#le double voyage #03 | Grand bazar

27 janv. 23

  • Laurent Mauvignier, vidéo : … j’me demandais Mais tiens ce gamin… i… il va écrire, la dernière phrase de sa vie en gros, et quelle peut être, la dernière phrase de sa vie ? évidemment j’l’ai pas trouvée quoi, et euh… j’l’ai… et ça tournait autour de ça quoi, tout l’truc tournait autour de ça quoi, et c’est vrai qu’j’ai après j’me dis que finalement peut-être que… que tous mes livres tournent autour de ça d’ailleurs ? mais euh… | moi ça a toujours ça a toujours été très envahissant en fait euh… | tu vois par exemple par rapport à la question des des… comment comment les rêves comment le le l’imaginaire tout ça peuvent euh… moi j’suis pas quelqu’un de très imaginatif mais par contre j’suis quelqu’un de très poreux à… euh… à ce que j’peux vivre dans la journée à ce que et à et à ce que j’écris le matin tout ça et donc du coup tout ça des fois se se… se se contamine euh à eh à… pour moi c’est très important de laisser plein de moments euh… euh… ah moi j’suis un vrai modèle de décroissance hein sur ce truc-là faut faut euh… faut vraiment euh pour moi en faire pas le moins possible faut aussi laisser beaucoup venir ! | en tout cas moi j’ai besoin de passer par plein de moments où où y a pas d’écriture, et l’écriture pour moi elle elle fait partie de ça c’est aussi un mode de vie euh plus…

28 janv. 23

  • Il me faut lire L’Usage pour retrouver, à Tabriz en Iran, le nom exact de cette actrice de cinéma américain des années 1920 aux années 1940, Mae West, qu’à plusieurs reprises j’ai cherché en vain (j’étais autour de Kenny) pour savoir quelle était sa formule précise à propos du fait que le meilleur chemin entre deux points n’est pas une droite, c’est une courbe.
  • C’est un point qui a l’air de passer au second plan, mais Bouvier fait quand même bien ressentir les tensions qui existent entre les peuples. C’était déjà le cas en Yougoslavie, d’abord entre les Tziganes et les Serbes avec ce village coupé en deux, et puis, en chemin vers la Turquie, entre les Serbes et les Bosniaques, et les Macédoniens, les Turcs et les Grecs, les Kurdes. Et ça a l’air de s’amplifier lorsque Bouvier et Vernet séjournent à Tabriz : il y a là des personnages figurant et racontant l’histoire de Tabriz, comme une capitale d’une Asie reliant jadis la Mineure à la Centrale, et le Caucase à l’Arabie et la Perse (entre la Méditerranée, la mer Noire, la mer Caspienne et le golfe persique) ; une ville alors cosmoplite et qui le reste malgré les tensions entre les communautés et la différence religieuse (les Arméniens chrétiens, les Azéris musulmans) ; différence qui s’accentue, Bouvier parle déjà du fanatisme religieux qui gagne l’islam et le pays ; sans parler de l’écart toujours plus grand entre les pauvres livrés à eux-mêmes qui semblent à peine avoir connaissance du monde des riches au pouvoir sans faille (et faut-il parler de la présence de quelques Américains « en panique d’être si loin, si mal compris, si différents » ?). — Pour peu que je comprenne quoi que ce soit à ce qui se passe aujourd’hui, j’ai le sentiment que les choses n’ont pas beaucoup changé, qu’elle se sont même accentuées — usées. Si ce n’est que les femmes donnent désormais de la voix.
  • D’ailleurs : « Chichkine… grande peinture — disait la femme — forêts de bouleaux sous la neige. » Bouvier et Vernet ne connaissait pas, moi non plus : Ivan Chichkine. Je n’ai pas retrouvé précisément de bouleaux sous la neige, c’est ou l’un ou l’autre et ma préférence va à cette forêt de sapins enneigée et cette lumière orangée ténue de soleil couchant, diffuse entre les arbres. Ce qui me fait penser à ce mot d’Oscar Wilde, dans son texte où il avance que c’est la nature qui imite l’art — que je citerai quand je l’aurais trouvé.
  • Mauvignier : … qu’est-ce qui m’empêche de prendre le fait que j’m’en fous, comme un élément de mon livre ? qu’est-ce qui m’empêche de le faire ? donc j’vais prendre le fait que j’m’en fous, comme porte d’entrée, pour dire, voilà ce que j’vais pas vous dire, sur l’héritage, par contre voilà ce qui va se passer |

