Interstice 1

La façade de l’EP7, la guinguette numérique, dans le 13e arrondissement de Paris, un petit immeuble bas, est faite de 12 écrans numériques. Du trottoir d’en face depuis la terrasse du café, les gens lisent les messages qui s’affichent. Ce jour-là, le mot OBEY, dix fois, en lettres capitales, dégringole de haut en bas. Les lettres se font avaler par le trottoir. L’immeuble parle en silence et nous demande d’obéir. On ne sait pas où vont les mots ensuite dans le sous-sol. On ne sait pas quoi répondre et à qui.

L’immeuble Fulton, ancienne Tour 13. Deux bâtiments séparés par une faille urbaine. Les vitrages dichroïques des garde-corps, sont bleus, verts, jaunes selon l’endroit où on les regarde. Les balcons, boites d’allumettes mal alignées, en porte-à-faux, à double ou triple orientation, couleur bulle de savon s’enroulent autour des immeubles. Vu du haut, on voit les gens allongés dans leurs transats sur leurs balcons, leurs corps en quinconce, des reflets jaunes vert bleu sur leur peau trop blanche les transforment en petits poissons exotiques multicolores.

Parallépipède entièrement vitré au milieu d’une forêt de tours. Toutes les fenêtres sont fermées et reflètent le ciel et ses petits nuages flottants. Comme un immeuble qui voudrait passer inaperçu. A l’intérieur c’est silencieux malgré la présence d’humains qui y travaillent. Dehors, au pied des tours, on entend le souffle des gros blocs blancs de climatisation qui recrachent le chaud, celui de la chaleur mais aussi le chaud de la colère des gens. Ca souffle dehors pendant qu’à l’intérieur on retient sa respiration dans le frais. Les gens vont dehors au pied des immeubles pour cracher la fumée de leurs cigarettes et en profitent pour soupirer discrètement, ça ne s’entend pas.

A la Cité de la mer, les poissons circulent de façon anarchique dans l’aquarium trop petit. Avant d’entrer dans le bâtiment, les humains, eux, se croisent sur deux files, ils avancent en piétinant dans la file d’attente de gauche, tandis que les autres ressortent lentement par la file de droite, ceux qui s’ennuient dans la file de gauche regardent et détaillent ceux de la file de droite comme on regarde et détaille ensuite les poissons. Et tout le monde s’ennuie, humains et poissons.

Des enfants empruntent le nouveau toboggan métallique en inox, complètement fermé, tobbogan tuyau, sur le quai de Seine qui permet d’aller du haut du pont à la berge sans prendre l’escalier. Pendant quelques secondes, les mères retiennent leur respiration, se demandent si l’enfant va bien sortir de l’autre côté du tuyau. Pendant quelques secondes l’enfant n’existe plus. On dit que parfois certains ne ressortent jamais et sont avalés par la ville.

2 commentaires à propos de “Interstice 1”

  1. J’aime beaucoup votre interprétation de la surface de la ville, la tension, l’angoisse, le temps qui s’étire dans l’absurdité. Tout ça dans une belle langue sobre. Merci