du besoin de se rassembler
nouveaux lieux de déambulation dans les villes

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ou un autreTumulte au hasard  : exhumation du crâne de Baudelaire

On avait pris acte de ce besoin des gens de se rassembler. Les établissements religieux avaient eu autrefois cette fonction : minces cathédrales ici, puissants temples de l'autre côté du monde, ou même ces élévations de pierre au haut des caps, avec les morts dans leurs chambres inaccessibles. La ville avait rêvé de devenir elle-même, et de façon séculière, cette totalité rassembleuse : c'était le moment du verre et du fer, des passages et panoramas. Mais la ville moderne avait bien sûr éclaté beaucoup trop vite un modèle impossible, bien trop lié à un nombre dénombrable et fini d'individus, disposant tous d'un nom. Est-ce qu'on s'était pour autant départi du rêve ? Sans doute pas. Il y avait eu ces utopies de tours, de dalles, et même ces plaques souterraines avec longues alvéoles dessous la ville. Il y avait eu ces succédanés aux rites religieux (ils n'attiraient plus que des êtres dépassés, rigides : on en prenait dégoût de {toutes} les religions), par ces stades, ces concerts, et souvent aux mêmes lieux. La même chose sans doute que se voir de loge en loge au-dessus d'un opéra, encore un de ces succédanés vides qui s'était traîné malgré les messes de plus en plus violentes, de foules de plus en plus égales, que la nuit des villes et des fêtes rassemblait. C'était un mouvement total. Les villes ne souhaitaient plus se distinguer par leurs monuments ni leurs cérémonies, mais leurs nuits blanches festives, les jeux, les écrans géants qui démultipliaient avant tout l'image de ceux-mêmes qui s'assemblaient. Tristes temps : mais tous les temps avaient été tristes, qui comportaient toujours cette mort en eux de ce qui donnait sens, jusqu'à l'instant présent, à la communauté des hommes. On souhaitait donc renaissance. On avait bien tenu jusqu'ici. Les sports n'attiraient plus que quelques acéphales. Les télévisions n'attiraient plus, on se regardait soi-même sur les écrans où on installait ses images, si facilement. Les concerts à quoi bon : le même spectacle qu'on connaissait d'avance. Non, les nouvelles formes étaient vraiment neuves. On aménageait ces lieux de rendez-vous. On les laissait vides. Tout le monde s'était félicité quand on avait même dégagé les grands espaces malcommodes de la Bibliothèque nationale de leurs livres (les étudiants qui venaient là pour être ensemble, les enseignants pour justifier de frais de déplacements à la capitale, pouvaient recevoir tout cela chez eux : plus de prétexte), et la dalle de Tolbiac avait enfin trouvé une vraie signification, sous grand ciel et son vent, un écart profitable de la ville pourtant serrée alentour, avec ce jardin désormais ouvert, les allées en contrebas, juste pour cette déambulation : nous devenions enfin à nous-mêmes, et c'était suffisant, notre propre spectacle. Les architectes avaient rivalisé d'invention : si longtemps qu'on ne leur avait donné à moudre. Des espaces pour rien, que du bonheur. Dans une première grande métropole de province, Lille exactement, on avait nommé Lieu Perec (on ne voulait pas du mot usé d'{espace}, et on n'avait pu trouver mieux) cet ensemble comportant aussi des travées souterraines, une vaste verrière sous le ciel, et cette impression de suspension que cela vous donnait. Il n'y avait rien à y faire, rien à acheter ni à vendre. On y entrait et en sortait librement. On prenait juste à nouveau conscience que dans cette déambulation on n'était pas seul : on avait des frères, des sœurs. On pouvait ensuite, chez soi, fréquenter les sites de rencontre, commenter ce qu'on avait vu des autres, chacun en faisait autant. Le travail à domicile, pour ceux qui avaient du travail, était de toute façon devenu la règle, on venait de supprimer les dernières écoles maternelles, remplacées par les structures parentales. Les villes s'étendaient si loin, se rejoignaient même. La circulation y était collective, automatisée. On s'était débarrassé de tant de choses. A Angers, on avait osé nommer tout simplement {cathédrale} l'immense bulle déambulatoire recouvrant les anciens jardins publics et une partie de la vieille ville, où toutes les maisons, vidées, devenues communicantes, donnaient à chacun l'impression d'un dédale infini, qui rassurait. On reprenait goût à la communauté : on vivait désormais à nouveau ensemble. On déplore vraiment qu'à nouveau des violences brutales soient constatées dans chaque ville, sous les verrières, ceux qui brutalement vous assaillent et s'enfuient, vous dépossèdent de vos mémoires électroniques et bracelet à payer. On déplore vraiment ce retour éternel de l'ancien : que leur faudrait-il donc ? Et tant de guerres nous entourent. {{{ }}}

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François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 22 avril 2006
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