralisme sans imagination et stérile (barren). Mon propre style se définit par son flux [26]. Les premières choses que j’ai écrites (comme Festival récemment réimprimé) étaient sans conteste beaucoup trop colorées, là où mes dernières productions (La maison de la sorcière) cherchent plus le diffus. En ce moment je fais une pause, et accumule de la matière pour des expérimentations à venir [27] L’absence de beaucoup de dialogue est probablement une des caractéristiques les plus permanentes de mon style, parce que les histoires que j’écris concernent des phénomènes bien plus qu’ils ne concernent des gens. Le centre réel de signification, dans une histoire fantastique, n’est pas une personne, mais un état des choses – d’où le fait qu’il serait peu recommandé de donner trop d’emphase à une narration qui imposerait à ses personnages humains de venir constamment au premier plan. Du moins pour des raisons conscientes. Alors ma préférence pour le texte sans dialogue vient plutôt au côté essentiellement vieille manière de ma technique littéraire. Je suis un archaïste de naissance en toutes choses, & l’impact du XVIIIe siècle et de l’époque de Poe est si forte sur moi je ne pourrai jamais échapper à mon penchant pour ces temps.

Le plus cordialement et et sincèrement,

H.P. L.

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1933.11.27, à Nathalie H. Wooley


Chère Mme Wooley,

Même si c’est une bonne époque pour y naître – j’ai de grands doutes quant au futur, puisque mon opinion est que la civilisation existante a passé son point de crête et glisse dans une longue descente comme celle de Rome dans la dernière période d’Antonin. Mon point de vue est conforté par le monumental Déclin de l’Occident de Spengler. La guerre et la corruption ne cesseront jamais, parce qu’ils sont la marque principale des instincts humains les plus permanents et sans possible éradication. Bien sûr, l’ingénuité et le sens commun trouveront des moyens de réduire le nombre des conflits armés majeurs, & de contrôler de plus près les voleurs politiques – mais les vieux instincts seront toujours au travail, & requerront autant d’intelligence dont ils sont capables de leur côté que nous pourrons en déployer contre eux. Tout individu ou groupe est & sera toujours prêt à tout autant qu’il lui sera possible de l’être. Cela peut-être une guerre « hors-la-loi » ou pas, mais elle viendra toujours moissonner tôt ou tard, que nous l’appelions « hors-la-loi » ou pas. Et chaque fois qu’un groupe souhaitera certaine chose avec assez d’âpreté et ne pourra l’obtenir par des moyens pacifiques, il se la procurera par force dès qu’il se sentira en puissance de défaire quelque combinaison de forces qui pourront lui être opposées. Et pareillement, partout où restera une faille dans les droits civiques pour des voleurs, il y aura toujours de ces chers officiels pour en profiter. Le progrès est une illusion. La période la plus civilisée dans toute l’histoire du monde a probablement été l’époque de Périclès à Athènes – environ 450 ans avant J-C. Et pourtant, la science mécanique, qui a levé de profondes épaisseurs de la pensée, continuera d’évoluer considérablement avant la prochaine ère d’obscurité & le départ à neuf. Des vaisseaux de l’espace tels que la science-fiction traditionnelle en a con !us sont peut-être encore au-delà des probabilités (les obstacles à leur lancement étant nettement plus grands que ce que le voudrait l’imagination populaire), mais je pense qu’un voyage en fusée vers la lune (que son extrême proximité place dans une catégorie à part) sera probablement tentée – d’abord avec des projectiles sans occupants, puis sous forme de cargo humain. Qu’un être vivant puisse survivre à un tel voyage et en revenir est une autre histoire. Probablement que toutes nos idées actuelles – et futures – quant aux corps célestes sont totalement à reprendre... et surtout les idées populaires de la science-fiction à bas prix. Pour commencer, le nombre de corps habités par des entités organiques hautement évoluées, à n’importe quelle période du cosmos est probablement très réduite. Il faut ce qui relève d’un accident très rare pour produire le flux de modifications biologiques aboutissant (si on peut dire) sur cette planète à l’humanité. Il est peu probable que n’importe quelle autre planète de ce système puisse receler des citoyens à évolution complexe – & pareil pour les autres systèmes similaires (s’il y en a), nous ne le saurons jamais. En gros, les résultats d’une telle évolution complexe dans d’autres sphères diffèreraient indubitablement de tous les Hul Jok ou Korus Kan de l’infatigable et fastidieux M Edmond Hamilton ! Il y a aussi la possibilité que la vie soit seulement un attribut temporaire de cette région de l’espace et de cette période particulière ] la structure complexe qui organise d’autres sections de l’espace-temps étant totalement étrangère à la combinaison cellulaire anabolistico-katabolistic que nous observons et incarnons ici. Plus nous apprendrons du cosmos, plus il nous apparaîtra sauvage. Après Einstein & de Sitter (j’ai assisté à une de ses conférences) nous devons désormais envisager un cosmos en constante expansion, sans limite à son futur en vue – sinon une infinie vastitude et dispersion. Dans cette hypothèse, il n’a pu exister au-delà de 5 milliards d’années dans le passé – & tout le monde de rêver et d’imaginer à ce qui a pu exister en amont. Probablement un cycle d’expansion et contraction, de dispersion et recombinaison, dans le vortex éternel de l’unité des forces...

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1934

1934.01.03, à Nathalie H. Wooley


Comme pour les dernières étapes du progrès en poésie, on ne doit jamais se hâte. La croissance est une affaire de lenteur, & plus inconsciente & plus spontanée elle est, mieux elle continuera plus loin. Laisser les images & ambiances en arrière des poèmes doit toujours avoir votre première considération. La forme bien sûre est importante, mais le matériel imaginatif à cet instant doit prendre prépondérance sur elle. Utilisez les ambiances qui vous sont les plus naturelles – vous avez déjà pris votre élan avec ce sauvagerie délicate, ouverte au cosmos, qui semble une caractéristique de votre langage.

