#le double voyage #02 | Clef des villes

22 janv.-23

  • Au fond, je me fiche de savoir où mènent ces voyages. Réel ou imaginaire, les chemins ne mènent nulle part. Du moins pas plus loin et pas ailleurs qu’avec L’Usage.
  • À Alexandroúpoli, Bouvier et Vernet entrent dans les territoires antiques, voire bibliques, où « les civilisations primitives accompagnaient chaque soir la mort de la lumière » d’un cri. Mais que diraient-ils aujourd’hui ? Vue du ciel, la ville, qui a dû considérablement s’étendre, me fait l’effet d’un damier stricte qu’on retrouve aussi bien à Manhattan, fendu de quelques courbes. Malgré les rues Haussmann et Le Nôtre côté jardin, Paris n’est pas aussi géométrique. Moi qui m’attendait à des quelque chose de plus tortueux (des rues qui auraient suivi les pas du bétail et les tondeurs du relief ?). Cela dit, Athènes ne s’est pas construite autrement. Un héritage direct de la philosophie présocratique, de Thalès et Pythagore ?
  • Istanbul, nom turc de Constantinople, est devenu le nom officiel de la ville en 1930. Plus de vingt ans après, Bouvier utilise d’abord Constantinople, avant de parler d’Istanbul puis Stamboul. Pourquoi ?
  • (La nuit de l’encrier dont parle Mallarmé ?)
  • Bouvier, en quittant Istanbul : « il nous fallut un moment pour nous rendre compte qu’elle ne nous regardait plus, qu’elle ne s’adressait plus à nous, mais à une de ces ombres très anciennes, et chères, et perdues, qui accompagnent les vieilles gens en exil et tournoient au fond de leur vie. » Mamie Lulu, qui a eu quatre-vingt-quatorze ans, s’adresse-t-elle parfois à ce grand-frère qu’elle n’a jamais connu, Marcel ?
  • Sauf erreur de ma part, ou celle de Bouvier, l’hôtel Moda-Palas, où les deux voyageurs apercevaient juste en s’inclinant au balcon, d’un côté la Marmara et l’Île des Princes, de l’autre la rive européenne de la ville, sauf erreur la tour Péra, a changé de nom : le d a laissé sa place au n. Reste qu’il faut avoir une chambre avec balcon à l’angle de la rue, et à partir du troisième ou quatrième étage pour dominer les arbres.
Figure 16 – À l’angle du Mod/na-Palas d’Istanbul – photo 360° Aleksei Fedorishchev (avr. 2022) sur Google Maps
  • Quand tu sais que le réel c’est ce qui t’échappe, c’est l’impossible disait Lacan (à moins que folie aidant à l’halluciner — comme on parle de lever ou coucher de lune), et que l’imaginaire me fuit (sauf à partir d’un point de réel rêvé ?)…

23 janv.-23

  • Je me suis un peu forcé pour sortir. Il faisait froid. Mais c’était nécessaire pour me rappeler que le voyage peut commencer ici, et non loin de là comme le sait bien Emma. J’ai emprunté le chemin blanc. Les champs, les prés étaient encore gorgés d’eau et de glace. Des restes de tiges de maïs moissonné sur les bords. Je me suis enfoncé dans le petit bois sauvage et nu. Jusqu’à la rivière pleine.
  • Thierry Vernet a un site Internet à son nom. Nicolas Bouvier aussi, mais c’est un homonyme pour qui l’écriture relève du combat (contre le harcèlement scolaire et au travail) et du soin : « Dès que j’ai eu conscience que cela pouvait soulager mes maux, j’ai utilisé mes mots pour les exprimer. » — Il est aussi guide touristique au Centre International de l’Art Pariétal de Lascaux. Son dernier livre est consacré à cette activité, Si Lascaux m’était conté.
  • Entre L’Usage du monde et L’Emploi du temps. De lire et d’écrire.
  • J’ai beau chercher des cartes anciennes de la Turquie, sur Cartomundi, sur Gallica et l’Université de Melbourne (collection de cartes, entre 1493 et 1774, de l’Asie Mineure et de Constantinople et ses environs, de Ronald et Pamela Walker ; inutile mais impressionnant — j’aime assez L’effigie de la ville de Constantinoble selon qu’elle est de nostre temps soubz le Turc, 1556, avec ces petites maisons alignées, ces édifices, ce dédale de rues courbes, la ville, la campagne derrière les fortifications, les collines et les nuages, les îles et tous les types de navires, petits et grands, la houle plus forte, ici, et là), je ne trouve pas le col d’Ordu entre Fatsa et Babalı, village perché et réduit à une volée de maisons. Mais les cartes semblent indiquer que leur chemin, avant que l’autoroute ne coupe la péninsule et perce les montagnes, a bien fait une boucle dans la montagne (mille et une).

