autobiographies #11 | Des parures de belette

Elle n’avait pas beaucoup de toilettes, la belette. Elle préférait les bijoux et les vestes en vison aux grandes toilettes des soirées de la préfète. Dans son petit village, un manteau en vison pour cette femme toujours jeune dans les années 50, ça détonnait sur le marché hebdomadaire de Brou, entre deux paniers de légumes et des cages à lapins et à la volaille. Elle ne le sortait pas souvent, son manteau de vison. Pas besoin de sortie pour le vison dans la campagne islérienne. Il sortait de l’armoire pour les grandes occasions. Une veste au carré pour petite femme au cube qui aurait très bien pu arborer de la belette ou de la fouine, mais c’était beaucoup moins chic que le vison roux-marron qui était à la mode, dans les années 50. Un vison d’Amérique que l’on n’élevait pas sous la mère, comme le veau. Du vrai vison d’Amérique qui n’a pas perdu son poil soixante ans après avoir été débusqué de l’armoire, au moment du partage. Estimé 250€, vendu 300€ à diviser en quatre, comme les cheveux. Une veste de vison au carré pour une femme au cube qui ne le portait donc que très rarement. Les occasions manquaient, dans la campagne islérienne, pas comme la foi, ma foi. Il n’avait même pas droit à la sortie hebdomadaire du marché du mercredi matin à Brou avec ses petits paniers. Peut-être à Chartres, quand il s’agissait d’aller au théâtre. Même pas une fois l’an. Il détonnait, le vison au carré sur cette femme au cube qui préférait les bijoux qu’elle portait aux oreilles, au cou, aux poignets et aux doigts. Le bijou, une seconde peau pour cette peau tannée et cramée par le soleil. Des camées partout, un sautoir de perles qui n’étaient même pas de culture, un bracelet au poignet droit, un bélier en pendentif qui avait remplacé la vierge Marie de première communiante, autres temps, autres mœurs croyantes, et un Louis d’or monté en bague que l’on arborait le dimanche et à Noël, en famille et entre amis. Des bijoux en or qui claquent et qui tapent dans l’œil, sur une peau tannée et cramée par le soleil, qui accompagnaient, très peu de fois, cette veste en vison qui ne sortait que pour les grandes occasions. C’est-à-dire presque jamais, puisque la préfète était rarement de la fête, à part quand il a fallu inaugurer l’arrivée de l’eau chez tous les habitants dans le village. Préfet et préfète étaient de sortie avec les enfants qui ont tendu le bouquet à la préfète pour fêter l’arrivée de l’eau dans le village, partout dans ces maisons de la campagne. C’étaient les années 50, avec des femmes des années 50 qui s’habillaient comme dans les années 50, veste de vison sur le dos et chapeau rond sur la tête, pas comme les derviches tourneurs qui portent des chapeaux pointus sur la tête quand ils dansent leurs fêtes. Des petits chapeaux ronds, des bibis sans fricots pour femmes rondes des années 50, avec de la chair que l’on prenait par poignées, engoncées dans des gaines qui font les tailles plus fines, à part au saut du lit. Des gaines qui affinent les silhouettes épaisses et des bas qui résillent les jambes qui ne sont pas trop galbées. Surtout dans la campagne. A la ville, c’était d’autres paires de bas qui attendaient ces dames pliés dans des cartons trop bons. A la campagne, les bas filaient sur les jambes comme l’eau qui coulait désormais du robinet. C’est qu’elles étaient potables, à la campagne. A la ville aussi, mais c’était pas toujours le même gabarit et les mêmes mises en pli sous les bigoudis. Indécrottables indéfrisables pour ne pas froisser les mises en pli que l’on met sous les bibis. C’est qu’il faut aller à confesse après la messe. On sort le vison à la sortie de l’église pour ne pas qu’il s’enlise. On sort le vison pour les grandes occasions, et c’est déjà bien assez con d’avoir un vison uniquement pour les grandes occasions. Un vison, c’est peut-être chic, mais c’est pas très classe.

A propos de Elise Dellas

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