#retoverso #01 | notes caniculaires en une seule rue

RECTO

dans la rue longue qui descend un courant d’air brûlant fait voler les cheveux aux terrasses; blancheur étourdissante des façades ; un pigeon, les pattes rongées à l’acide des gouttières claudique vers le caniveau à sec ; au tabac de l’angle personne ne fume, une femme quémande une cigarette comme prêcher dans le désert ; stridence de freins, l’auto, la seule de la rue, se fige, le bitume brûle ; dans la librairie Québecoise, climatisée, il fait un froid polaire : rayonnage de poésie impeccablement rangé, livres serrés : Adrienne Rich dépasse d’un ongle, je tire – la couleur de la robe de la libraire n’est pas assortie à ses yeux ni à mon souvenir qui ne conserve d’elle qu’un semblant de sourire à cheveux clairs ; une petite galerie tenue par un anglais mathématicien photographe voyageur, en devanture cette photographie noir et blanc : embarcation à fond plat, sorte de péniche réduite voguant dans un paysage urbain ; à bord, sable en tas ou tas de grains, fil traversant avec linge, taches claires soulevées par le vent, une bicyclette et des ombres s’adossent à la cabine, en arrière plan, une cheminée d’usine fume, – est-ce qu’il pleut -, ce doit être l’Asie ; de l’autre côté de la rue les fruits à l’étalage sont comme des têtes miniatures qui sèchent; les affiches du mur d’après on l’air de visages déchirés ; vitrine badigeonnée au plâtre mort ; poteau d’angle tagué ; ici la rue Saint-Jacques se resserre; d’un coup, murs lépreux : on dirait que les immeubles se penchent en sautant une époque en arrière; une poubelle déborde d’emballages plastique, un papier vole (combien de temps encore, pour tout, pour rien : les questions comme les papiers gras se trainent sur le trottoir, trente et un an plus tôt faisait-il aussi chaud? je marchais là avec un ventre de Sumo en attendant la nuit qui serait blanche ) ;  » meilleur pâtissier  » : compositions de gâteaux en plusieurs tailles et à plusieurs étages qui ne suent pas malgré la chaleur qui monte aux joues et lève le coeur, trois américains nez à la vitrine tirent la langue en s’essuyant le front ; une odeur de poisson s’échappe d’une fenêtre aux accords de guitare ; lui est couché sur le trottoir près d’une gamelle d’eau et d’un collier sans chien; en place de la librairie d’occasion qui vendait des livres d’art, des articles de fonte en suspension, accessoires pour s’augmenter et jouir du muscle sur fond de laque noire; le trottoir désert s’élargit la rue plonge, j’aperçois La Sorbonne

VERSO

elle remonte du sous-sol en tirant sur le pantalon qui la serre aux fesses mais baille à la taille : il te va comme un gant le pantalon de mon mari ne manque que la ceinture et le bandana et tu es parée pour la fête : C’est mon premier jean de toute ma vie, regarde mes fesses XXL elle fait un tour de marche, manque tomber, la copine qui tient boutique n’a plus de cheveux ; c’est combien ? elles rient, leur gaieté infuse les soies pendues ; des jambes avec des varicosités noires, le corps se devine sous le motif de fleurs, un assemblage de peau et d’os qu’on dirait cousu main : vous n’auriez pas une cigarette. Vingt tans qu’elle passe, Adrian – tu as vu ses images de la Chine – lui en offre souvent, aujourd’hui il est fermé ; l’homme qui parle se recoiffe avec sa main droite, la gauche serre le poing ; un coup de frein au feu fait tourner les têtes; et la femme s’éloigne, là-bas, plus haut, vers le pigeon qui a soif



			

A propos de Nathalie Holt

A commencé en peinture, a vécu de théâtre et d’opéra, des années de scénographie plus tard ne photographie pas que son lit, tient son journal en images, écrit et marche chaque jour a publié un peu pour aller au bout d’un geste ( Ils tombaient ) ( Averses) https://www.amazon.fr/stores/author/B09LD7R2KY . Écrit pour lire.

6 commentaires à propos de “#retoverso #01 | notes caniculaires en une seule rue”

  1. « et la femme s’éloigne, là-bas, plus haut, vers le pigeon qui a soif »
    Vous faites voir Nathalie. Vous faites vivre. Merci.

  2. Merci Nathalie pour ce texte dt on partage par tous les sens la complicité. Caniculaire !

  3. C’est une toile de Toulouse-Lautrec, et c’est immense,
    et l’on ressent ce tord-boyau au coeur… pressentiment loin devant…

    et cette merveille (comme les Ponts de Rimbaud…)
     » – est-ce qu’il pleut -, ce doit être l’Asie ; de l’autre côté de la rue les fruits à l’étalage sont comme des têtes miniatures qui sèchent; les affiches du mur d’après on l’air de visages déchirés ; vitrine badigeonnée au plâtre mort ; poteau d’angle tagué ; ici la rue Saint-Jacques se resserre; d’un coup, murs lépreux : on dirait que les immeubles se penchent en sautant une époque en arrière »
    Merci Nathalie pour la fièvre et les angles renversés

    • ça été difficile d’entrer dans cette proposition après Boost, Merci Françoise pour la lecture qui pointe un passage où peut-être un petit chemin à ouvrir

  4. un bonheur de lecture et des perles relevées au passage « la couleur de la robe de la libraire n’est pas assortie à ses yeux ni à mon souvenir » « les fruits à l’étalage sont comme des têtes miniatures qui sèchent… visages déchirés… plâtre mort » : merci Nathalie !