autobiographies #04 | ouverture au bridge.

–        Calenzana , Picciu café, juillet 198*.

Une nuit d’été, une nuit bleue, une place, un café, les clients en terrasse rient, crient, les personnes qui sont à l’intérieur accoudé au comptoir sourient, parlent, mais on ne les entend pas, des garçons en tee-shirt, des filles en robe, ils sont beaux, elles sont belles, il fait chaud. Le ciel est illuminé de mille têtes d’aiguilles brillantes. Sur la place, il y a des joueurs de boules, qui se cachent des étoiles sous les platanes, ils s’amusent. Un ensemble d’hommes et femmes profitent d’un soir d’été dans la joie, c’est irréel, il est certain que d’une minute à l’autre un individu antipathique, caché de tous, va se lever et hurler dans un mégaphone « Coupez ».

–        Le Vavin cercle de jeux, rue Vavin Paris 6eme.

Une petite rue dans le quartier de Montparnasse près du boulevard Raspail. Le boulevard est éclairé de lumière jaune électrique, le trottoir brille comme du charbon, les piétons parisiens, silhouettes grises et noires, avancent fièrement, fixés sur leur objectif. Ils ressemblent à ces chiens d’arrêts, butés, le nez au sol, incapable de dévier de leur ligne. La rue Vavin est étroite, des immeubles en pierre de taille, en bas d’un immeuble, le Vavin. La vitrine est opaque, on devine des silhouettes à l’intérieur, ombres fixes cachées par l’opacité de la vitrine. Autour des tables il y a deux ou quatre joueurs, des joueurs d’échecs, de bridge, de backgammon. Ceux qui n’ont pas commencé leur partie parlent, et dans ce petit espace, ces quelques conversations comblent le vide. Les joueurs vous regardent, l’œil sérieux, ici on joue de l’argent, ils oublient sûrement qu’ils jouent, comme les enfants, ils sont tous l’air absents, concentrés dans leur fuite.

–        Une carte postale, en noir et blanc, le port de Saint-Jean-de-Luz

Les vacances à Saint-Jean-de-Luz, ils évoquaient souvent ces vacances-là. Ils devaient être réunis, sûrement un de ces moments ou la vie est parfaite et éphémère. Leurs yeux brillaient à l’évocation de ce temps d’avant. C’était un refuge, un trésor qu’ils regardaient de temps en temps, comme un bijou que l’on sort de son écrin, ils avaient vécu ces moments. Pourtant à chaque fois qu’ils parlaient de ces vacances, après les sourires, c’était lui qui se levait et qui quittait la pièce en sortant son mouchoir. Sur la carte de son dictionnaire rose, Saint-Jean-de-Luz c’est tout en bas, les Pyrénées-Atlantiques, près de l’Espagne, leur bout du monde.

–        Un restaurant à Rungis.

Devant ce restaurant à la façade bleu, il y a un grand parking, quelques voitures garées.  A l’entrée il y a un grand aquarium avec des homards vivants à l’intérieur, eux aussi sont indifférents. Ils bougent peu.  Le bruit des gens à table est intimidant, ils sont comme chez eux, ils sont libres. C’est une impression étrange, manger près d’inconnus, eux ça ne les gêne pas. Un serveur vient nous questionner, il veut savoir ce qu’on va manger, il devrait le savoir. Dans l’air flotte des odeurs fortes, des odeurs de fruit de mer. Au dessert, c’est une omelette norvégienne, le serveur arrive, il verse du grand marinier sur le plat puis il allume une allumette et l’omelette flambe. Ce feu, c’est un début.

A propos de Laurent Stratos

J'écris. Voir en ligne histoire du tas de sable.