Faire sans je

Ecrire un début, le début de sa vie c’est déjà mourir. L’enfance ça pue, obligation d’aimer, d’aimer l’autorité, si haute. Aimer la tyrannie organisée de l’ordre des autres. Pas d’autre choix que d’aimer, de s’alourdir avec des sourires qui font fondre les castrateurs.

Mais il s’agit déjà de s’organiser, d’établir un ordre dans le fourmillement, l’impatience. Se castrer sans même les dents. Constater qu’il faut ouvrir les yeux pour voir. Attendre que ce monde exalté fonde en une réalité, attendre le tangible. Vite vite oublier pour faire de la place, construire le même monde que les autres.

Il faut communiquer sans quoi tu t’inquiètes, marcher sans quoi tu inquiètes et surtout surtout désirer sans quoi tu es malade. A peine on peut sortir seul et ça s’accélère. Aimer des choses, des gens, des routines, aimer gagner, aimer l’inconsistant, le solide, le liquide, le déclin, l’inconnu, le chaud, aimer n’importe quoi mais aimer. Aimer les autres, en parler comme les autres.

Boire, manger, ailleurs, voyager, se captiver pour ce qui n’est pas soi, pas là. Demeurer seul pour ne pas jamais se sentir seul. Parler de soi, du temps, qui passe, qui pleut, parler pour se cacher, perdre le jaillissement, le hasard puis avoir peur des mauvaises interprétations, concilier les humeurs, le manque d’argent, les lois, l’envie de tout casser, de fuir et faire avec la maladie.

Essayer de comprendre, inventer des questions, construire un double, s’endormir encore plus seul. Boire encore et toujours, raisonner sur la descente, la montée, philosopher à plat. Essayer de désapprendre, de redevenir déraisonnable, se placer juste à côté, sentir que c’est là que ça se joue, juste à côté. Au fond essayer de rattraper le temps. S’absenter sans raison, sans porter attention à l’autre. Rêver pour de vrai, sans honte de l’air idiot, rêver qu’on achète, qu’on prospère, des champs labourés sur tous les horizons, marcher sur la route nue, le soleil qui rase les arbres. Culminer au dessus des nuages, hurler son nom, détester le son trop grave de son écho.

Continuer, apprendre, même lorsque la douleur nous déforme la main. Respirer calmement, enfin décrire pour soi, le chemin si précis si précieux de l’air en nous. Que reste t-il de la douleur lorsque la tension n’est plus? S’imaginer vieux. La vie qui tombe entre deux chaises, l’importance du bois. A chaque mouvement sa langue.

Etre danseur, tenter à nouveau sa chance, une dernière fois, ne rien produire, juste faire, puis rien.

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