#photofictions #09 | Gâtine sans fard

Hérisson, Hiver, Dernière heure, 7-18/03 2018, Maison mitoyenne, Tuile, Village et bourg

Sans faire de vilain jeu de mots, sans voyager d’impressions trop rapides, de marqueurs gris, d’invisibilité aux richesses plus sourdes comme une personne ne révèlerait pas ses qualités de premier abord (je me souviens que l’écrivain Michel Houellebecq prenait dans l’un de ses romans la ville de Niort située à une trentaine de kilomètres pour l’exemple même d’une ville ennuyeuse, les citadins niortais ont jugé de bon droit cette remarque inacceptable), sans coller une étiquette mal placée sur un pays que je connais mal, si ce n’est d’être passée à quelques kilomètres en allant du Trégor au Cognaçais, puis du Pays Nantais au Cognaçais, et enfin, d’île de France au Cognaçais à mesure que mon domicile bougeait et que le trajet de mon domicile à celui de mes grands-parents paternels se modifiait (je leur ai rendu visite de ma naissance à leur décès, jusqu’à la vente de l’exploitation viticole, puis de la maison); le pays de Gâtine, entre le bocage Bressuirais et le Niortais, n’est pas gâté. La gâtine est une terre marécageuse et stérile en raison d’un sous-sol imperméable.

Ces terres improductives que l’époque hygiéniste s’est fait un mot d’ordre de fertiliser au 19ème siècle, de ne pas laisser en l’état. Il s’agissait de donner les moyens au pays de nourrir sa population contre le déterminisme du sol et du nom qui s’en est suivi comme un sort colle à la peau : gâtine, sol infertile. On imagine que les premières fermes construites ici (la première en 1881) ont profité des techniques de drainage pour faciliter la culture puis son intensification productiviste. Sur la nationale 149 entre Bressuire et Parthenay, au niveau de la commune d’Amailloux, un zoom sur la carte IGN fait apparaître brusquement un nuage de noms de lieux dits invisibles à l’échelle supérieure. La carte parsemée de larges zones blanches, de taches de bois restreintes, d’une croisée en forme de V des routes départementales D46 et D327, et d’un maillage lâche de petites routes communales, s’anime. Un flux de jambes graphiques s’enchevêtre aux tracés. Une zone blanche traversée de fines lignes vertes dont le sens est conservé dans la légende (les chemins apparaissent en noirs ou pointillés), une impression de no man’s land renforcée par les mots clés du paysage photographié dans l’Atlas des Régions Naturelles: « dernière heure », « dépôt de bilan », « vestige ».

Si le sol infertile a marqué le pays, l’économie contemporaine semble ne pas l’épargner davantage. La désertification rurale abandonne dans le paysage des façades de volets fermés, des crépis verts vieillissants à l’angle des routes à Hérisson, le dépôt de bilan de la QUINCAILLERIE ET OUTILLAGE BILLAUD à La Chapelle-Saint-Laurent (la typographie de l’enseigne conserve un style de fronton industriel remarquable), l’ossature métallique brisée d’une ancienne discothèque à Coulonge-sur-l’Autize, un cube de parpaing abandonné à ciel ouvert percé de fenêtres, à vendre, à Partenay. Numéro de téléphone à 10 chiffres commençant par 06 renseigné sur le panneau posé à même le mur. Dans le jardin public du Nombril du monde à Hérisson les tôles récupérées animent une structure d’art brut mi insecte mi vaisseau métallique dans une position de départ assurée pour l’imaginaire. J’ai d’abord pensé qu’il en était de même pour cette zone de lieux dits de la carte IGN. Une invention. Une carte de l’année 1950 prouve le contraire. Ainsi qu’un témoignage généalogique.