29 janv. 23

  • En Iran, le mode street view de Google Maps ne fonctionne plus, sauf par touches ici ou là, en mode photo-sphere. Il n’y a guère, dans Tabriz, que dans le “bazar” que cela fonctionne. Point par point, on avance dans une rue piétonne étroite et couverte d’une toiture translucide, qui serait un peu comme un de nos passages en ville, ces rues à travers les immeubles. Couverte ou pas, cette rue plein centre, très certainement Bouvier et Vernet l’ont empruntée.
  • Mauvignier : … et tous les livres, que j’ai aimé écrire, y en a qu’j’ai moins aimé écrire peut-être mais, mais tous ceux qu’j’ai vraiment écrire c’est quand, j’ai eu la sensation, que en racontant une histoire, ils m’amenaient, à… à dire quelque chose dont je ne savais pas qu’j’voulais le dire, en fait |
  • Dans quelle mesure ce que j’entreprends ici, avec L’Usage du monde, relève-t-il de l’usage de l’histoire ? Parce que ce livre, je le possède depuis des années. Je l’ai acheté, un jour, je l’ai laissé là, je l’ai oublié, comme une lettre en souffrance. Je l’ai attendu. Et il est revenu, dans cette conjonction inattendue. D’accord. Mais l’histoire, elle : les Balkans éclatés et tendus, la Turquie démocratoriale, l’Iran répressif, l’Afghanistan fanatique (les clichés sont tenaces, bien sûr) : quelle part, quel poids de l’histoire m’entraînent ? — quels aussi pour Bouvier et Vernet, quand bien même ils voient dans leur voyage « une manière de respiration » ?
  • Troisième clef pour un voyage sans retour : … c’est, comment, on intègre dans un livre, comment on fait livre, du chemin vers… ce qu’atteint, le livre… ce que décroche, le livre… ce que fabrique, le livre, d’inouï, et, par étapes, successives — (j’essaie de suivre le rythme, oral, du discours ; mais je me rends compte que la ponctuation, malgré tous les efforts pour traduire les pauses ici plus longues, les suspensions, l’accent tonique plus haut là, relève d’un théâtre de la voix plus personnel que je ne saurais le dire, le croire, le désirer) |
  • Le mot d’Oscar Wilde, dans Le Déclin du mensonge : « Là où l’homme cultivé saisit un effet, l’homme d’esprit inculte attrape un rhume. » — Et un commentaire de Jacques Lacarrière, sur le site Chemins Faisant : « Rendre essentiel à notre vue — et qui sait à notre vie — des paysages qui jusqu’alors étaient pour nous inexistants ou invisibles et inverser si fort la relation entre eux et nous que désormais les seuls réels et mémorables soient ceux du peintre, voilà le paradoxe et le fabuleux privilège de l’artiste. »
Figure 19 – Bazar de Tabriz – Tabriz Street View (juil. 2021) dans Google Maps – capture d’écran 2023-01-29 105837

30 janv.-23

  • Combien de fois Bouvier et Vernet se sont dit que leur voyage était sans retour ? — pas de travail à Istanbul pour un peu d’argent, l’hiver rude à Tabriz, la prison kurde de Mahabad, la crue meurtrière. — Combien aucun ne l’a pensé, au contraire, alors que la situation était sans appel ?
  • « Des ravines profondes coupaient la chaussée ; la conduite était délicate, et six mois de vie sédentaire nous avaient rendu maladroits. On embourba plusieurs fois la voiture jusqu’au capot, et sans espoir d’en sortir par nous-mêmes. Le mieux, en pareil cas, c’est encore de s’asseoir sur ses talons en attendant qu’une charrette passe et de regarder le paysage. Il en valait la peine. »
Figure 20 – Qızıldağ – photo 360° Amir Hassan (juil. 2020) sur Google Maps
  • Sans retour : c’est le moment de sortir de la voix.