24 janv. 23

  • Du côté d’Ankara : « étendu sur le dos dans l’herbe qui bourdonne d’abeilles, on regarde le ciel, et plus rien », « parfois, la peau d’un ours fraîchement écorché sèche, clouée contre la porte d’une grange » — de Sungurlu : « la tache beige plus pâle d’un troupeau contre le flanc d’une colline, ou la fumée d’un vol d’étourneaux entre la route et le ciel vert. Le plus souvent, on ne voit rien… », « la glaise et la boue s’allument de mille feux et le soleil d’automne se lève sur les six horizons qui nous séparent encore de la mer » — de Merzifon : « une lueur citron borde le ciel au-dessus de la mer Noire, des vapeurs bougent entre les arbres qui s’égouttent » — d’Ordu : « tête meurtrie contre la vitre, on voit dans les brumes de l’aube un talus, des bosquets, un gué où une bergère en babouches, un rameau de noisetier à la main, fait passer un troupeau de buffles dont l’haleine chaude, sentant fort, vous réveille tout à fait » — de Giresun : « de la fenêtre de la chambre, on voyait des pêcheurs aux jambes torses traverser et retraverser la place en bavardant et en se tenant par le petit doigt » — de Trébizonde : « graisser les lames des ressorts pour les rendre moins cassantes, souffler dans les gicleurs, décrasser les bougies, la delco, et régler l’avance que les cahots et les secousses de la veille avaient chaque fois déplacée » — de Gümüsane : « de solides maisons de pierre avec des toits très inclinés pour supporter la neige, des mules dont les naseaux fumaient, des complets de laine brune, des bonnets de fourrure, et le pépiement des perdrix engourdies dans leur cage au-dessus d’épiceries éclairées au pétrole, pleines d’objets lourds, colorés et brillants » — col du Cop : « ces monstres lancés dans la descente s’arrêtaient sur cinquante mètres en arrachant leurs pneus et les chauffeurs descendaient pour nous offrir deux pommes, deux cigarettes, ou une poignée de noisettes » — de Bayburt : « des casquettes noires, des pieds nusdes chiens scorbutiques, du trachome, et, sortant d’une bâtisse comme un essaim de mouche bourdonnantes, des groupes de petites filles noirâtres, l’air “en dessous”, qui portaient des bas noirs, des sarreaux noirs, des nattes bien tressées et de grands cols blancs en celluloïd » — d’Erzerum : « quelques vieux fiacres bleu lavande et le plumet jaune des peupliers pour y mettre de la couleur », « toujours déconcertant, ces voix d’enfants dans une langue étrangère. On a l’impression – pas si fausse peut-être – qu’ils l’inventent à mesure. »
  • Je refais rapidement la traversée de la Turquie des deux voyageurs en glanant au hasard, ou presque, quelques images, quelques instants arrachés au réel, qui n’en sont pas moins en lien avec mes souvenirs. Souffler dans le gicleur de la Fiat Uno, le dévisser et le nettoyer avec un bout de fil de fer, combien de fois l’ai-je fait dans ce camping de Saint-Georges-de-Didonne, début juillet 93 ou 94 ? Elle était usée, la voiture. On a fini par louer des pédalos sur roues pour aller à Royan, et nous aussi on descendait dans la côte et on poussait.
  • Aujourd’hui avec f, première arrivée dans la ville. Mais la clef, c’est : la compacité de syntaxe, la capacité matérielle de présence dans le moindre élément qu’on désigne. En cela, ma pioche dans L’Usage devrait aussi pouvoir me guider, pour les images qui ont gardé un bout de rémanence, les odeurs, les défilements de lumière, dit f, ces choses les plus minuscules.