Dans le village de Fourchelimier, si une carte fait rêver malgré le sol infertile, malgré la désertification rurale, les ruines, les tôles rouillées, malgré les dépôts de bilan, si une carte élargit l’horizon elle se situe dans le pays de Gâtine. Nous traversons le Contretemps (hangars de part d’autre de la route et un corps de bâtiment principal, petite parcelle de bois). Au carrefour, la route conduit au Temps (parcelle numéro 0314), rejoint Avec, traverse le Curieux et l’Interrogateur (chemin pointillé). On raconte que ces cinq lieux dits : le Contretemps, le Temps, Avec, le Curieux, l’Interrogateur, ont été choisis pour écrire une phrase. Une phrase comme n’en construit jamais la littérature. (Imaginons le roman ou le tract ininterrompu que pourraient écrire les noms du planisphère…) Les photographies des paysages de l’Atlas des Régions naturelles sont une de ces longues phrases qui nous racontent.

Mots clés : Gâtine, dépôt de bilan, dernière heure, vestige, maison mitoyenne, discothèque, bricolage, parpaing

A propos de Nolwenn Euzen

J'écris dans les ateliers du Tiers Livre depuis 2022. Cycles: "techniques et élargissements" , "le grand carnet", "photofictions" ou 40 jours d'écriture au quotidien" (juin-juillet 2022). Mon blog le carnet des ateliers concerne quelques séjours d'écriture et ateliers que je propose, associés notamment à la marche à pied. J'ai publié deux livres papiers et un au format numérique quand j'étais plus jeune. Je me fâche régulièrement avec l'écriture et me réconcilie. Je suis d'abord une infatigable lectrice. "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue Ces revues m'ont accueillie dans le passé: La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune... Et, grâce à l'anthologie "La poésie française pour les nuls" (éditions First) je sais que dans un des livres de la bibliothèque de la ville où j'habite, c'est moi. Et ça compte d'être tatouée comme ça. J'ai participé plusieurs années aux échanges de blog à blog des "vases communicants" - mon site a disparu depuis. En 2007, j'ai bénéficié d'une bourse de découverte du CNL. Le texte a été abouti. J'ai bifurqué vers d'autres urgences. Enfin voilà quand même, je suis contente d'être arrivé là bien qu'aujourd'hui le temps a passé et que j'ai toujours un casque de chantier sur la tête. J'aime ça.

8 commentaires à propos de “#photofictions #09 | Gâtine sans fard”

  1. Merci pour ce Voyage dans ce pays où les mots, les noms résonnent forts, témoignages d’une vie passée propulsée au présent de ma propre mémoire. J’en suis bien heureuse.

  2. je viens de lire, et avant j’ai passé deux heures sur l’indexation des photos. Les liens ne renvoient tous qu’au même « accueil du site », au cas où l’effet désiré aurait été de renvoyer à chaque photo…par contre, si c’est fait exprès, je trouve que c’est l’idée du texte. A mon très humble-en-cours avis.

    • Bonjour Alexia, merci du retour. En publiant mon texte sur le blog j’ai eu l’idée d’ajouter des liens vers chacune des images que je croque dans le texte. Je n’avais pas repéré qu’elles menaient à l’accueil du site. J’ai préféré les retirer et ne laisser que celui de la fin quand j’évoque l’Atlas. Bonne suite !

  3. Les noms laissent place à l’imaginaire, et j’ai aimé aussi (exprès pas exprès), le fait de se retrouver au point zéro à chaque lien, comme une sorte de dystopie géographique, un retour au point de départ comme un labyrinthe sans fin.

    • Merci Perle. Les liens vers le point zéro n’étaient pas volontaires. J’ai préféré les retirer. Cette question de montrer, connecter les images qi travsersent le texte ou seulement les dire aura traversé tout le cycle !

    • Merci Danièle. Je m’aperçois que je n’avais pas répondu à ton commentaire et je te prie de m’en excuser. Je repasse ici pour relire ce texte, qui dépasse en longueur, c’est rattrapé ! Bonnes écritures.