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les pages personnelles de François Bon

Baudelaire, visite de politesse

 

François Bon, le journal images

C'est un rituel tous les ans, trouver le prétexte pour longer le cimetière Montparnasse et entrer saluer Baudelaire.
Pour ma part, un rituel lié au retour du soleil, au printemps qui revient sur la ville et provoque d'y marcher, de réapprendre à y perdre du temps. Baudelaire et la ville, c'est la même chose.

La tour Montparnasse regarde l'ensemble des tombes. On s'y habitue. J'en avais même fait une nouvelle, autrefois, pour le défunt Serpent à Plumes: ça s'appelait Le dernier descendant de Charles Baudelaire. Il y aussi les tombes de Tzara, Beckett et bien d'autres: voir visite sur remue.net, Gisants magnifiques.

J'ai toujours un regard aussi pour ces maisons qui n'ont de paysage que les morts, mais cela veut dire aussi les arbres, les oiseaux? Surtout cette maison étroite et haute, où les fenêtres ne sont que d'un côté...

Baudelaire, on le sait, est à l'horizontale entre sa mère (au-dessus) et le général AUpick (en-dessous), dans l'ordre inverse des noms sur la plaque. Venir sur sa tombe, c'est toujours surprendre ces petits gestes d'autres lecteurs souvent venus de si loin: les Parisiens n'ont pas l'occasion de venir là déposer trois clémentines en hommage.

C'est toujours un inventaire un peu surprenant, ce vieux geste de déposer quelque chose sur une tombe.
Un petit bout de bâton qu'on ramasse sur place, une rose qu'on prend sur une tombe voisine (à moins que rapportée d'Amérique du Sud?), une cigarette de son paquet, deux marrons ou trois coquilles d'escargots: la main qui a ramassé les escargots, se souvenait-elle de : Dans une terre grasse et pleine d'escargots / Je veux creuser moi-même une fosse profonde, / Où je puisse à loisir étaler mes vieux os / Et dormir dans l'oubli comme un requin dans l'onde ? Pendant des années, depuis que j'accomplis ce pélerinage, la concession voisine était à louer, on pouvait la réserver.
Savez-vous, j'avais commencé à me renseigner sur les démarches: se réserver appartement mortuaire au voisinage immédiat du squelette de Baudelaire. Ça me paraissait une belle provocation, un peu dada dans l'âme. Et puis je ne l'ai pas fait. Comme si ça aurait pu entraîner que je m'y retrouve plus tôt que prévu.
N'empêche, vu le monument genre frigo en granit reconstitué qui s'y est installé depuis, fait de l'ombre au poète mais peu s'en chaut, on aurait dû souscriptionner pour en réserver collectivement l'espace...


Je regarde aussi l'arrière de la tombe.
C'est plus discret, mais à tous les coups d'autres amoureux de Baudelaire sont passés aussi. Les poèmes sont repliés et glissés dans les fissures. Peutêtre tombent-ils jusque dans le caveau?
Parfois, des fourmis en sortent: ça m'impressionne toujours qu'elles aient pu visiter, elles, du dedans, le cerveau mystique.

Mon propre exemplaire des Fleurs du Mal, relié de cuir rouge (édition de l'Imprimerie Nationale, mais j'ai aussi le Corti bien sûr, et le Pléiade, et en janvier Thierry Maré m'a offert les Fleurs en traduction japonaise), je l'avais posé sur la tombe, un genre d'autographe en somme.
Avec ma clé de voiture, j'ai ma petite barrette mémoire USB qui contient les manuscrits en cours: ça peut dialoguer avec l'informatique, le fraternel et mystique chaînon ?

sti