#40jours #23 | Rochelle

Elle a toujours aimé passionnément la mer ; ça lui vient de l’Algérie. La maison de Guyotville avait les pieds dans l’eau. L’hiver, on entendait la nuit, ses coups de poing sourds et réguliers contre le mur de soutènement. Elle sort de la résidence La Claire Fontaine, un mouroir couleur corail où ses enfants l’ont assignée en résidence surveillée ; elle prend l’avenue Léon Jouhaux, bordée de villas proprettes aux volets fermés (l’été est encore loin). Elle note les palmiers touffus et les platanes dénudés. Au bout du lotissement, elle s’engage dans la rue de Gantières, bordée sur la gauche d’un pré gras. La route s’élargit et passe devant une antenne rouge et blanche planté au sommet d’un modeste monticule. On dirait un terrain militaire. Elle longe la barrière métallique blanche jusqu’à la porte d’entrée. Gendarmerie Nationale. « Ah, voilà, c’est bien ce que je pensais ». La zone, écrasée par la lumière froide de ce matin de janvier, semble réservée aux édifices publics ; elle atteint le Lycée polyvalent Léonce Vieljeux (elle est trop fraîchement arrivée dans la ville pour savoir que ce fameux Léonce fut maire de la Rochelle). Après le centre commercial et son ESCAPE GAME, la route s’élève en pente douce bordée de maisons basses. Portails en fer forgés, murs bas en pierre de taille, palissades de bois blanc. Au sommet de la collinette se trouve un immeuble de quatre étages avec de larges cages d’escalier vitrées verticales en façade et des ouvertures longues et horizontales masquées par des moucharabiehs de béton. Laideur symétrique. Elle remonte encore la rue de Gantières jusqu’au numéro 1, parvient à un carrefour orné de trois pots de fleurs géants de couleur rouge. Elle longe un mur peint figurant un lapin accompagné d’un lapereau qui porte un cartable puis s’oriente vers la rue des corsaires. Elle passe le panneau La Rochelle avec en dessous un second panneau. Trompette. Elle croyait être en ville. Mais non, elle se trouvait à perpette : à Trompette. Comment a elle accepté de venir ici ? Trompette, ses fresques puériles, des villas sages, ses centres auto, ses pharmacies. Elle s’engouffre dans la rue des Corsaires qui ondule en courbes molles. Le quartier se densifie avec de plus en plus de blocs d’immeubles d’habitation collective. Une piste cyclable entourée de pelouses occupe le centre de la chaussée. Elle se souvient d’être venue en mission ici, en 1976, pour le ministère de l’équipement. Cette année-là, le maire Michel Crépeau avait pris l’initiative de proposer gratuitement des vélos jaunes aux habitants qui pouvaient les emprunter à leur guise. La Rochelle devenait alors la première ville cyclable de France. Il devait bien en rester quelque chose. Elle poursuit sa route sur l’avenue Jean Guiton (encore un ancien maire), dépasse le parc Colette Besson (elle se souvient de la petite française brune et nattée qui a gagné le 400 mètres à Mexico en 1968. Personne n’y croyait, pas même elle), longe une zone commerciale où se dresse incongru, un centre de Kung Fu décoré d’un tigre et un dragon (le dessin est nettement plus soigné que la fresque nunuche au lapin). Le parcours n’en finit plus. Elle s’ennuie : entrepôts logistiques, menuiserie aluminium, carrosserie toutes marques, centres médicaux, toute la platitude d’une modernité productive s’étale en longueur. Elle note l’absence presque absolue de recherche esthétique, de petits signes singuliers qui pourraient réveiller l’attention. Il n’y rien à voir. Du moins, elle ne voit rien. Elle traverse une ville qui se répète, grignote des kilomètres mais piétine. Cela n’en finit pas. Enfin, elle aperçoit des grands pins maritimes. Quelque chose vient avec une odeur d’iode. C’est la mer et avec elle le mouvement et la lumière.

A propos de Geneviève Flaven

Je suis née à Paris en 1969. En 2001 à Nice, j’ai fondé une agence de conseil en design puis suis partie à Shanghai pour développer mes activités. Le départ en Chine m’a mené vers l’écriture et la publication. Depuis mon retour en France en 2019, je me consacre à la création et à l’animation de projets collaboratifs de théâtre documentaire. Théâtre : The 99 project (http://www.the99project.net/ ) Blog : Shanghai confidential (https://shanghaiconfidential.wordpress.com/)

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