31 janv. 23

  • Ce projet de l’Usure, parce que c’est le voyage même qui me semble impossible.
  • Comme souvent, lorsque je lis un mot que je ne comprends pas, je note le mot et son ou ses sens dans l’entête ou le pied-de-page. Il y en a quelques-uns dans L’Usage. Le plus étonnant, c’est peut-être fède. Le mot m’est d’autant plus inconnu qu’il n’existe pas en français, sinon sous des formes anciennes, un nom féminin relatif à l’occitan désignant une brebis portière, un autre corse d’origine latine pour la foi, et un adjectif lié à une famille de mots rares (fédation, défédation, féder, fédité) pour dire la souillure, le viol. Mais surtout, l’exemple qui revient dans les dictionnaires en ligne pour illustrer le sens de fède dans L’Usage (une vengeance privée), c’est le passage de L’Usage même : « En fait, il avait surtout péché par anachronisme parce que ce folklore du talion, de la vendetta et des fèdes familiales, qui avait si longtemps ensanglanté le Kurdistan, commençait à passer de mode. » — Je me demande si aujourd’hui cette mode n’est pas revenue en Iran.
  • (La prison n’est pas toujours ce qu’on croit. Bouvier, lisant la Bible qu’on lui a prêtée : « L’envie de rester coincé ici assez pour lire ce livre attentivement, de bout en bout, et voir éclore ce prodigieux printemps, m’effleura même une ou deux fois. »)

1er févr.-23

  • Avec le verbe falloir dans l’épisode des ruines : le négatif présent, la descente au passé (composé, imparfait), l’hésitation entre le passé simple et le conditonnel (pour un futur dans le passé et une indécision finale — va pour ces conditions).
  • Du réel et de l’imaginaire, tout se mêle, l’un exagère toujours avec l’autre. Je distribue l’italique seulement pour distinguer les lieux dont je parle, pas les dimensions de l’énonciation.
  • Ni merveilleux, ni fantastique, mais quelque chose entre, à « naître aussi bien d’un oubli, d’un péché, d’une catastrophe qui, en rompant le train des habitudes, offre à la vie un champ inattendu pour déployer ses fastes sous des yeux toujours prêts à s’en réjouir », écrit Bouvier.
  • Qu’on ne se méprenne pas : le svastika, dès lors qu’on parvient à le distinguer de la croix gammée nazie, et qu’on ose effectuer quelques recherches, c’est d’abord un signe pacifique, « un signe de salut » selon Émile-Louis Burnouf qu’on traçait sur le front des jeunes bouddhistes, sur toutes sortes d’objets antiques de Rhodes, de Chypre, de Grèce, et sur le corps de Jésus avant la mise au tombeau.

31 janv.- 04 févr. 23

Non, mais on avait coupé à travers et c’était comme une petite ville en soi, une ville dans la ville, ou une contre-ville avec de grands bâtiments à l’entrée, une grande place et son avenue, et puis des allées arborées, des quartiers, des sens giratoires, quelques mouments au milieu de toutes ses stèles dressées qui font comme les pavillons en ligne autour du grand cimetière, et même une sorte de terrain vague et dans un coin des tas de sable, de terre, et on stocke quoi sur les palettes ? et dans le long entrepôt on fait quoi ? on taille la pierre ? on fabrique les stèles en série ? en tout cas un chantier interdit au public vu qu’on s’est cassé le nez sur une clôture au bout du chemin derrière une levée qu’on avait pas vu venir, et alors quoi ? qu’est-ce qu’on faisait maintenant, coincé-là dans ce parc immense, simple et tranquille ? on avait voulu gagner du temps en coupant à travers, on errait…

