#40 jours #39 | La joie d’être deux

Elle voit dans son écran d’ordinateur ce monsieur qui a tout lu, tout écouté et surtout tout bu. Il avait tout avalé d’une traite en ne perdant pas une miette de son refrain : dans ses vestiaires de l’enfance, elle a tout perdu et elle s’est perdue à rattraper un temps qui ne lui revenait plus à l’esprit. Elle s’est perdue dans un tout petit miroir, celui qui lui disait qu’elle était belle alors que ce n’était même pas vrai. C’étaient des paroles qu’elle aurait voulu entendre de sa mère ; tu sais, je t’aime ma fille. Mais sa mère n’a jamais existé qu’à travers les paroles de sa propre mère : tu n’es qu’une sale trouille. Et elle maintenant avait la trouille de tout. Elle n’existait pour personne, même pas pour son chat ou ce qui restait de son chat. Son clone ? Son chat de cirque ? Son chat d’une toute petite comédie qui s’est jouée avec indécence à son insu. A l’insu de son plein gré fallait-il plutôt dire. Elle n’avait plus rien d’autre à dire que : foutez la paix aux invertébrés et ne forcez pas le destin des autres. La vie est une compétition dans laquelle il faut mourir. Qui va mourir le plus vite ? Le grand-parent, le parent ou l’enfant ? Qui pourrira le plus vite sous la terre ? Qui montera le plus vite au neuvième ciel, au paradis des chats et des lamantins ? Toute cette histoire est lamentable, mal jouée, mal écrite et surtout mal scénarisée. Il faudra reprendre tout depuis le début avant de s’apercevoir que la petite n’a jamais rien dit d’autre jusqu’ici que les indicibles adieux n’existent pas que pour les autres. Elle a dit adieu à ses chats mais pas à ses petits chiens. A part la petite Douce qui comptait beaucoup pour elle. Un petit chien de rien dans laquelle il y avait tout : un attachement certain et surtout ce que les humains n’avaient pas, l’amour de son prochain et cette soumission au temps. Douce s’était soumise au temps qui passait et maintenant il n’y avait plus rien d’autre que des photos de la bichonne, de toutes petites photos où elle montrait sa soumission. Elsevier était soumise elle aussi, beaucoup trop soumise. On lui avait fait peur pour qu’elle ne quitte pas son chemin et qu’elle ne se perde pas dans les bois. Alors elle s’est perdue sur son chemin qui l’a emmenée à la case départ. Elle était revenue chez elle, dans sa petite case à elle, en su casa. Elle était dans sa petite maison de poupée Barbie Turique. Elle avait des médicaments et pouvait faire ce qu’elle voulait avec. Elle n’en prenait qu’un seul à la fois, comme la cuillerée de maman quand elle était bébé. Mmmmhhhh, c’est bon ça….. Et la cuillerée de papa ? Il n’avait pas le temps, il travaillait à la GSP. Il était franco-belge, il avait fait des stages pour devenir plombier-chauffagiste avant la faillite de son usine. Il tuait les taupes et les ragondins qui avaient envahi son pré. Il tuait tout sur son passage. Un fameux killer des familles qui faisait de la compétition avec sa toute petite famille. C’est à qui réussirait le mieux avec des enfants qui feraient de belles études et qui auraient une bonne situation. Pour sa mère, c’était pareil. C’était la compétition à qui serait le plus musclé avec la semoule Blédina ou la cervelle d’agneau aux épinards. De la toute petite blédine, de la semoule de blé dans du lait bien sucré. C’est vrai que c’était bon mais Elsevier en avait eu assez. Maintenant, elle avait le goût amer du café dans la bouche, comme si son enfance était un bonbon de cyanure qui lui remontait à la bouche. L’amertume du cyanure qui avait