Autobiographie #9 / Entendez-vous ?

Entendez-vous ?

Quand il me prend dans ces bras, qu’il me parle tout bas, je vois la vie en rose ; je l’entends chanter, elle est dans la cuisine, près du poêle à charbon, je sens le pain perdu, elle chante une chanson de Piaf, elle chante bien, posé sur la table en formica imitation bois, ses ustensiles, le saladier dans lequel elle trempe le pain rassis, je sens  le mélange de lait, d’œufs, de sucre, à une extrémité de la pièce le vaisselier en bois clair, sur ses portes des gravures, en haut les verres, dans le tiroir du milieu les couverts, en bas à droite, les conserves, derrière la porte du milieu en bas, les assiettes et les bols, la vaisselles, à gauche je ne sais plus, à l’autre extrémité de la pièce un évier blanc posé sur un meuble en stratifié blanc lui aussi , il rit, il est sur le lit, il lit comme toujours, ce jour là une série noire, un Paul Kenny, le lit est en tissu orange avec des tables de chevets intégrées, chacune ayant une lumière cachés que l’on allume grâce à un petit interrupteur dissimulé, sur les murs du papier peint, des motifs circulaires oranges et marrons sur un fond blanc, il se lève , il met un disque, une chanson de Brassens envahie la pièce, l’entendez-vous ?  Il me sourit,  non ce n’était pas le radeau de la méduse, ce bateau, qu’on se le dise au fond des ports, on sent le gas-oil, pourtant, il y du vent, c’est lui qui lève la houle, on attrape quelques petits poissons avec une ligne tenue à la main, le mouvement régulier de la houle nous use, un manège, la toupie, les hauts parleurs diffusent une chanson de Claude François, on la devine, elle est couverte par les cris des enfantsl’entendez-vous ? Je ne peux plus rien y faire, je ne sais plus comment faire, les poutres, la porte, les meubles, tout est rose ou presque, la moquette est blanche en laine, j’entends un grésillement, je m’assoie en bas de son lit, je reconnais le rythme des paroles, une chanson de Céline Dion, elle me tourne le dos, puis se cache sous sa couette, l’appareil diffuse : il pense à moi, je le voie, je le sens, l’air est chaud, pourtant la nuit est noir, tout est kitsch, coloré et un peu écœurant, les objets, les meubles sont trop maquillés, du plastique, du bois peint, des dorures, au restaurant en bas c’est l’heure de pointe, il y a une file d’attente sur le trottoir, les portes de la salle sont ouvertes sur la rue, on devine un Fado, l’entendez-vous ?

A propos de Laurent Stratos

J'écris. Voir en ligne histoire du tas de sable.

2 commentaires à propos de “Autobiographie #9 / Entendez-vous ?”

  1. je l’entends; ça se déploie dans un présent sensible. léger et grisant comme une chanson