… en fait, t’en reviens pas de ce pays, le moment même où tu descends dans la rue, un taxi et te voilà parti ? ben non, dans la rue, les femmes aussi elles y étaient descendues, et en masse, par centaines, par milliers dans cette grande avenue, avec drapeaux, pancartes, banderolles, foulards et parapluies en force, slogans et youyous, en bleu, en rouge, en vert et mauve, et pas une voiture, ou alors à l’arrêt, coincée, attendant, et toi aussi t’attends, tu regardes le défilé, lentement avancer, stagner, piétiner, donner de la voix et chanter pour rattraper le retard de l’histoire, tu regardes assis sur la valise, ta montre filer, soudain avancée, à piétiner en hurlant parce que c’est couru d’avance que t’es en retard, que c’est foutu, qu’il y aura pas de retour, ton histoire à toi elle s’arrête là, là-haut, dans ta chambre reconduite, vue imprenable sur le parking vide…

… et j’te parle pas de la taxe de départ, parce qu’avant de partir tu dois t’acquitter de ton départ, la taxe de séjour ça suffit, pour partir il faut payer, alors OK, tu retournes là où on t’a dit d’aller pour la taxe de séjour, au Tropical, mais sur place on te dit que Non, c’est pas là, pour vous c’est l’Europate — Et il est où l’Europate ? — De l’autre côté, après le centre-ville . — OK !, mais tu vois le délire… ?

… et puis même pour rentrer, pour retrouver ta chambre dès le premier jour, interminable, pas possible, avec cette ville souterraine, quand tu sors du métro que tu te retrouves directement dans un réseau de galeries qui part à gauche, qui part à droite, qui monte ou descend d’un ou deux niveaux, ces galeries marchandes avec un monde pas possible, et parfois ça se resserre et c’est comme un passage ou un escalier dérobé, et ça se bouscule, ça coince, tu sais déjà pas où t’es et voilà que ça bloque, tu fais la queue et va savoir pourquoi, tout ce que tu veux c’est remonter à la surface, juste te retrouver dans la rue et prendre le bus pour rentrer, mais même ça c’est sans fin, pas possible, et puis t’es remonté trop haut, dans une grande surface à l’étage, et va savoir lequel, même quand tu redescends l’ascenceur tu sais pas où tu dois t’arrêter, le niveau zéro c’est pas le rez-de-chaussée, t’es encore dans une galerie, tu te retrouves dans la station de métro mais de l’autre côté, pas possible, tu sais vraiment plus où t’habites et tu voudrais bien y retourner…

… le même coup quand on a pris le train, pas trop long, juste un petit tour pour aller voir les ruines antiques dans la matinée, on avait le temps, on serait de retour assez tôt pour partir, il faut pas trop s’attarder c’est tout, et il faisait beau ce matin-là à la gare, et une fois dans le train le temps qui se gâte, qui vire comme une solution en précipité, plus tu te rapprochais du site, plus le paysage se dégageait avec vue sur la côte et la mer, et plus ça devenait sombre et le brouillard tombait, la côte noyée, la mer fondue, et à l’arrivée, la pluie, le genre de pluie fine qui prend le temps de s’infiltrer jusque dans les os si possible, et dans les ruines une bonne averse, ça courait sur les pavés glissants, il a fallu se réfugier dans l’espèce de tunnel où sont conservées des centaines de plaques de mosaïque, avec le guide qui connaît l’histoire de chacune, ce que représentent les signes et les labyrinthes, il y avait même une croix gammée, un svastika mais à branches coudées vers la gauche, comme le vieux motif aryen, pas l’emblème nazi, et le guide, lui, bien content d’avoir quelqu’un à qui parler sans doute, on l’arrêtait plus, il fallait écouter ce que chaque stèle avait à dire, mille et une histoires qui se faisaient écho, par confirmation, contradiction, en avançant au train dans ce tunnel bien plus long qu’on croirait vu de dehors, et de l’intérieur c’était sans fin, sans fin la pluie d’orage, sans fin la pluie de paroles, il faudrait couper court…

