personnages #2 | une généalogie au féminin

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Madame Saint-John Perse, une généalogie au féminin


C’est un exercice que je pratique certainement depuis plus de vingt ans, mais sans cesse avec la même curiosité. Qui fascine justement par sa capacité à se laisser approprier, quel que soit le public auquel on le propose. Pour l’usage habituel que j’en ai, plusieurs traces sur le site, mais voir par exemple cette présentation, avec des extraits qui seraient pour moi comme la base de départ.

Pas d’hésitation, dans ce cycle, à repasser par ce genre d’exercice : les interroger, les pratiquer, c’est aussi se préparer à mener soi-même un atelier dans cette direction, et ça concerne une bonne partie d’entre nous. Mais surtout, le pousser plus loin : Saint-John Perse inscrit délibérément ce texte extraordinaire, le chapitre VI d’Exil, dans une forme uniquement masculine. Que nous ayons à reconstruire le récit de l’histoire, de la littérature, dans un appui différent, on est évidemment chacun et chacune convaincu. Des figures de femme ayant exercé durant la Seconde Guerre mondiale, dans les conditions les plus extrêmes, une prise de responsabilité individuelle (c’est le schéma qui préside à l’accumulation de Saint-John Perse), on saurait tou.te.s en décliner des noms, de Charlotte Delbo et Anne Frank à Marguerite Duras et Nathalie Sarraute, Simone Weil et tant d’autres, encore l’enjeu ici va-t-il être de partir en quête des anonymes.

Maintenant, en soi ce n’est pas suffisant. Ce qui m’induit à vous proposer cet exercice : on a commencé avec cette approche formellement éclatée de ce qu’est un visage, à partir de fragments d’Edmond Jabès, où cette notion est centrale.

Les textes sont magnifiques, et c’est pour cela que j’y reviens : il ne s’agit pas pour moi d’accumuler des textes qui répondent magnifiquement à un exercice, mais de préparer le terrain pour des narrations et recompositions à échelle plus large, comme on l’avait fait pour la nouvelle. Alors je voulais revenir à cette première pâte granulaire, comme sculptée à la main.

Pour cela, en revenir d’abord à l’origine : les silhouettes dessinées ou gravées dans les plus anciennes grottes, et ces figurines liées au mythe de la fécondité dans les plus vieilles civilisations préhistoriques, mais aussi la façon dont les enfants organisent leurs tout premiers dessins sur des silhouettes anthropomorphes, bien avant de les compléter d’une maison et d’un soleil.

Le but, ici : une accumulation où chaque silhouette est brièvement modelée en une seule phrase, comme les mains feraient de l’argile. Et ça, oui, par un principe d’accumulation, délibérément pour élargir le « répertoire » de matière brute qui nous servira progressivement pour les récits à développer.

Ensuite, la généalogie, pour deux raisons qui touchent au socle. La première, que l’accumulation généalogique est un trait commun aux premiers récits de chaque civilisation, en parallèle des récits mythologiques : c’est pour cela que je prends l’exemple de la Bible. La deuxième, que c’est très vite un récit lacunaire : on peut chacun probablement remonter à deux générations, mais dès la troisième commencent à s’installer des zones grises, les noms, les traces, les trajets, on ne sait plus. On va donc très très vite devoir lancer des suppositions dans l’imaginaire, ou bien avec les outils de l’imaginaire, et pourtant l’obligation que ce soit pertinent, puisque vérifiable par nous-mêmes et celles.ceux qui nous ont faits.

On va donc sculpter une suite de petits personnages en une seule phrase, les choisir dans notre généalogie, verticale, horizontale, et très vite à cette frontière où on ne dispose pas d’éléments d’information. La phrase « celui qui est parti et dont on ne sait plus rien » n’informe pas sur le personnage, mais est néanmoins un texte qui l’inclut.

La forme de Saint-John Perse, l’accumulation de propositions relatives, avec la principale tout au bout du texte ? Parce que, là où on convoque l’espace privé pour l’accumulation généalogique, le « celui qui » et « celle qui » protège en éliminant les noms propres, protège en éliminant les liens familiaux et générationnels, protège en éliminant les temporalités. Cette accumulation est présente en permanence et simultanément en chacun.e de nous.

Cette compression de personnages (on peut aller à vingt, il faut « fatiguer » le texte, la fabrique, la mémoire... Saint-John Perse nous en délivre près d’une centaine) en une seule phrase, mais procéder par accumulation de personnages différents, je crois que c’est un « tour de main », un outil d’écriture essentiel. On est, pour une fois, réellement dans un atelier, comme un atelier de sculpture avec modèle.

Et généalogie, même si je comprends que ça puisse en gêner certaines et certains, parce que ça nous oblige à cette frontière où il peut y avoir supposition et imagination, mais ni information vérifiable ni savoir ni traces matérielles. Vous avez du mal avec la proposition : prenez arbitrairement une date (1890 ?) et cherchez l’ensemble des personnes et des vies qui, à cette date, ont un lien énonçable avec leur descendant auteur, aujourd’hui.

C’est en lien aussi au troisième exercice, qui va suivre très vite.

La vidéo est un peu longue et je m’en excuse : pour moi c’était important de contextualiser ce chapitre d’Exil, c’est le contexte qui lui donne sa dimension et son ambition. La difficulté même à comprendre le vocabulaire est un élément : on se re-figure intérieurement ce texte indépendamment de son permanent appel à des vocabulaires spécialisés (dès le début : « laquer en haute mer »). La problématique initiée par le nom fictif de l’auteur, dans la bio à la troisième personne qui ouvre le Pléiade, la fabrication de Saint-John Perse par Alexis Léger, est un élément de la génétique du récit qui nous concerne aussi : l’auteur, depuis lors, n’est plus indépendant de son texte (s’il l’a jamais été).

Il y a donc bien une consigne précise et énonçable : accumulation d’une suite de propositions relatives dont chacune sculpte en un fragment de phrase un personnage précis de votre généalogie, indépendamment de la distance temporelle, de l’éloignement ou de la proximité du lien, et surtout du savoir (ou son absence) qu’on a du personnage sculpté.

À vous lire, et à très vite pour la troisième proposition ! Cet exercice est une étape pour moi vraiment importante et nécessaire, si humble qu’elle paraisse. Il ne s’agit pas d’appliquer un exercice, mais de l’aborder comme exploration et recherche.

Atelier qui peut être âpre et violent, frustrant, comme tout le contraire, à une main tendue, un souffle soudain de loin revenu.

Et d’en faire un récit au féminin, oui une provocation peut-être, d’où ce jeu de mots sur « Madame Saint-John Perse » mais voir aussi mes récentes vidéos du dimanche, sur Lucile de Chateaubriand ou George Sand, ou Carol Dunlop et Cortázar : la tâche certes a commencé, mais nous y inscrire n’est pas neutre.

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1ère mise en ligne et dernière modification le 26 décembre 2019
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