#L12 | quand les voix s’éteignent

Les voix s’éteignent en premier, elle arrive quelque part, phrases ritournelle, et leur faire rendre gorge, comme tordre un chiffon pour lui extraire la dernière goutte, jusqu’à ce que les voix s’éteignent et qu’elle arrive quelque part, être arrivée à la mer et ce n’avait pas été simple pour elle qui avait plutôt l’habitude de se laisser prendre en charge comme eau qui coule, d’un cours prédéfini jusqu’à la mer, et elle y était arrivée à la mer, à être là où elle devait être, où son mari avait dit qu’elles devaient être, à l’abri du danger, sa femme et sa fille, il y croyait vraiment, lui qui dictait la marche à suivre, la posologie, inciser dans les chairs ou pas, extraire le pus, faire baisser la fièvre, et elle plutôt à se laisser porter comme voguer au fil de l’eau, eau qui coule et arrive quelque part à la mer et on y était. Court l’eau obligatoirement comme vers sa fin inéluctable, une fin en soi. Les voix qui s’éteignent en premier laissent flotter à la surface des mots comme l’eau acheminent les feuilles d’automne, c’est inéluctable. C’est de cette eau-là que je viens, une eau qui court obligatoirement, avec des mots posés à la surface.

Tout ce qui coule, titre refrain, phrase sans fin depuis les eaux originelles qu’elle n’aurait pas perdues, phrase sans point, phrase qui n’en finit pas comme porteuse d’une énumération tacite et infinie, tout ce qui coule ou découle et obligation d’un enchevêtrement logique de cause à effet, il y aurait donc volonté d’expliquer il y aurait eu peut-être à un moment dans le creux du livre tentation de ressaisissement alors que l’eau coule insaisissable, et sans cesse renouvelée jusqu’au bout comme rivière grossissant de tous ses affluents et de tout ce qui coule de ceux qui liront comme chacun apporter pierre à l’édifice et au bout tout ce qu’il y aurait ce serait la mer, flot de mots, sans verbe comme est l’eau sans consistance, une phrase molle sans armature sans cesse épousant le récipient qui tente de la recueillir de l’immobiliser qui énumère et rassemble avec volonté de ne rien oublier avec ce tout positionné en premier comme affirmation et il faudrait faire avec puisqu’il contient l’ensemble sans omission aucune et ici l’eau de chacun pour finir à la mer, de mères en filles. Un peu comme la mère à porter l’enfant neuf mois et lorsque la voix s’éteint à son tour porter la mère jusqu’au bout. A part Marie-Jeanne qui n’avait pas pu… Porter sa mère.

Un texte doit encore s’écrire sur l’art du  toujours plus qu’elle ne possédait pas, la mère de Marie-Jeanne et qui est évoqué en début de ce texte et que l’amie aurait eu en elle et transmis. Le toujours plus, un effort toujours plus grand il faut, c’est une exigence du dedans de son corps, l’idée qu’il suffit de marcher plus loin, de continuer l’effort pour convaincre, pour persuader, pour obtenir, pour contourner l’impossible, modifier le destin, infléchir le cours des choses, leur ordre, faire advenir l’improbable. Est-ce de la croyance première, Lazare ressuscité ou autres miracles, de ce qu’on lui avait fait croire dès le plus jeune âge, et alors se dire que si cela est possible, alors tout l’est ? Est-ce de se prendre pour dieu ? Est-ce révolte depuis le plus profond de son être de l’inéluctable ? L’idée que là où la mère de Marie-Jeanne avait échoué, elle aurait pu. Elle aurait pu, elle, l’amie, modifier le cours de l’histoire, repousser le drame, empêcher ce qui allait advenir, et qu’y croire plus fort aurait-il fait apparaître un médecin, qu’elle l’aurait trouvé, elle, avec son corps portant l’enfant et continuer malgré le cœur tapant dans la poitrine et les poumons en feu, courir plus loin plus longtemps, arrimer plus fermement sa vie à la sienne ? Ou est-ce de n’avoir pas supporté de n’avoir rien pu empêcher qui aurait décuplé sa rage d’essayer par la suite et en toutes circonstances ? Et ce que cela fait dans la tête et dans le corps de toutes celles issues de cette femme-là ? Le corps vaincre toujours il peut y parvenir, y croire, même dans les moments les plus insignifiants de la vie, comme marcher sur une taque métallique en dévers par temps de pluie dans une rue très pentue et imaginer ne pas glisser, ne pas déraper, penser à tort et à répétitions ça passera ça tiendra et la surprise dans le corps jeté à terre et la douleur pour longtemps. Écrire c’est pareil, c’est depuis quelque chose dans le corps qui ne veut pas se rendre, c’est une lutte constante avec croyance chevillée à lui, chair et os, d’arriver quelque part, d’arriver, d’y arriver avec juste cela en exergue Tout ce qui coule.

A propos de Anne Dejardin

Projet en cours "Le nom qu'on leur a donné..." Résidences secondaires d'une station balnéaire de la Manche. Sur le blog L'impermanence des traces. https://annedejardin.com. Né ici à partir de l'atelier de François, Photographies. Et les prolongations avec un texte pour chaque nom qui dévoile un bout de leur histoire. Avec audios et vidéos, parce que des auteurs ou comédiens ont accepté de lire ces textes, l'énergie que donnent leurs voix. Merci. Sur Youtube : https://www.youtube.com/channel/UC71EVLVR9RIVzTojzdI8yfg

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