#photofictions #01 | Clichée

Une petite île pas assez perdue : au nord, on distingue la côte.
Un énième coucher de soleil estival sur une photo destinée à s’endormir dans la mémoire d’un téléphone. Juste signe d’un ici et maintenant. À ne pas montrer. Le ticket de cinéma qu’on garde au fond d’une poche de manteau, pour le retrouver l’hiver suivant.

C’est l’heure du dîner. La petite communauté qui séjourne là est attablée dehors. D’ici, l’horizon est caché. Seule la lumière rosissante indique que c’est le moment. Nous avons fini nos plats. Je te propose d’aller voir le soleil qui tombe dans la mer. C’est un peu trop romantique pour moi, mais c’est la première fois que le ciel est clair.
Tu réponds que tu as encore faim.
Je m’esquive sans un mot. Vaguement blessée ou soulagée.

Le tour de l’île pour rejoindre la pointe. C’est plus long que ce que je pensais.
La lumière tombe vite. Je regarde mes pieds plutôt que le ciel, pour ne pas me tordre la cheville.
Au loin, je distingue le « rocher des amoureux » comme ils l’ont baptisé ici, celui dédié aux plus romantiques que nous. Une quinzaine de silhouettes l’escaladent sur fond orangé. Je continue d’avancer. J’attends que le soleil s’aligne avec la courbe de la roche. Je sais que dans cet interstice, il existe une photo. Je cherche.
Avec orgueil, je me dis cette vue est plus belle que celle dégagée et banale du soleil seul sur l’océan.
Les contours du petit groupe qui se presse pour être à la bonne place.
Son urgence à attendre l’instant prémédité de la disparition, à scruter, me plait.

J’y suis. Les rayons se posent sur la roche. La dessinent à contre-jour.
Soudain, je te distingue à ma droite. Je te reconnais, loin des autres. Tu m’as devancée par un raccourci. Je sors mon téléphone, un peu honteuse du geste inutile. De cette image clichée que je ne te montrerai pas. Du flare publicitaire.
J’en prends deux, trois, rapidement. Presque sans m’arrêter de marcher pour te rejoindre plus vite.

Le coucher du soleil comme un dessin d’enfant. Un demi-cercle sur la ligne d’horizon, blanc au milieu, une collerette jaune tout autour. Trois rayons orange s’échappent en lignes géométriques au-dessus d’un gros rocher-paquebot.
Sur le toit, trois silhouettes sont assises et une autre debout. Toutes tournées vers la lumière. À droite, quelqu’un les rejoint. Le dos un peu vouté, pour surveiller ses pieds. T-shirt jaune et short sombre. On discerne presque ses chaussettes claires au-dessus des baskets.  
Le ciel et la terre se partagent l’espace et ne laissent à la mer qu’une mince bande d’aplats bleus – au milieu.
De haut en bas, le dégradé de couleurs habituelles et une trainée de nuages, légers et blancs. Un amas plus lourd et sombre s’étale à droite.
À nos pieds, la roche gris clair s’étend, accidentée et parsemée d’algues sèches. Contaminées, elles deviennent orange. Et trois petites flaques d’eau miroitantes.
L’image trop définie offre, si l’on y zoome, les replis et le sable.
Sur l’écran, en haut à droite :
25 août  
21:02

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