#voyages #prologue | rose des vents

Est Nicosie, et cette pension bleus étaient les tours des fenêtres, grande chambre au premier il y en avait trois qui donnaient sur la cour, le ventilateur au plafond dont les pales tournent lentement sur les amours
Sud Larnaca les basses grasses des bars à entraîneuses russes la vodka à flot – il y fait toujours nuit quelle que soit l’heure – et les jambes maigres qui sortent d’un short sport foot blanches de l’oligarque à la montre et dents d’or
Ouest Gibraltar (pas de marin en vue) (pas non plus de comptes de Brassens) mais un kilo d’oranges, c’est avec les dents qu’on entamait de les éplucher
Ouest Faro (je n’y vois guère de phare) la lagune et dessus le bateau jaune qui glisse doucement sans bruit en arrière plan l’Afrique
Nord c’est cet arbre, à Santiago de Cancèm, non loin de la maison de H.* – jamais, jamais je ne suis allé à Setubal
Plus haut, sur l’autre rive, c’est à l’Alfama, elle avait posé sa main sur la table couverte d’une toile cirée, des oiseaux bleus y volaient, doucement, et elle chantait cette maison pour toujours fermée, la croix tracée sur la porte et la clé qu’il avait jetée dans le fleuve – et les gens mangeaient et buvaient
Nord encore, La Corogne le stade plein à craquer des drapeaux des cris des chants des voix surtout d’hommes qui hurlent s’invectivent comme par jeu boivent comme des trous et la sueur et les humeurs et les salives au bord des lèvres et les cris encore les cris
Nord encore le château de Latécoère (qui rime avec Fred Astaire, et Henri Salvador qui vivait place Vendôme) – et le green du golf où Y. souriait en lui pinçant doucement les joues
il y a les îles la plage de Sablanceaux où furent tournés, dix-sept ans après celui de quarante-quatre, les plans du débarquement durant ce jour le plus long (Darryl Zanuck qui vivait au quarante-quatre rue du Bac, les forces françaises, Messmer et John Wayne et tout le bataclan)
un peu plus à l’Ouest, Molène, pour la peine, plus loin je n’y ai pas vu mon sang, il paraît que ce devait être le cas, le bateau qui fait halte sur l’îlet, le blanc de l’écume le vent, au loin ces précipitations qui sur nous fondent et bientôt la pluie drue
vers l’Est Alderney, Guernesey (elle avait pris ce pli dans son âge enfantin) Jersey Chausey le picnic sur la côte sauvage, comme plus haut (au nord) à Bréhat à Watt ou Houat et Belle-Île, à Batz ou à Sieck, l’Aber Wrac’h et Saint-Pabu
Nord encore, continent Berck et Fort-Mahon, Quend et le camping des Pins, les chansons jusqu’au matin, Just a gigolo et cet amour formidable de dingue cœur en chamade, et ce film « C’eravamo tanto amati » (si tu savais comme je t’ai aimée, tu te serais enfuie en courant)
La plage à nouveau, où on voyait les chevaux de la mer qui fonçaient la tête la première Jean-Roger, le Trocadéro et sa fille, là, à cinq du qui sourit et embauche, ni gris ni vert comme partout…
La Frise, à Moddergat,

on pourrait en mettre vingt

la petite chambre aux rideaux jaunes, le petit déjeuner roboratif et on reprenait la voiture rouge, les enfants chantaient il faisait si beau il faisait si doux (Jean-Roger, à nouveau)
Une autre fois, ce serait le musée des drakkars à Frederikshavn, et cette petite incisive qui flottait à sa mâchoire quand elle riait, en deux mille, elle avait déjà sept ans
Et puis le Spitzberg et cette tente qui ne voulait pas se monter, la lumière toute la nuit, pas de nuit, toute la nuit, fumer boire rire l’amour toujours
Descendant au sud, sur le pont qui va à Malmö le long tunnel qui part de l’aéroport, les douanes, les flots les bateaux en contrebas si loin au sud, si loin si doux si beau
Oui vers le sud (en route pour le soleil et la gloire) au loin la mer Noire au bord de laquelle elle et son frère allaient séjourner, les cicatrices à peine visibles derrière les oreilles (elle riait tant quand je lui demandais de me les montrer), les clopes au bout de liège (mais elle, elle ne fumait que des brunes), ils se sentent mieux, ils sont vivants, rajeunis, joyeux
vivants
Mais entre ces deux dernières étapes, ni d’Italie ni de Grèce (je le regrette profondément), mais aux forêts de bouleaux, comme au nord-ouest de cette ville qui vit mourir Goethe, comme tant et tant, ailleurs

alors chuttt... pose doucement un doigt devant ta bouche - écoute une minute de silence
Le type prend un avion, il voyage en première, départ Orly-Ouest (pas de numéro, pas de « classe affaire » pas de Concorde à la con comme DF, pas de paquebot transatlantique chanté par l’autre abruti, non), il va vers le sud, il est sept heures du matin et le temps est beau, hello ladies and gentlemen this is captain speaking 