envahi Jean Moulin quand il était mort-né. Pourquoi écrivez-vous ?, demande l’abruti qui ne sait rien dire d’autre qu’il a tout lu, tout entendu, tout bu et tout avalé comme un aspirateur à pulsations. J’écris parce que je ne sais faire que ça, écrire pour m’exprimer parce qu’on ne me laisse pas parler. Je ne sais pas prendre la parole et j’ai dû mal à parler châtié. J’écris comme je parle, avec des trémolos dans la voix qui m’empêchent d’avancer et d’aller plus loin que je ne m’étais imaginé. J’ai beaucoup trop rêvé cette nuit et il est temps d’avancer dans cette misère. Elle n’avance plus à rien dit-on dans son cerveau. Elle n’avance que dans la nuit avec ses rêves éveillés qui l’empêchent de bouger et de marcher. Elle ne ressemble plus à rien la petite fille de demain. Elle n’a jamais voulu jouer à qui sera le plus abruti ? Elle n’a jamais voulu jouer aux lendemains, ces tout petits lendemains qui chantent pour un rien comme le pépiement des oiseaux dehors. Réel ou imaginaire ? Nomade ou sédentaire ? Que veut la petite fille ? Bouger, se remuer ou rester à résidence toute sa vie avec un jardin et un pré carré ? Tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle veut voir l’océan au moins une fois avant de mourir. On l’incinérera peut-être et on la mettra sans doute dans son jardin, son tout petit jardin, sa petite case de fille casanière qui aimait bien bouger pourtant. Elle ira par les chemins remplir son sac à dos d’herbes à défaut de rencontrer des gens vraiment bien intentionnés. Elle joue les derniers instants de sa vie, de ses pipis au lit aux pipistrelles de l’envie qui peuplent sa toute petite planète. Elles vont venir au mois d’août et résonneront au-dessus de sa tête. Elles siffleront avec leurs ailes de chiroptères et elle ira jouer à la poupée avec son chat. Elle est une toute petite poupée dans sa maison de Barbie Turique, la petite fille de demain, celle qu’il faudra bercer avant de s’endormir, celle qu’il faudra encourager plutôt que la maudire. Celle qu’il faudra soutenir pour renforcer ses anticorps plutôt que l’achever à coups de barbituriques et d’examens en tous genres qui ne ressemblent plus à rien. Dans ce monde aseptisé et ultra médicalisé, on contrôle tout, même les pensées de chacun. On contrôle les pleurs de l’enfant, les miaulements du chat, on ne se contrôle plus pourtant ici bas dans son intimité. Il faut faire bonne figure tout le temps et ne penser à rien d’autre qu’au lendemain plutôt qu’être dans cet instant présent. La course à l’enfant a démarré hier. Il faut qu’elle se démarque sinon elle ne restera plus sur Terre. Elle se savoure à coups de café, ce goût amer du café de l’enfant cyanosée qu’elle était à sa naissance. Mourra ou mourra pas ? Qu’est-ce que l’enfance veut dire quand on t’a tiré les cheveux pour que tu sois belle ma fille ? Comme si elle n’était pas suffisamment assez belle au naturel, avec ses tout petits cheveux qui commençaient à frisotter. Mais elle les voulait lisses, la gamine, pour ressembler à l’autre abrutie de la télé, la grande duduche qui servait la soupe au lait à midi, sur Midi Première, avec Cloclo et ses Clodettes. Il y avait Top à Jojo et ses copains, la bande à Jojo qu’Elsevier a vu partir en frémissant beaucoup. Jojo, c’était Jo Dassin et Marie-Jeanne. C’était cette chanson là qui trottait dans sa tête. Cette Marie-Jeanne qu’on n’avait pas retrouvé au matin puisqu’elle s’était jetée du haut du pont de la Garonne, la daronne des lendemains qui chantent sous la pluie en ayant écouté le train avant de s’endormir.