La ville, la nuit. C’était d’abord dans la loupe du hublot des plages d’ombres et de lumières orangées scintillantes et flottantes, quand l’avion bascule d’un côté, la ville pivote et bientôt se rapproche, on tombe, elle accélère, les angles partout fusent et tremblent, roulent, noyés sous les feux de la piste et les applaudissements dans l’avion.

L’aéroport était à la pointe du temps, mais les terres qui le soutenaient restaient millénaires. Combien étaient-elles ces figures fantomatiques, les yeux levés vers le grand panneau des départs et des arrivées qui ne cessait plus de dérouler ses lettres, ses chiffres, ses noms, ses heures, les lieux et les dates, couvertes de la tête aux pieds de longs bishts fins, tout blancs, tout en plis et replis, et qui semblaient les mincir et les grandir comme une flamme trouve à s’élever ?

  • D’un côté Gürbulak, de l’autre Barzagan. Aujourd’hui, la frontière entre la Turquie consiste en une entrée de site industriel, où une structure de béton et de verre, attelée au grand poste frontière cubique, filtre à grands renforts de barrières métalliques coulissantes, de grilles et d’un poste avancé, drapeaux claquant en vis-à-vis, les véhicules qui se gareront d’abord dans d’immenses parkings. Mais on trouve aussi quelques photos plus anciennes qui montrent comment l’ancienne frontière ressemblait à une cour de ferme au milieu d’une dizaines de bâtisses. On y accédait en traversant un porche. Peut-être s’agissait-il de la frontière connue de Bouvier et Vernet ?
Figure 17 – Ancien poste frontière turco-iranien – photos Sepehr Qesmati sur Google Maps (en ligne oct. 2010 et déc. 2022) – copies d’écran 2023-01-24

25 janv. 23

La queue dans la passerelle de verre, structure de métal et de lumières partout, la façade illuminée du terminal — escalator, hall immense du manège à bagages, qui tourne et ça pousse derrière — on avance au compte-gouttes, la file se démultiplie, des agents de contrôle dans une cage de verre, des hommes en arme derrière, contre le mur près du tunnel — l’agent attend, observe, l’œil sur les mains, les doigts gourds à détacher le volet de la carte de déclaration, à signer là, ici, d’un gros doigt, la rumeur du hall, et la question qui s’abat au moment de partir, l’accent coutre, … éc qwa lbut ed vote voillaaâge ! (Et c’est comme ça qu’on parle ici.)

Le plan de ville épuré, les lignes croisées, parallèles, discontinues, nouées, arrêts, départs, tout droit, gauche, bleu jaune rouge à angles secondaires, en réseau de nuances, train, taxis, bus, vélos, métro, et boulot et dodo, il est tard et la ligne est longue. Combien ça coûte ?

On s’attend à un prolongement de l’hiver et c’est déjà l’été surprise ici, torréfié dans un gilet de laine et un lourd manteau noir. Les deux autres à côté, t-shirt, bermudas et sandales. Dans le bus contre la vitre, l’intérieur et son visage pour paysage, réfractés et tremblants. Les lumières de la ville là-bas, les feux des véhicules en filigrane sur l’autoroute, dans les échangeurs, le bourdonnement du moteur, et les vrilles de l’accent des deux autres derrière, leurs coups slicés. (C’est pourtant la même langue, mais comme un vinyle passé à l’envers ?)

Parfois un arrêt. Un poteau, une aubette, le trottoir, un ou deux lampadaires, des passants sous l’enseigne bleue, des arbres, des papiers au sol, des ombres au mur, les feux. On monte. On descend. Des voitures trombent. Parfois un coin plus clair, une fenêtre vide, un comptoir transparent, une voiture cligne, une statue s’enroule, une ruelle s’ouvre, une bouche sombre, des silhouettes éventées. Un signe du chauffeur, ton arrêt. Les autres ont disparu. On ne les entendait plus depuis un moment, on n’entendait pas qu’on ne les entendait plus. Qui a vu quand ils ont sauté la marche ?