… et le délire dans ce cœur historique d’où tu sors plus, c’est juste une artère principale pourtant, mais si étroite avec ces bazars qui débordent du même tout et empiètent presque sur celles d’en face, et avec tout ce monde qui s’agglomère et s’obstrue, alors forcément, t’es tenté de bifurquer, de couper par la première venelle, mais elle en appelle aussitôt une autre, qui file à gauche, et une autre à droite, et deux ou trois autres ensuite qui partent de biais, et alors va savoir où tu vas, et même si tu vas quelque part quand tu rencontres un type qui sait, lui, où tu peux aller, juste en prenant là l’escalier pour t’emmener voir la ville de haut, qui sait, lui, où il tu dois passer et c’est de l’autre côté, c’est par un autre chemin, et alors il y a un deuxième type sorti de nulle part, ils sont deux, les types, à t’accompagner, mais souvent tu rencontres personne, tu tournes dans le dédale de rues, seul, ou alors juste un chat qui déguerpit, et c’est une chance si tu retombes dans l’artère noire de monde, plus bas que t’étais, forcément, mais comment le savoir, et en entrant par le côté opposé à celui où t’en étais sorti, mais qu’est-ce que ça change, tout content tu te remets dans la file, tu choisis un sens et tu suis le mouvement, noyé dans la masse…

… là-bas, il y avait une île au milieu du fleuve, une grande île qui semble toute petite par rapport au fleuve, on y accède en métro, c’est un parc calme, silencieux par rapport à la ville et sa rumeur lointaine, sourde mais continue, un beau parc où les feuilles des arbres ont éclos, durant mon séjour, les arbres étaient nus à mon arrivée, il y avait parfois à leurs pieds quelques pan de neige craquante, mais les feuilles gorgées de soleil se sont déployées comme des ailes, pour un peu les arbres s’envolaient, mais c’est l’île surtout qui s’est mise à bouger, au bout de l’île, là où les bras du fleuve se rejoignent, l’eau bien haute courait en tourbillonant, mais non, ce n’était pas l’eau, c’était l’île qui avançait, qui faisait bouillonner l’eau à sa pointe, c’était l’île qui se détachait de la ville, insensiblement elle partait, en roulis le long de ses berges, comme pour gagner là-bas la mer, et je partais avec elle, dans les roulis, en tangage, accroché aux branches, aux feuilles…

… et quand tu sors, y en a toujours un pour t’accoster, y en a toujours un pour venir te demander, toujours un pour venir te parler, te raconter, surtout quand vient le soir et il vient tôt là-bas, la nuit tombe vite, et toi t’es toujours sur la défensive, toi tu t’dis, Si c’est pour de l’argent non ! mais non, c’est pas pour ça, c’est vraiment pour discuter, pour bavarder un peu, parce qu’ici, y a un monde incroyable dans les rues, mais on se parle pas, on va, on vient, serré, ça se bouscule, mais sans un mot, sauf avec les étrangers, et j’me demande même si c’est pas pour ça qu’on se rue, à la recherche de l’étranger pour des histoires comme ça, et c’est un problème ça les gens qui veulent parler juste pour ça, et pas pour l’argent, parce que t’en finis pas, une pièce, un billet, ou un verre au café du coin, c’est plus facile, c’est comme une taxe, une fois que c’est fait t’es tranquille, tu reprends ton chemin, mais parler pour rien, même si on te refuse jamais la pièce, le billet ou le verre, et c’est bien autour d’un verre pour raconter des histoires comme ça, des histoires d’ici et de là-bas qui sont toujours exotiques, distractives, entre étrangers, c’est mieux autour dans un petit café enfumé où ils ont leurs petites habitudes jusqu’au petit matin…

Figure 21 – Le coin des Foufounes électriques – photopersos (04/05/2013) montées et retouchées