Elle s’est endormie sous un train et a changé de maison cette nuit. Elle a rêvé qu’elle habitait une autre maison et que son frère venait habiter la sienne. Elle était seule dans cette nouvelle maison, avec sa mère pour la rassurer. Comme si elle n’en n’avait pas assez fait. Elle avait besoin d’une béquille, d’encouragements et pas de paroles assassines. On dirait peut mieux faire dans le langage des instits de son enfance. Un encouragement ou une sentence ? Un encouragement-sentence puisqu’aucun conseil n’était donné dans le peut mieux faire. Fallait-il ne rien dire et ne s’attacher qu’aux autres, à ceux qui ont déjà tout compris ? Elle n’était la chouchoute de personne et elle s’en foutait. Elle avait été assez chouchoutée à ne rien faire d’autre que remplir sa vie solitaire de petite fille unique avec deux frères. Elle était fille unique et s’était sclérosée dans sa petite bonbonnière rose bonbon avec des meubles en merisier, comme les « contes de fée » de la comtesse de Ségur. Une véritable petite fille modèle pour celle qui était souillon et brouillon comme Sophie Rostopchine. Elle avait vu sa tombe à Pluneret. C’était là qu’elle avait commencé à délirer ou c’était bien avant ? Ça personne ne le sait. Elle ne supportait plus les tombes de son enfance et s’était assez promenée dans les cimetières. Et voilà que maintenant, on la baladait encore dans tous les cimetières de la vie, de sa petite vie d’insecte, de papillon qu’on a épinglé au bout de la lorgnette. Dans le petit trou de sa lorgnette, il y avait la pêche aux moules et les petits verts de Saint-Etienne. Les Stéphanois comme on disait à l’époque. Elle avait ce goût de la langue de son époque, avec ses néologismes et ses anglicismes. En su casa, il y avait des chansons et des refrains, beaucoup de sornettes regardées par le petit trou de la lorgnette, des expressions toutes faites et des dogmatismes qu’elle n’avait pas battus en brèche. Elle s’était battue contre elle-même et pas assez avec les autres. Elle s’était battue comme un chien, pas pour la performance, mais pour exister enfin. Elle ne faisait ni de belles phrases, ni de jolis poèmes, elle existait déjà pour elle-même. Tout ceci partirait à vau l’eau dans les oubliettes de la sphère internet. Et elle finira internée à jamais dans son tout petit cachot à écrire des billevesées pour une éternité. Et l’éternité, c’était demain. Ça y est, elle est déjà apaisée la petite fille de demain à écrire tout ceci sur son parchemin. Son pashmina ? Mais où se cache Mina, la chatte abandonnée et mal aimée avant de trouver un foyer aimant ? Ce foyer, c’était le sien et elle s’était attachée à elle, à cette petite sauvage comme elle s’était attachée à sa Cerise, une autre sauvageonne celle-ci. Elle, c’était la petite sauvage des prés, une sauvageonne au milieu des blés, une nielle des blés qui s’intoxique avec elle-même parce que les autres sont toxiques avec elle. C’est une histoire de résilience humaine, de résilience bon teint, pour expliquer que les nourrissons ont besoin d’affection pour ne pas grandir trop vite et qu’il ne faut pas les laisser pleurer trop longtemps quand ils ont faim. Il faut leur donner de l’amour avec patience et courage, pour les encourager à grandir, à mûrir, à vieillir et à mourir dans la plus grande des sagesses. Elle n’en était pas encore là. Elle avait du chemin à faire et n’était pas trop pressée par la mort de son prochain. Elle prendrait le train de la littérature avec qui bon lui semblerait, mais pas sur ces chemins là. Elle prendrait le chemin de la réalité, de sa réalité à elle et pas des souvenirs qu’on aura fabriqués pour elle. Avant de faire la guerre à la guerre, il fallait déjà qu’elle soit en paix avec elle-même plutôt que penser aux diktats de la société. Qu’est-ce qui nous rendrait plus humain ? Déjà de se réconcilier avec soi-même et de prendre le chemin de l’assise. Il fallait une bonne assise pour se conformer aux désirs des autres. Elle avait pris ce chemin depuis un bon bout de temps mais on ne lui avait laissé que le temps de se conformer à la volonté des autres. Elle n’était rien d’autre qu’un chemin et ne voulait pas qu’on en fasse avec ses quatre volontés. Elle n’avait pas besoin qu’on lui dise ses quatre vérités sans encouragement. Elle n’en n’avait plus rien à faire des mots des autres, des mots qu’on avait choisis pour elle. Ce n’était pas du palimpseste, c’était de l’inceste toute cette indécence dans la poubelle des : qui qui veut mon livre, j’en ai plein à vendre dans la poubelle des cieux. Allons donc d’abord dans l’éther des internets et on verra plus tard ce qu’il y aura après.

A propos de Elise Dellas

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Un commentaire à propos de “#40 jours #39 | La joie d’être deux”

  1. « Il fallait une bonne assise pour se conformer aux désirs des autres. Elle avait pris ce chemin depuis un bon bout de temps mais on ne lui avait laissé que le temps de se conformer à la volonté des autres. Elle n’était rien d’autre qu’un chemin et ne voulait pas qu’on en fasse avec ses quatre volontés »
    « Elle n’en n’avait plus rien à faire des mots des autres, des mots qu’on avait choisis pour elle. Ce n’était pas du palimpseste, c’était de l’inceste toute cette indécence dans la poubelle des : qui qui veut mon livre, j’en ai plein à vendre dans la poubelle des cieux. »

    Rien à ajouter, mais vous, certainement que si ! ça pulse jusqu’à la voie lactée ce texte ! Merci pour vous et pour celles et ceux à qui ça parle.