#40 jours #37 | Le long des rivières

Juin 2022

Je sors de mon garage, je sors de la ville en empruntant un chemin plein d’ornières, de verre pilé et d’herbes folles, il longe la voie ferrée. Un jour, oui, il y aura là une piste cyclable entre les deux villes voisines, plus de 130 ans après l’invention du pneumatique démontable par les frères Michelin ; la légende dit qu’ils avaient eu l’idée en aidant un cyclotouriste anglais à réparer ses Dunlop. Après avoir traversé la route à gros trafic, le trait d’union matériel des deux cités, le chemin devient blanc et caillouteux et s’en va dans les champs colorés de coquelicots à flanc de colline. La chaleur commence à se faire présente, je mange à l’ombre d’un arbre, j’emprunte un chemin moelleux à l’herbe rase, ombragé par une ligne de feuillus, et rejoins des lotissements, puis le centre. Je traverse l’Allier, je prends des petites routes, un petit col, je contemple les horizons volcaniques, j’approche la rivière parfois ; le premier soir, il pleut, je dors sous l’abri de la buvette d’un stade de foot, ensuite je croise quelques petites villes, quelques villages, je mange sur une table en bois colorée et tachetée par les mousses et lichens, j’avais déjà mangé dessus il y a quelques années, le temps se distend, je traverse des ponts suspendus, des métalliques, des ponts en arche de pierre, je dors dans des campings pas toujours ouverts ; près d’une nationale j’entends la nuit des bruits de moteurs de camions, les claquements de porte et les voix étrangères des routiers; ils s’arrêtent sur toute petite aire en surplomb que je découvre au matin; je teste les toilettes publiques de petits bourgs, je vois des orgues basaltiques, je suis les gorges, je suis le vol des rapaces, d’en dessous, d’en dessus, je rejoins le plateau et en redescends plusieurs fois, je reçois des averses, je croise des marcheurs tête basse sous leur poncho, des pèlerins du chemin de Compostelle, un troupeau de vaches bloque la route, je bois une bière, je bois des cafés, je bois aux fontaines, j’ai chaud, j’ai froid, je suis fatigué, je m’étire, en haut du plateau j’hésite à couper directement vers la vallée du Rhône, ce serait dommage à une journée du but, je redescends encore près de la rivière, le soleil et le vent dans le dos m’offrent des moments d’allégresse, j’ouvre les portes des boulangeries en salivant, la rivière se fait de plus en plus petit serpent argenté au milieu des champs et des forêt de résineux, je tourne à l’Est et bascule vers les Cévennes, il fait maintenant vraiment chaud, la végétation a bien changé, je descends les gorges du Chassezac, des ruines d’usine au fond du lit, je m’arrête aux Vans à l’ambiance déjà estivale, j’ouvre des abricots, je roule à travers la garrigue, je roule entre des murs de pierres sèches, je traverse la Cèze que je devrais longer maintenant, je découvre cette région anciennement minière, je me perds un peu, je demande mon chemin à deux pas d’une voie verte que j’emprunte, plutôt que traverser par un chemin pierreux et raide la montagne, je flâne, la fraîcheur d’un tunnel me fait du bien, je rejoins un temps une nationale en faux plat descendant, j’emmène gros pour en sortir au plus vite, puis enfin regagne une plus tranquille départementale, je longe une magnanerie, j’arrive près du village un peu tard, je m’installe avant la nuit dans un camping presque désert au bord de la Cèze, des chiens de chasse courent et aboient au milieu des arbres, je m’hydrate abondamment, je suis fatigué, j’attendrai le lendemain. Le matin, je reçois par messagerie de précieuses indications, j’approche le village lentement, je m’arrête devant ce qu’il reste du parc, il y a encore de beaux arbres derrière un mur de pierre, jadis ils s’étendaient bien plus loin. Il fait déjà chaud, je fais un petit tour dans les ruelles. Je pars de l’autre côté, je passe le pont où il croisa le capitaine Perrache, alias l’homme de la montagne. Réalité ou fiction ? Le mistral ne me donne pas le loisir de répondre à la question. Un bouchon se crée, deux voitures s’étant engagées face à face. Je regarde la carte, je n’ai pas à traverser, je prends l’autre direction.

A propos de Laurent V.

J'avais participé avec plaisir et découvertes à des ateliers d'écriture "papier-table-stylo" au tout début des années 2000, j'en avais animé aussi alors étudiant shs, ensuite j'ai surtout fait du vélo dans la ville comme travail, et en dehors en vacances, tout en continuant un peu à lire, notamment grâce au numérique ! Présence web : un compte insta renvilo , et un site pour rendre disponibles des vieux textes des premiers cyclotouristes : velotextes .

2 commentaires à propos de “#40 jours #37 | Le long des rivières”

  1. Un pèlerinage sur les traces d’un livre ?
    En tout cas, on suit ton avancée pas à pas.
    C’est un peu intrigant.
    Merci pour ce texte qui donne envie de partir !