Il y a toujours cet aspect des choses qui pointe vers une espèce d’attente – ce docteur maudit qui cherchait en des fantasmes au sujet des jumeaux s’est réfugié quelque part, sa maison jouxte celle de Norma par le jardin, et à un moment dans cette histoire-là il n’en peut plus de se cacher – mais on comprend bien qu’il ne peut simplement plus – il est trop âgé fatigué il ne bouge plus guère, du fauteuil au lit tout au plus – il ne s’agit que d’un misérable petit tas d’os – et d’organes – une espèce d’ordure – il trouve refuge quelque part du côté de Sao Paulo (Brésil) 

ce que je n(e m)’explique pas, c’est à quel point son amour est grand, à ce point-là c’en est presque pathologique – c’est la raison de son hygiène démesurée – elle ne parviendra pas à l’effacer 

si tu savais comme elle l'a aimé, sans jamais qu'il lui ait vraiment parlé, ils ne se comprenaient pas, elle ne parlait plus depuis tant d'années, il ne parlait pas son langage, il était juste assis sur son fauteuil, sous la véranda, et elle, chaque matin que faisait qui peut bien savoir qui, elle lui portait deux biscottes sur lesquelles auparavant elle avait étendu sous une couche de beurre de cacahuètes deux tranches fines de tomates

si tu savais, tu lui pardonnerais 

Dans l’histoire vraie, si elle a jamais existé, ce docteur meurt noyé, se baignant sur la plage à Bertioga

Le type est descendu à l’hôtel de la Victoire, son contrat se réalise en commençant par aller dans une banque ou une officine de l’avenue Achieta, chercher ce dont il a besoin
il a dû changer d’avion, en prendre un autre allant en Amé/f/rique du Sud, probablement l’Uruguay ou l’Argentine, il est descendu à la gare prendre un train qui l’emmène un peu loin, quelques centaines de kilomètres vers le nord, au Lesotho ou en Eswatini

il y a de nombreux lieux où ce docteur s’est arrêté, Buenos Aires, Sarmento (Brésil), Engelberg (Suisse), Olivos (Brésil), Encarnation (Paraguay), Nova Europa (Brésil), il se cachait, s’en allait assez rapidement de l’un pour aller à l’autre puis encore un autre, puis encore, on l’a retrouvé – la tentative en Suisse a failli tourner au cauchemar : on pourrait raconter effleurer cette histoire-là 

non, c’est plus son histoire à elle, qui vit dans cette banlieue de grande ville, il se peut que ce soit vers Le Cap aussi bien, il faudrait trouver inventer le moyen de comprendre son passage ici 
Non loin de ces deux maisons, l’une dans les bleus,l’autre dans les verts, une épicerie qui ressemble à celle qu'il y avait au bout de la rue qui n'avait pas de nom alors, donnant dans l’avenue, il y avait là la délégation   
derrière la porte de la Mer se trouve l’hôtel de la Victoire qui l’abrite, est-ce que c’est vraiment la peine d’essayer de comprendre l’emplacement, le nom de cette petite rue (Es Sadikia ou des Glacières)  

et puis, et puis
  • : merci à toi Helena

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

20 commentaires à propos de “#voyages #prologue | rose des vents”

  1. Wahou ! on est déjà parti dans des lieux sacrément habités, des notations superbes qui font vivre des personnages et nous amènent à la rencontre. ça fuse, ça grouille, c’est vivant, tendre et drôle.

  2. Bonne idée les deux fonds ! Je ne sais pas si le projet de François tiendra, moi j’aime mêler le réel et l’imaginaire. On s’en fout du vrai et du faux, si c’est beau et si ça fait rêver. Blaise je suis sûre qu’il mentait beaucoup.

  3. sacré Piero, on t’ouvre une brèche et tu t’y engouffres pleinement, à chaque fois tu nous écris un livre…
    et même d’autres histoires dans l’histoire inscrites dans le dark side of the moon….

  4. Oh, merci pour l’arbre ! Il est toujours là, avec à côté la voiture minuscule d’où ne sort presque jamais le conducteur – un mystère pour moi – , et puis la maison, malheureusement, pas la mienne. Et surtout merci pour ces tableaux en filigrane que tu fais surgir devant nos yeux !

  5. le musée des drakkars à Frederikshavn et l’incisive qui flotte … sept- ans – me touche beaucoup cette image – les couleurs des voyages te vont bien .

  6. ça bruisse de pleins chez vous! Plaisir merci! Une petite suggestion: le noir tue les yeux des pauvres lecteurs borgne 🙂

  7. J’ai été emportée tout de suite par cette interprétation très forte de la proposition de François.

  8. plaisir Piero de retrouver tes labyrinthes, tes effervescences.
    Se perdre dans tes mots, se raccrocher à une image puis repartir et aller plus loin

  9. J’aime autant les chansons que tu distilles ici et là, nommée ou devinée que tes voyages.

  10. content que ça te plaise Simone (il y en a pas mal d’inventés de ces voyages mais ça ne fait rien : s’ils te plaisent c’est qu’ ils sont tous vrais quand même) merci à toi (et pour la chanson aussi…)