#écopoétique #09 | Pierre Patrolin, enfoncement dans la substance

écopoétique et éthique : une chance pour l’invention de récit ?


 

vers une écopoétique, #09 | Pierre Patrolin, enfoncement dans la substance


Vers une écopoétique, #08 : à partir de La traversée de la France à la nage, de Pierre Patrolin (2012), récit de la ville, construction et disposition humaines, énoncées depuis un point virtuel en mouvement, horizontal donc, à la surface de l’eau.

Vers une écopoétique, #09 : à partir de Voyage au centre, de Pierre Patrolin (2018), un même point virtuel en mouvement, mais cette fois dans un enfoncement vertical.

Enfoncement : non pas dans le corps humain, comme — selon le même ancrage mythologique ou symbolique — Rabelais le fait faire à son narrateur (les lettres en désordre de son propre nom) dans le corps de Pantagruel, le géant ; mais bien dans la « substance ».

Et pour cela, merci de bien vouloir écouter, dans cette vidéo de Jean-Paul Hirsch à la sortie du livre, Pierre Patrolin parlant de son Voyage au centre.

Il y dit, Pierre Patrolin : quelle est la matière, au sens philosophique du terme, qui nous sépare du centre ?

Et plus loin : dans cette fascination du voyage à travers la matière, la possibilité de voyager ou s’enfoncer (« à suppose que », dit-il) dans un bout de bois, ou pourquoi pas un morceau de sucre.

Et bien sûr, à l’arrière-fond, dès le titre, le Voyage au centre de la terre de Jules Verne. Mais justement, chez Jules Verne, on projette et accompagne trois personnages forcément anthropomorphes, puisque s’agissant de l’oncle, du neveu et de leur guide.

« Non pas roman d’un voyage, mais roman d’un projet », dit Patrolin dans la même vidéo.

Et tout le livre sera ce travail funambule : le narrateur descend un escalier, prend un métro, fouille avec ses mains dans la vie quotidienne (j’assume l’ambivalence de la formule), et dans l’instant de cette action revient l’obsessive gamberge : ce que serait cet enfoncement, ce voyage.

« Partir vers le bas » : l’illusion de la fiction sera celle-ci, que le récit de cette gamberge pourra s’appuyer sur l’action réelle (je descends l’escalier depuis mon appartement : et s’il continuait encore et encore ? ou bien : le métro en grondant s’enfonce dans le tunnel : et où mène alors ce tunnel s’il descend en continu et sans limite ? et si, parce que cela je ne peux le définir, je remplace ce récit par la description réelle d’un tunnelier en travail ?).

Chez Jules Verne, narration linéaire : les trois héros reviendront à la surface (et quel récit, magnifié par nos enfances !). Chez Patrolin : la permanente ambivalence de cette gamberge légitimée par la vie ordinaire, et l’installation obsessive, récurrente, de ces passages qui sont un instant de l’enfoncement.

Voir pour cela les trois micro-passages rassemblés dans l’extrait à télécharger.

Enjeu pour nous : non, le corps anthromorphe ne peut pas s’enfoncer dans un bout de bois, un morceau de sucre, et la plus profonde mine bâtie par les hommes (Germinal ?) ne nous donne que peu d’information sur la possibilité d’approcher le noyau ferreux en fusion de la terre. Mais ce point virtuel, oui.

Et quel sera alors le récit tenu, non à vue d’homme, mais depuis notre fascination symbolique et mythologique pour l’exploration de la matière ?

On est dans l’invention et l’exploration ? Oui.

On ne dispose pas d’éléments pour rendre cela autrement que gratuit ? Oh si. Parce que, ce que nous lègue Pierre Patrolin, comme dans tout récit fantastique (genre dont il ne se revendique pas), c’est la contrainte du crédible.

Ainsi cette quête obsessive, mais horizontale — dans la ville de Paris ceinte par son périph’, quel centre ? — d’un point de départ pour l’enfoncement vertical : on devient tellement prisonnier de cette quête horizontale que le récit d’enfoncement qui s’y emboîte dispose de la même qualité de représentation, parfaitement réelle, même si bien provisoire.

Le récit seul avance pour nous dans un fragment de matière. À vous de déterminer le territoire de l’exploration, pourvu qu’il vous concerne. Bout de bois, morceau de sucre, ou descente dessous les caves et sédiments ?

À vous d’écrire : le gage déjà que nos textes à venir seront totalement surprenants.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 4 novembre 2024
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