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quelques notes

[1Importante lettre, dans la correspondance à Kleiner, parce que Lovecraft y développe une autobiographie intime, bien en amont du glissement vers la fiction, à une échelle qu’il ne reprendra pas. Il y parle notamment de sa relation avec son grand-père, et sa mère est bien sûr encore en vie.

[2Après le décès de sa tante Lilian en juillet 1932, Lovecraft lui reprendra deux toiles de sa mère, dont une sera au-dessus de son bureau jusqu’à sa mort. Elles n’ont pas été conservées.

[3Annie Gamwell, qui partagera la vie de Lovecraft, College Street, de 33 à 37.

[4C’est pourtant bien de la viole que jouera, dans un des textes les plus hallucinants de Lovecraft, le musicien Erich Zann.

[5Reinhart Kleiner, Ira A. Cole, Maurice W. Moe et Lovecraft lui-même : pseudonyme collectif d’abord utilisé pour des publications dans le journal des United Amateurs, mais définissant aussi un de ces cercles de lettres tournantes, chacun rédigeant pour l’ensemble des autres.

[6Ces archives photographiques de la famille de Lovecraft ont disparu après le décès de sa tante Annie Gamwell.

[7Une des premières expériences de correspondance circulaire – il y en aura bien d’autres, tout au long de la vie de Loverraft ] ici donc seulement avec Alfred Galpin et Maurice Moe.

[8L’usage du carbone, pour l’envoi simultané aux deux correspondants, rendait obligatoire l’usage de la Remington 1906.

[9Noter que Lovecraft date sa lettre du 18 mai 1722, soit juste 2 siècles d’anticipation.

[10Plus tard, dans ses lettres, Lovecraft désignera plutôt Sonia par ses initiales d’avant son premier mariage, S.H. pour Sonia Haft.

[11Rappelons les 2 exceptionnels documents cinématographiques sur le New York de l’époque, Manhatta de Paul Strand et Charles Sheeler en 1921, et 24 Dollars Island de Robert Flaherty en 1927, qui sont 2 poèmes visuels à la fondation du cinéma.

[12La Penn Station était à l’époque un des plus beaux monuments de New York, dont le remplacement par le béton actuel fait toujours frémir les amoureux de la ville.

[13The past is real – it is all there is. Une des plus célèbres et denses affirmations de Lovecraft, répétées dans chacun de ses textes sur l’art de la fiction.

[14Ce que Lovecraft nomme ses travelogues est un des mystères de l’oeuvre : eût-il écrit plus longtemps, ces guides de voyage en projet auraient-ils pour lui pris plus d’importance que la fiction ?

[15Lovecraft profitait souvent de la Ford de Frank Belknap-Long pour accompagner leurs échappées familiales dans le Vermont ou Cape Cod, c’est l’une de ces échappées à Cape Cod, 2 ans plus tôt, qu’il s’était offert son baptême de l’air.

[16Rappelons que le loyer mensuel de HPL est de l’ordre de 40 dollars, son entretien représente à peu près la même somme, et que la publication d’un récit dans Weird Tales représente en moyenne 35 $.

[17Lovecraft enlumine souvent le mot, écrit fantastick dream.

[18Cette petite ville, d’un kitsch déplorable maintenant au regard de la majesté du lieu, me crée petit pincement à penser que Lovecraft et Hopper auraient pu s’y croiser, puisque c’est là qu’il peint son fameux phare... Deux étés plus tard, Lovecraft se rendra aussi à Nantucket, dont il fera le tour à bicyclette.

[19À nouveau, la surprise que Lovecraft n’inclue pas Moby DIck, pourtant lu quelques années plus tôt à New York, dans ce sanctuaire des grands récits de mer.

[20Le pur travail d’assonance de ces noms devenus invocations chez Lovecraft – je les garde tels qu’il les écrits.

[21Je révère particulièrement cette lettre à Morton pour cette étrange et inattendue convergence de Lovecraft et de Georges Perec : « Faites attention à vos petites cuillers », nous enjoint-il dans la célèbre introduction à L’infra-ordinaire, et, parlant de ces ustensiles de table, c’est par la petite cuiller que va commencer Lovecraft...

[22À rapprocher de Sonia, dans Mémoire sur la vie privée de H.P. Lovecraft, se souvenant comment, lors d’un de leurs premiers repas dans un caboulot grec de Boston, une peinture naïve avec ruines de l’Acropole avait nourri que toute la soirée Lovecraft lui parle d’antiquité grecque...

[23Dans l’énumération qui suit, je me contente d’un déchiffrage à vue et de la part la plus aisément transposable...

[24Là où Lovecraft lui-même est enterré, à côté de son grand-père ainsi que son père et sa mère. Les tombes deux tantes sont ailleurs, avec leurs maris respectifs, aucune d’elles n’a eu d’enfant.

[25Les quelques indications géographiques données par Lovecraft donnent l’échelle de ces promenades loin au nord de Providence, sur la frontière du Massachusetts – où sont les vieilles villes ouvrières de Lowell ou Lawrence, sur la rivière Merrimack qui leur a historiquement fourni leur énergie motrice. Lovecraft ne le dit pas ici, mais c’était aussi le terme de ses expéditions en bicyclette, adolescent.

[26My own style is in a state of flux – la référence à l’usage physicien du mot est directe.

[27Sur ces textes et expérimentations d’octobre 1933, partiellement détruits, voir ma vidéo sur Le livre, qui en est une des traces subsistantes.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
1ère mise en ligne 19 juin 2017 et dernière modification le 11 août 2017
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