autobiographies #04 | lieux d’adresse

Le dernier carnet d’adresse physique qu’elle ait rempli date de 2004. Après cette année-là, elle ne prenait même plus la peine de recopier les adresses dans ses agendas successifs. En 2004, il y avait quelques adresses physiques et postales, avec des numéros de téléphone, et il y avait aussi des adresses mail. Des adresses postales pour envoyer une carte postale ou du courrier, et des adresses mail pour envoyer des courriels. Pas besoin de domiciliation pour avoir une adresse mail. Il suffit juste d’ouvrir un compte dans n’importe quelle application de messagerie électronique pour avoir une adresse mail et échanger avec qui bon nous semble. Il en va de même pour twitter, instagram, facebook, whatsapp et autres applications qui ont leur messagerie interne et privée lorsqu’elle n’est pas piratée. Ce carnet d’adresses était rempli avec un stylo. Aujourd’hui, avec son smartphone, elle le remplit avec un clavier virtuel. Elle ne change pas vraiment de pose pour consulter tout ça. Elle peut être assise, allongée ou debout pour écrire ou lire, c’est selon l’appréciation et ses petits habitudes. Dans ce vieux carnet d’adresses, il y a des lieux qui ont certainement changé. La rue de la sirène à Montargis, elle ne saurait pas très bien dire où c’est, ni l’avenue de Paris à Versailles. Certains individus de ce carnet sont décédés, ont déménagé ou ont totalement disparu de sa vie. Des liens et des fils qui se sont distendus, voire coupés, et il y a ceux qui n’apparaissent même plus dans ce carnet, ceux qui ont été zappés, faute de temps et de volonté. Les adresses mail ont elles aussi changé pour la plupart d’entre elles. Il y a les messageries courantes et privées, et les messageries professionnelles et fonctionnelles. On peut évidemment toutes les rassembler en un seul outlook, mais on peut également les garder totalement séparées. Dans ce carnet d’adresses, il y a ceux qui n’ont pas encore de boîte mail, ou qui ne l’ont pas avoué. Et il y a ceux qui ont des sites internet. Twitter, facebook, instagram et whastapp n’existent pas encore. Car certains de ce carnet d’adresses sont aujourd’hui sur ces réseaux avec lesquels elle converse par SMS ou messagerie instantanée et privée. Elle ne discute pas et elle ne communique pas de la même manière avec toutes ces applications qui ont leurs usages propres et distincts, selon l’utilisation qu’elle veut en avoir. Il y a les comptes anonymes et les comptes désanonymisés. Il y a la famille, les amis, les anciens de l’école ou de la fac, ceux que l’on suit et ceux qui suivent, les liens qui ont été tissés sur ces toiles virtuelles qui forment un large réseau local, national et international. Car les amis de mes amis sont aussi mes amis, cela va de soi. Ou pas vraiment. Elle a remplacé le vulgaire carnet d’adresses par le smartphone, couteau-suisse ou « bon à tout et propre à rien », comme disait son grand-père, de son époque contemporaine ? Elle, elle dirait que c’est plutôt une petite boîte à outils pour tous qu’on lit sur le pouce. Un mobile qui trace aussi son chemin, qu’elle emmène partout et sous n’importe quel prétexte, pour appeler ou pour chercher une adresse et se rendre chez quelqu’un. C’est l’ami des petites virées, le smartphone, quand le carnet d’adresse était l’ami des amis et de la famille. De tout temps, elle a eu son lot d’illusions et de désillusions aussi bien avec son carnet d’adresses qu’avec son smartphone. Ce n’est pas le medium qui change la relation, c’est celleux qui le transportent. En 2004, elle se contentait d’écrire et d’appeler. Maintenant, on se voit, on s’entend et on se transporte en un tour de main mais on ne se touche pas. C’est la magie contemporaine du 21ème siècle qui s’est enfin numérisée. Il n’y a plus de problème de distance, les problèmes sont sur et dans les réseaux.

A propos de Elise Dellas

Court toujours. Ou presque... La retrouver sur son compte Instagram.