La sation de métro, c’était là, en descendant. Les deux policiers, plus haut, à l’angle d’une espèce de cube béton et d’une dalle vide entre des gratte-ciels, le savaient bien. … lmai trott’ ? lpreu mi-hier gaucho ! Et on se retrouve au milieu d’une vingtaine, d’une trentaine de jeunes à danser autour d’une voiture coffre ouvert, surboomée sur Orchestral Manœuvre in the Dark. Enola Gay. Machine arrière. Un déboule, en dreadlocks, pieds nus, déguenilles, baratin, halcool fauve et monnaie pliz … mais trop ? (il faut bien essayer de se faire comprendre) C’était là, en descendant. Le cube.

Le métro on étouffe, mais pas long à faire, ça file en branle-bas, du long couloir vide et pâle, illuminé de grands cercles de carreaux sur les murs, au sol, aplats bleu marine, orange sanguin, striés de vert, noir, jaune, rose, à l’escalator et poussé par le vent du réseau interne. C’est là, à deux pas. Et deux miles à tourner en rond, juste à regarder et retourner le plan avec cette courbe comme une entaille dans le système de droites et perpendiculaires, avec ces rues à perspective décalée par celle qui la coupe. Quelqu’un est éjecté de la bouche de métro. Il connaît. Là-bas, au coin. Il arrive aussi de l’aéroport. Il a terminé son service. Merci ! — Ben…vnuë !

Rue de l’Hôtel de ville, le numéro n’existe pas. D’un côté, de l’autre. Rien. Demi-tour ? On continue, par le bout de rue dévié. Au fond, les façades de la rue Mont Royal, d’où sort un grand brouhaha. Droite, gauche ? Les noms des rues sur des poteaux, pas les murs. Écrits en trop petit ! Retour sur le plan, la courbe surprise, les perspectives coupées, le faux numéro, le bar du coin. S’il vous plaît, vous pouvez m’aider. — Mmm… J’sais pas. Si c’est pour de l’argent, non ! (et pas d’accent, merci !)

Donc remonter la rue. Attention, décalage. Trop loin. Redescendre un peu. Rien. Personne. De l’autre côté ? Rien. D’une porte à l’autre. C’était bien là tout à l’heure. Où est le bar déjà ? Du numéro suivant au numéro précédent. Rien entre. Entrer, rentrer. Fatigué. Vidé. Comme la rue, les petits lampadaires orange, les arbres décharnés, la voiture qui chuinte au bout. Merde ! Et l’escalier, va savoir comment, qui finit par faire signe, un petit perron pour une plate-forme à deux portes. La première marche en claquant te catapulte. Et voici la boîte aux lettres jamais fermée, la clef dans une enveloppe déchirée. À vous l’Amérique !

Le système de verrouillage un peu défectueux résiste, mais la porte s’ouvre. Le parquet grince, craque sous chaque pas. Vite la chambre, deuxième porte. Quand de la première, dérobée, on sort de l’ombre. C’est toi l’ami qui doit venir ? (un bon accent étranger, mais tout est là) — Oui. — Je t’avais oublié. Tu m’as fait peur.

  • Je me traîne. Je devrais suivre John Cale : « Je travaille vite et furieusement. »

26-27 janv.-23

Dehors, du vent. Du sable roux en rafale mitraille les carrosseries et les vitres. Le ciel est si bleu pourtant. La monnaie s’échange sur place. Les queues sont longues devant les bureaux de change. Il y a moins de monde aux distributeurs, mais ils ne fonctionnent que dans le sens de la monnaie locale. Et l’homme est là, dans le hall d’entrée. Entre deux âges, poivre et sel, teint mat couperosé, chemise en vichy bleu et blanc auréolée sous les bras et dans le dos, jean trop large, tennis blancs usés. Un panneau en carton en main au nom de Diderot, entouré d’un Polonais et d’un Italien. Sa R21 grise est garée au milieu des taxis jaunes. Le coffre claque, la voiture tousse. Tremble à chaque cahot sur la route couverte de sable. Des lignes serpentent. La voiture se balance comme un navire en mer. L’odeur du chien, des poils sur le siège. Et l’autoroute, entre les grandes surfaces, les sièges sociaux, les barres d’immeubles et cette masse noire au loin que du ciel tout le monde voyait arriver insensiblement en glissant sur la mer et dégageant les canaux urbains gorgés de soleil, plonge au détour d’une grande horloge, dentelle de métal rouille au pied d’un immense bassin, dans la ville et les bouchons sous une haie de grands ficus. La foule partout.

