#40jours #35 | barricades

La grand-mère comme on l’appelait dans le quartier aimait donner des pâtés aux chats. Il y’en avait beaucoup dans le quartier. Ils se partageaient le secteur et grimpaient sur les bancs de pierre devant le parc. Il y avait aussi là quelques clochards. Des hommes avec de gros nez rouges et une grande barbe blanche, toujours un litron à la main qui ne demandaient rien à personne, qui parfois criaient un peu fort comme on chante. Pas loin, la halle au vin était en travaux. Des travaux si longs que l’on se questionnait parfois de savoir si cela n’avait pas toujours été en travaux. De l’autre côté de la voie ferrée aussi, le chantier était tellement immense que l’on devait passer en voiture au-dessus sur une passerelle construite provisoirement à cet effet : la traversée du chantier. On parlait de la construction du vingt et unième arrondissement. De très hautes grues tournaient lentement au-dessus de nos têtes, des pelleteuses et des camions-bennes roulaient en déplaçant de la poussière tout autour. Grues, pelleteuses et engins de chantiers que la plupart des enfants du quartier avaient naturellement demandés pour Noël. Aujourd’hui, la place de la Bastille est comme neuve. L’escalier descendant sur le canal est plus humble que ce que montraient les plans d’architecte, une longue succession de marches blanches comme on en avait vu devant le Parthénon sous l’œil d’Athéna. À cette époque, lointaine, les statues voyaient croyait-on, mais elles n’avaient pas d’yeux. Tandis qu’aujourd’hui le génie de la Bastille en haut de la colonne de Juillet a ses caméras et il voit. Le génie surveille et régule. Il protège les morts des révolutions qu’il garde. Ses yeux balaient les avenues Haussmaniennes, les percées de rénovations successives. Il veille sur les progrès afin que l’on ne mélange pas à l’avenir sept momies égyptiennes avec les centaines d’hommes, femmes et enfants tombés sur les barricades. Ces barricades bâties de pavés, de meubles, de ferrailles, de barrières de chantiers, de gravats, de portes, de fenêtres, de poubelles, de sacs de sable, de blocs de ciment, de parpaings, de panneaux, de bouts d’escalier, de rampes, de planches, de poteaux, de traverses, de carreaux de faïence, de tuiles… Et derrière lesquels on attend les outils à la main. 

A propos de Romain Bert Varlez

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