… aux Foufounes, quand on est ressortis, les buildings avaient l’air de tourner autour et les véhicules tremblaient, sursautaient, on s’est accrochés à l’espèce de structure métallique qui faisait l’angle et se dédoublait en triplette, sauf que y en a un qu’a pas tenu, en se retenant au montant qui esquivait le plus il s’est ramassé, on a bien compris alors ce que ça signifiait le nom du lieu, tout ce monde là-dedans, serré comme dans un couloir sombre, la chaleur, les lumières vives, stroboscopiques à l’étage, et partout mêlées de mots et paroles insaisissables sous les beats bam boum et les tringles de guitares dérégulées, avec tout ce qu’on s’avale de Cap Tourmente, Ibis, Dieu du ciel, Blanche de Chambly, Vaisseau des songes, un big burger sauce bayou pour éponger, qu’il a jeté au caniveau et y en avait deux autres à se ruer dessus en montrant les grilles, à grogner et hurler, mais c’était peut-être une moto qui roucoulait grave ou la porte qui venait de baîller trop fort, un truc à crever l’oreiller, et c’est bien ça qu’on voulait faire aussi, maintenant, on sortait pour rentrer se coucher, et pas chez l’habitant, on pensait bien rentrer dans cette chambre à soi à mille lieues, il allait pourtant falloir se contenter du pied de la structure ou attendre que les rues aient suffisamment tourné avec les buildings pour se retrouver devant la chambre d’ici, avec un peu de chance on serait sur la pointe de l’île et le fleuve nous porterait…

… et j’te dis pas pour la taxe de départ, qu’une fois arrivé à l’Europate, enfin ! parce que c’est quelque chose la traversée du centre, t’es tellement serré et bousculé que si tu t’méfies pas t’as vite fait de t’retrouver à contresens, bref ! la taxe, à l’Europate, ils avaient pas dit au Tropical qu’il fallait la payer dans la monnaie de ton pays, OK ! mais pour trouver un bureau de change ? c’était soit l’aéroport et je revenais là, Oui mais vu les files d’attente… soit l’Intercontinentale, Et c’est où ça ? c’était à côté de l’aéroport, et pas besoin de revenir ici, Ah ? et pourquoi ? parce que là-bas tout est prévu pour l’international, problème : comme tout le monde se fait avoir il faut prendre rendez-vous, Mais le mieux aurait été de s’acquitter de la taxe de départ avant, soit à l’arrivée, soit avant d’arriver, de chez vous-même, en ligne, tu vois le délire… !?

03 févr.-23

  • William Marx sur Inter : « … pour Valéry ce qui compte, c’est euh d’être transformé, par le travail de l’œuvre alors ça vaut pour l’auteur c’est-à-dire que, travailler une œuvre c’est un travail aussi sur soi-même hein ? il dit, euh, écrire une œuvre c’est, trans… c’est transformé une matière pour, euh, transformé quelqu’un et ce quelqu’un c’est à la fois l’auteur qui se transforme lui-même, donc dans une sorte, dans une sorte d’ascèse personnelle hein ? on pourrait même parler de développement personnel à partir de la création à partir de la pensée mais, c’est aussi, transformer le lecteur ! c’est-à-dire que le lecteur, doit, fournir un travail, doit fournir un effort, pour se transformer… »
  • J’ai rééquilibré, quantitativement. Pas sûr pour autant qu’il y ait égalité poétiquement parlant. Bon ici (ou pas mal, c’est déjà ça, même s’il ne faut pas se contenter de si peu), moins là. En tout cas, le jeu reste le même (de la voix).
  • Et puis redistribuer les masses, dans une alternance aléatoire, ou presque (le dernier sera le premier), des blocs romains/italiques.
  • Téhéran. Je ne retrouve pas le monument I love Theran (love en forme de cœur). Quand on sait combien les USA et l’Iran (les dirigeants des deux pays pour être plus précis) se portent mutuellement dans leurs cœurs, comment comprendre cette reprise du célèbre I love NY ? De la société contre l’État ?
  • La place Tup-khane dont parle Bouvier, près de laquelle il logeait dans une auberge non loin du bazar, correspond aujourd’hui au square Imam Khomeini. Les vieux canons ont disparu. Difficile pourtant d’associer le quartier du bazar à cette place, 600 à 800 mètres les séparent. Mais Bouvier et Vernet se seront bien rendus dans les deux lieux, et perdus dans le bazar — même en photo-sphères on peut s’y perdre : les images 360° ne sont pas toujours sûres, parfois un corps restent sans jambes ou inversement, les personnes se superposent, le floutage est intempestif, la lumière trop vive, le contraste trop faible et c’est voilé, ou quelqu’un a signalé un abus et l’image est déchirée, par un grand aplat noir.
  • (Quand un lieu l’emporte sur l’autre, quand des deux textes parallèles l’un l’emporte sur l’autre, s’agit-il d’un déséquilibre poétique ? d’une lacune dans l’expérience ? ou bien du réel et de l’imaginaire l’un a soulevé l’autre plus fort et plus haut ?)
Figure 22 – Tehran Bazaar, District 12 – photo-sphères Saman Abbasi (avr. 2020) et Willy Kaemena (avr. 2015) sur Google Maps