Carlton hôtel. — C’est là. — Zut, la ligne a coupé. — C’est pas ce que je dirais. — Le sac il est à qui ? — Quelqu’un a du feu ? — Il y a même un groom. — Pour un euro tu peux ! — Ça je le porte. — Le coffre claque. — On vient vous chercher s’il faut. — T’en veux une ? — Allez-y entrez, entrez. — Demain alors ? — Ben je retrouve pas ma carte dis donc. — Dis c’est quoi sur le chapeau ? — Le vestibule, un couloir illuminé, deux fauteuils Louis-Philippe à larges bandes, noir et doré. — Allez-y, descendez. — C’est pas toujours ce qu’on croit. — Laissez je vais le prendre. — Neuf heures neuf heures et demie alors. — N’oubliez pas votre clef ! la clef ! — La voiture tousse. Une sirène. — Non, c’est pas ça. — Tu passes quand ? — On prend l’ascenceur ? — Oui on paye tout de suite. — À qui la veste ? — Si t’as soif un euro ! un euro ! — Mais dépêche-toi ! — La taxe de séjour, en face. — C’est le même chapeau ? — Sur un banc noir, la statue blanche, lisse et brillante d’une femme forte, assise coude sur le genou, le menton dans la paume sous un gros abat-jour rouge. — Ah, faut remonter ! — Tu viens d’où ? — Monsieur ! monsieur ! — J’y pense pas tant que ça. — Non mais j’y crois pas… — Les toilettes c’est sous l’escalier. — La voiture qui tousse, le tableau électronique du comptoir doré. — Et elles étaient dans le sac en fait. — Quel étage déjà ? — Cracovie. — Il doit jouer à la bataille navale. — Non, juste dessous… — Qu’est-ce qu’il y a encore comme vent, hein ? — C’est toi qui sonne ? — Le petit dehors au paquet de bouteilles, en va et vient.

Le vieux groom sort un smartphone de sa poche, l’éteint. Invitation à entrer, lui aussi, montée en silence. Le souffle de la porte découvre un coin détente, deux fauteuils en forme de haricots noirs, une table basse chêne aux pieds de métal fins, un divan à grosses fleurs multicolores, deux grandes photos noir et blanc de l’entrée de l’hôtel, une bibliothèque encastrée dans le mur adjacent, des rubans led pour la rendre transparente. Une volée de marches, le réfectoire vide pour un bruit de casserole sourd et un fumet d’épices derrière la ligne vitrée de self-service, rangées de tables blanches, le rouge des nappes et des gros abat-jours, des chaises de bar noires, les cale-pieds étincellent, vase en amphore pour fleurs de plastique, coin divan sous un plafonnier comme une treille illuminée où l’on bavarde, le couloir. De larges lignes de lettres d’ici entrelacées, en mailles serrées, filent le long du mur comme des trainées de comètes, entre des miroirs noirs et des piliers du même rouge que la chéchia à pompon du chamelier vaincu par sa monture déblatérée. Le roulement des valises, les portes s’ouvrent, se referment, quelqu’un sort, la petite bouteille sur le sol, la clé bricole et la petite chambre sombre. Vue sur mille et un pare-brise aveugles, derrière le rideau rouge, balayés par un nuage.

  • En ce qui concerne ma comparaison de ces hommes drapés dans l’éternel à la flamme d’un cierge happée par le courant d’air chaud ascendant qu’elle génère et qui risque bien de l’éteindre, j’avoue émettre quelques réserves. Mais à lire, dans L’Usage, « les yeux comme des soleils », dans un passage il s’agit de donner forme et force à la noblesse des vieilles Arméniennes en deuil, je me dis que c’est plutôt ma réserve qui n’est pas justifiée. Elle est même peut-être injuste.
  • (Il y a quoi dans cette réserve ? ces mots et ces formules effacés de nos ordinateurs ? aussi fameuses que fumeuses qui n’attendent que la bonne conjonction — fenêtre de tir : une minute, ou une image ?)
  • Le correcteur d’orthographe ne fonctionne plus depuis quelques jours. Combien de coquilles m’échappent ?
  • Quant à un titre pour l’ensemble de la semaine…
Figure 18 – Canaux urbains gorgés de soleil – photoperso P3080250 (08032015)

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).

Laisser un commentaire