#été2023 #00 | rien

Rien c’est presque tout dire vous allez deviner rapidement de quel roman je parle. Je l’ai ouvert comme tous ceux avant lui par la première page j’ai d’abord tourné une page blanche comme il se doit, trace de fabrication de cahiers pliés, coupés et collés. Une page vide, suivie d’une page de titre sans nom d’auteur, suivie des titres du même auteur sans son nom, suivie d’une page de titre avec le nom de l’auteur accompagné cette fois de son éditeur. On ne commence qu’après une nouvelle page blanche et un décalage du premier tiers de la page pour qu’à la fin de ce long protocole de mise en page, un peu formel, comme on arrive à une réception quelque peu guindée, enfin, le texte commence.

Vous me direz rien de comparable avec un générique ou une page de publicité ici nous ne sommes pas à l’écran. C’est l’élégance de mise en page qui règne en maîtresse de maison. Nous voici accueilli tout en blancheur et harmonie, montons les marches, tournons les pages. La première ligne, lever de rideau ne convainc pas. Il faudra insister. L’auteur était là, invité à la librairie, nous emmenait pourtant. Par sympathie, j’insiste. Il m’a d’ailleurs prévenue d’une certaine surprise. Je n’écris pas pour inventer, seule mon enquête compte, à ce détail près que je ne lui ai pas donné d’objet. Rien de tel que partir à l’aveugle.

Si j’ai un peu trop vu pourtant, dans la première phrase, ce qu’elle évoquait, très vite, l’impression se dissipe. J’avance par temps de pluie sur une route instable au rythme des retours à la ligne à chaque fin de phrase. Nous ne saurons rien. Nous chercherons à savoir tournerons autour de cet – il y a un être – de cela nous le savons. Mais qui, quoi, où ? Comment est peut-être ce par quoi nous le discernons le mieux. Comment sa nonforme nous informe de nos celles qui nous entourent, nous meuvent, nous désignent même. Nous nous déformons à mesure de l’enquête. Finalement nous sommes entrés dans un laboratoire observer un élément sans être sûre qu’il existe bien en dehors de nous à quelques mouvements très sommaires près.

Dans ce rien d’identifiable qui fait Grand rien, c’est pourtant une chambre qui s’ouvre, un bras qui perce. C’est moi qui pense encore difforme, qui entre en mal pensée. C’est en cours, en bouillon. Pas encore bien né. Pas encore bien phrase, ni être, ni sens, ni sensation. C’est quand ça devient, quand ça pense avec la minuscule tête chercheuse pas bien sûre d’elle mais active. Ça finira par faire un roman. Un roman qui n’a presque pas parlé de. Qui m’a fait sentir, chercher, sourire. Le temps est passé très vite. J’aime quand lire c’est du temps qui va vite. Je l’ai même avalé. Une bouchée. Il faudrait que je relise, je suis passée trop vite.

Si ma vie devait être résumée comme ça, en pages à suivre rien ? La mienne, oui. Mais celle des autres ? N’ont-ils pas besoin d’apparaître ? C’est certain qu’ils ne seraient pas d’accord. Qu’ils réclameraient des existences. Alors il faudrait peut-être ouvrir d’autres livres et chercher à les nourrir avec.  Donner du grain pour les vies à nourrir. Peut-être.

A propos de Nolwenn Euzen

J'écris dans les ateliers du Tiers Livre depuis juin 2022. Vous m'avez peut-être croisée dans les cycles: "techniques et élargissements" , "le grand carnet", "photofictions" ou 40 jours d'écriture au quotidien" (juin-juillet 2022). Voir son blog le carnet des ateliers. J'ai pioché ici aussi, dans ces publications papier et numérique : "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue Et soufflé dans ces revues : La moitié du Fourbi, Sarrazine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune... J'ai creusé également dans une Anthologie nommée "La poésie française pour les nuls" aux éditions First. J'ai bivouaqué dans les échanges de blog à blog des "vases communicants" - mon site a disparu depuis. L'écriture reste un chantier, cultivé lentement. Je propose des ateliers d'écriture à Paris, parfois dans le cadre de séjour d'écriture.

3 commentaires à propos de “#été2023 #00 | rien”

  1. Nolwenn, je suis revenue plusieurs fois par ici, buter et cogner, le texte nous dit beaucoup et tente la fuite pourtant, il nous accroche non pas avec des tridents mais avec des têtes d’épingles, on est obligé de se laisser faire… C’est fort, cet effet, et ça bouscule les convenances. Des écritures,
    Belle suite d’été,
    Cat

    • Merci pour ton retour Catherine !
      J’ai un petit peu déjoué le choix du roman en choisissant une lecture récente qui m’a marquée. Choisir un seul titre était trop difficile. C’est un archipel. L’exercice est vraiment plaisant, il est possible que je le poursuive.
      Belle suite à toi aussi !

  2. J’aime beaucoup la description des premières pages du livre, comme vestibule – couloir d’accès – antichambre du roman, comme le lieu où l’on se dépouille de ce que l’on apporte de l’extérieur pour entrer dans le texte.