La dame à la fenêtre
Quand elle regarde par la fenêtre, elle s’intéresse à ce qui se passe dans la rue, elle observe les entrées et les sorties, elle voit qui rencontre qui, elle regarde vers le bas. C’est haut, deux étages, les gens en bas sont devenus tout petits. Mais parfois elle lève les yeux, pas jusqu’au ciel, c’est trop haut, ou trop vide, elle ne s’intéresse pas au temps ni aux nuages, mais quand elle regarde tout droit jusqu’au bout de la rue, elle ne peut pas manquer le gros bloc gris en béton, une tour haute comme huit étages, posée juste en fin de rue dans le parc, un bloc immense, lourd, tout droit, ceint d’une terrasse épaisse au trois quart de sa hauteur et surmonté d’un gros chapeau en béton. Souvent, elle ne le voit plus, c’est comme si elle regardait à travers, pourtant elle habite dans la rue depuis longtemps, elle s’y est réfugiée pendant la guerre, dans cette tour qui servait de défense ou d’observatoire et rassemblait la population des environs dès que la sirène se mettait à mugir. Elle n’aime pas y penser, mais c’est ancré en elle, la sirène, la course dans la rue, la ruée vers le portail, les gens qui se pressaient, se serraient dans l’obscurité, les enfants qui pleuraient…alors elle se dit que ce n’est pas la peine de le regarder et qu’on aurait mieux fait de le détruire, ce bunker de souvenir de malheur…
L’étudiante
Quand elle va à pied à la Fac, elle peut prendre un raccourci qui la fait passer par une ruelle au bout de sa rue, par un sentier piétons et une piste cycliste qui longent cette grande tour grise au milieu des immeubles blancs et soignés. Cette bâtisse en béton, elle la connaît depuis qu’elle habite ici, ce n’est pas beau, c’est lourd, c’est brut et elle ne sait pas à quoi ça sert. Quand elle passe près du lourd portail qui est toujours fermé, elle voit des panneaux, des affiches, des horaires et des explications, il semble que l’on puisse entrer certains dimanches matin pour visiter des expositions, il semble que ce soit un grand entrepôt pour des musées de renom. Quand elle veut regarder la tour dans son ensemble, elle doit lever la tête, étirer le cou, se pencher en arrière et garder l’équilibre, en fait elle ne voit qu’un mur de béton gris anthracite, brut, sillonné, troué, d’une hauteur immense. Elle préfère regarder de l’autre côté du sentier, les arbres du parc sont en fleurs…
La maman à poussette
Le parc est agréable, il y a des jeux pour les enfants, les grands peuvent jouer au ballon, les petits ont leur bac à sable. Elle aime bien venir ici, c’est calme et son garçon se plait, il retrouve ses petits copains et elle passe un moment tranquille. Il y a juste ce gros bâtiment triste et laid à côté, planté comme ça au milieu du parc, c’est désolant. Il paraît que ça remonte à la guerre et que ça aurait sauvé pas mal de gens. Elle ne s’est jamais intéressée à l’histoire, mais quand un engin aussi étrange a poussé en plein milieu de la ville, ça intrigue…
Le jeune sportif
Il vient de lancer le ballon contre ce mur gris et solide dans le parc. Le ballon rebondit, le mur le renvoie, c’est pratique, on peut jouer tout seul. Finalement, il s’approche, scrute le mur, son regard vers le haut englobe tout ce bloc massif, puis les saillies puissantes qui entourent le bâtiment étrange en plein milieu du quartier tranquille, il dirait même bourgeois, il se demande ce qu’on pourrait faire de ce bloc qui ne semble plus servir à personne. On pourrait déjà y mettre un mur d’escalade, au moins il servirait, il ferait plaisir et ça donnerait un sens. Plus loin à l’ouest, dans un autre arrondissement, ils ont aménagé un mur fantastique sur un autre bunker, qui va haut, ça grimpe, ça s’entraîne, c’est sérieux et ça rigole aussi. C’est un lieu pour les jeunes. Dans un autre bunker, ils ont même implanté un aquarium géant, un musée de la mer ! Ça, c’est positif, ça lui plaît, ça plait d’ailleurs à tout le monde, il y a toujours la queue à l’entrée…Ce n’est pas comme cette tour à côté de chez lui, qui ne sert à rien !
Le pilote
Dans le petit avion qui survole le parc à basse altitude, le pilote jette un regard rapide, vu d’en haut tout est petit, même la tour rapetisse qui devient un carré épais au milieu des arbres, et lui, en pilotant, il peut voir le dessus, il voit le chapeau et ce qui le frappe, ce sont quatre ronds comme des roues, ou comme de gros boutons, ou comme des cuves rondes avec des orifices noirs, et là, il pense aux canons qui s’y cachaient et qui devaient canarder les avions ennemis, et là, il éclate de rire, c’est vraiment bien que cette tour n’ait plus de raison d’être…
Quelle belle façon de répondre à la proposition ! Bravo Monika !
Oh merci! Trop contente…
il y a toujours un doute sur la façon de répondre, là, ça va mieux, merci Emilie