rapport concernant le nouveau monde
de ce qu'on nommait les nouvelles étendues [version 3]

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ou un autreTumulte au hasard  : pygargue roux

Un monde d'une étendue considérable s'était ouvert très soudainement en travers du nôtre, l'ordinaire. On aurait imaginé, dans cette bande de terrain déjà fertile et irriguée par endroits, plus sèche ou hérissée à d'autres, qu'on y avait dessiné par avance le lieu de nouvelles villes, de futures zones portuaires, de bassins d'industrie. Et pour le reste, c'était à nous d'apprendre à traverser, d'en dresser les cartes, d'en surmonter les obstacles. Les premières décennies, on avait beaucoup souffert de la division. Par exemple, de Paris à Rouen il fallait comme traverser un continent. On s'était acharné à rétablir des communications par le haut, via les satellites, mais les nouvelles étendues avaient surgi partout sur la vieille sphère encroûtée de la terre : à croire qu'elle se rattrapait du mal que trop longtemps on lui avait fait, et les satellites désorientés on les avait finalement égarés. Et puis on s'était adaptés : on se passait bien du cousin de Rouen, on oublie le frère à Paris. De nouveaux îlots de commerce pénétraient l'étendue, et les inévitables conflits suivaient bien sûr : allait-on si vite se refaire. Des maladies couraient : on aurait dit qu'elles empruntaient d'abord les couloirs des anciennes routes, les voies des anciennes cartes. Alors la vieille terre s'est mise à mourir plus vite. On disait qu'ailleurs, dans les {étendues} (tout le monde disait {les étendues}, ceux qui étaient restés comme ceux qui partaient s'y établir) le temps recommençait. Mais c'était l'étendue, qui s'était multipliée, encore élargie et le temps courait toujours aussi vieux : rien n'avait changé des jours. On avait moitié oublié les laboratoires, les savants, les chercheurs concentrés dans les anciennes capitales, séparés désormais les uns des autres ou rivés à leurs anneaux d'expériences qui n'avaient rien anticipé. La vieille terre, désormais bien plus grande, amollie, ralentissait vite, se refroidissait perceptiblement. Seuls ceux des nouvelles étendues savaient résister, ou l'avaient appris, s'y étaient endurcis. Peut-être aurait-il fallu plus tôt partir. Il paraît qu'ils ont à présent écrit de premiers livres sur leur jeune histoire.

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 11 avril 2006
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