retour François Bon, journal images
les pages personnelles de François Bon

arc en ciels (le 21 avril 2004)

 

François Bon, le journal images


Au hasard d'un morne trajet d'autoroute, cette fin avril, je me souviens brusquement d'une digression de Jean-François Lyotard, à Paris VIII, en 1979, sur les arc-en-ciels. J'assistais à ses deux cours, l'un était sur la philosophie de l'histoire chez Kant, et l'autre une digression libre sur l'esthétique, je crois qu'elle avait lieu le samedi matin, c'était prévu pour durer deux heures et ça en durait parfois le double.

Il m'en reste, à vingt-cinq ans de distance, des éclats. Une projection commentée de diapositives de Monory. Une réflexion sur pourquoi les affiches de cinéma (à l'époque) étaient illustrées de dessins plutôt que de photographies du film. Et cette digression dont je n'ai aucun souvenir du contenu, qu'il a publiée peut-être, sur la rareté des arc-en-ciels, phénomène éphémère, dans la peinture et même la photographie. En gros, le geste de l'artiste étant lui-même intervention éphémère, captation d'instant, il était peu compatible avec la reproduction d'un hasard naturel, surtout quand ce hasard témoignait que la perception même n'offrait pas le réel, mais l'ensemble optique par quoi le réel nous devient perception. L'arc-en-ciel nous insère, comme sujet organisateur de la perception optique, dans le réel dont nous nous croyons spectateur. A preuve ce qu'on dit aux enfants, dans les contes, au sujet de ce trésor qu'indique le pied de l'arc-en-ciel: sur l'autoroute, il avance à même vitesse que la voiture.

Il y a cependant de beaux arc-en-ciels en peinture, chez Constable ou chez Hopper, ou les vieux Hollandais.

J'ai une grande dette à Jean-François Lyotard, pour cette rigueur, côté Kant, et cette finesse sauvage de l'approche esthétique, radicalement "moderne", où il nous emmenait pendant quatre heures d'affilée, au lieu de deux, uniquement sans doute pour le plaisir qu'il prenait à ce qu'on lui témoignait du nôtre. Au bout des quatre heures, nous n'étions plus qu'une poignée pour l'entendre: ce bon pain de la curiosité, pourtant. Je goûtais moins les cours de Gilles Deleuze, que ses fans transformaient en happening. Aujourd'hui, j'ai un rapport à leurs écrits quasiment en symétrie inverse.

Le temps des autoroutes est un temps suspendu. Des prises de studio hasardeuses de Led Zeppelin, premières ébauches des morceaux, m'accompagnaient ce matin. J'ai peu respecté les limitations de vitesse.