P#1 Les chambres de famille

© Photo Laurence Fritsch

Au mur, le portrait d’une femme punaisée, couvercle en carton d’une boîte de chocolats, l’odeur amère du cacao enrobant les truffes faites maison.

Une couverture damassée, lourde, un édredon de plume, le poêle à bois désormais froid et la cavalcade de grosses araignées noires sous le lit.

Dans la maison étroite, une chambre aux faïences anciennes, noires et blanches années 1900, des lettres dans le tiroir secret de l’armoire familiale.

Un sol en terre battue d’une vieille ferme, un lit pliant, dormir tête-bêche avec une cousine et se réveiller mouillée par son urine.

Des lits-bateaux gigognes, l’un au-dessus de l’autre, et toute la journée la peur de dormir enfermée dans le tiroir du bas.

Canapé déplié dans le salon-télé, luge, raquettes et skis en bois au mur, il s’est accaparé tous les souvenirs de famille.

Au-dessus du lit bosselé du grand-père, un crucifix, à droite une armoire en noyer, tous sacrifiés à cause du gel de 1898, faire du pain pour les collabos ? Plutôt s’enfuir.

Une chambre rose de fille, devenue belle-sœur, et retrouver le Club des cinq, les Petites filles modèles et la couverture rigide blanche et dorée de la collection des contes et légendes.

Lit en fer sur un plancher gris, bruit du moulin électrique, odeur de grain fraîchement écrasé, écouter le café qui chantonne sur la cuisinière où les galets de charbon rougeoient.

Dans la chambre d’ami, plutôt du fils parti, un djembé, un étui à violon, des partitions éparpillées, et par la fenêtre le vol du bourdon.

A propos de Laurence Fritsch

Poète, Laurence Fritsch publie ses poèmes sur son blog : https://laurencefritsch.wordpress.com/ Depuis plusieurs mois, elle écrit un poème par jour posté sur Facebook (https://www.facebook.com/laurence.fritsch1) et Instagram (@lau_fritsch), illustré par une photo, le plus souvent prise par l’autrice. Texte et image se répondent, se complètent pour constituer un tableau, un polaroïd traduisant un état d’âme, la fulgurance de la pensée, la beauté de la nature.

6 commentaires à propos de “P#1 Les chambres de famille”

  1. Je ne sais pas pourquoi, quelque chose d’Annie Ernaux, de loin, cette succession d’espaces, d’objets familiers, et en même temps au fond, en sourdine ou en diagonale : le rejet, une familiarité usée qui repousse. Faire du « rance » un objet littéraire ?

    • Merci Marion, touchée par vos remarques. Je pensais pas que le rejet ou le « rance » transpiraient autant…

    • Merci Cécile pour vos remarques. Certains détails nous marquent plus que d’autres !