04 févr.-23

Figure 23 – Place Tup-khane – photo sur la page Facebook de Old Teheran (18 février 2015)
  • J’ai fini par trouver une image de l’ancienne place Tup-khane, avec un pan de son histoire sur la page Facebook de Old Teheran (18 février 2015) où l’on apprend : que la construction de la place, débutant en 1867, s’inscrit dans un projet d’agrandissement de Téhéran et de modernisation en « ville ouverte » (pour éradiquer l’épidémie de choléra, accueillir l’afflux d’immigrants, ressembler aux villes d’Europe) ; qu’il s’agit, en plein centre, d’ « un vaste espace public rectangulaire aussi connu sous le nom de place de l’artillerie, ou Meydan-e Toopkhaneh », dont la construction, supervisée par Mohammad Ebrahim Khan Azarbaijani, s’est achevée en 1877 ; et que, « au début, plusieurs canons portugais confisqués à l’île d’Hormouz par les militaires de Shah Abbas (avec l’aide des Britanniques) ont été exposés sur la place. »
  • C’est les soldes aussi dans le grand bazar de Téhéran ?
  • L’Iran, ce n’est pas la Perse. Je veux dire dans mon esprit : l’Iran, c’est à Téhéran, c’est l’État qui réprime, c’est la société qui conteste, qui manifeste, c’est la communauté internationale qui s’insurge, c’est les drones en Ukraine, c’est les pndaisons sur place, c’est la Bombe latente, c’était la guerre avec l’Irak au 20 heures, c’était la barbe de Khomeiny dans un livre d’histoire, c’est les informations que j’en reçois, le Diplo, Inter, Arte, Internet aussi (de façon plus subliminale dans les fils d’infos en continu), des informations tel que, impossible à transformer en connaissance — avec un peu de chance, voilà qui est fait ? — ; la Perse, c’est Ispahan, c’est la route de la soie, c’est les tapis persans, c’est les caravanes et caravensérails, Marco Polo de passage en 1292 (je crois), jardins et palais d’Orient, contes des Mille et une nuits (entre autres clichés).
  • Sur le site Paristheran, Daisy Lorenzi raconte ses voyages à travers l’Iran. Elle donne peut-être plus dans Le Guide du routard que dans L’Usage du monde, mais on peut trouver une petite anecdote surprise : « un matin, je débarque à Shiraz avec mon backpack. J’ai rendez-vous avec un couchsurfer, mais je suis en avance. Alors je décide d’aller prendre une glace à proximité. J’essaie tant bien que mal de communiquer avec le vendeur qui ne parle pas anglais. Quand aussitôt, un autre client vient m’aider à passer commande. Je m’assois dans la petite boutique pour déguster ma glace et cet homme accompagné de sa fille échange quelques mots avec moi. Puis quelques minutes plus tard, il se lève pour régler sa glace et partir. Avant de quitter la boutique, il se tourne vers moi, et me dit que je n’ai rien à régler. Sans même m’en informer et sans que j’aie le temps de réagir, il avait en effet payé pour moi ! Aussitôt, il me salue et s’en va. »
  • En même temps, j’écoute Astéréotypie, L’Énergie positive des dieux. Rien avoir avec le voyage, l’aventure. Ou alors ça : « Je vais vous raconter l’histoire de Marie-Antoinette / Tout le monde croit qu’elle a été décapitée / Mais en fait non / C’était son sosie / Marie-Antoinette elle est partie de Versailles avec Louis XVI / Ils sont allés dans un sous-sol très profond sous Paris / Du coup personne sait vraiment où ils sont / Mais c’est vraiment très profond / Le mystère c’est qu’on ne sait pas quand ils vont sortir ».

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).

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