#carnets #prologue | L’épars est la règle

L’un des premiers n’est pas un carnet. Un classeur plus large que long, plus épais que rempli. Large oui pour la petite écriture qu’il contient encore, solide comme une boîte, le dos bien droit, rigide, coque à placer face au vent, pour mise à l’abri immédiate. Les deux couvertures, dépassant amplement le bord des pages, se closent en bouche pincée, en bec de cygne qui claque si. Sous la main, le revêtement de tissu aligne de grosses rayures noires sur fond blanc, cage à rêves allongés, retient les boucles appliquées des f, des l, des y, les bulles rondes des o, des a, protège des lectures hasardeuses. Le tissu tiède, rêche, met les mots en habits, leur fait un palanquin à carreaux rustiques pour quelques feuilles soigneusement oeillées, où par les trous menacent les dents luisantes.

Le premier. il a aujourd’hui l’odeur du grenier, de la poussière mouillée.

Des cahiers, des carnets, des coins de feuilles, des enveloppes – écrire tout autour de la fenêtre transparente – des agendas, des répertoires, des blocs-notes, et des stylos en pagaille au fond des sacs où les tâches d’encre. Il ne doit pas être trop beau, trop luxueux, trop lisse, je veux pouvoir raturer, scribouiller, déchirer, faire disparaître, salir, oui ! salir avec les doigts, le café, le vin, le sang. Gratter. J’en veux toujours un d’avance et pourtant. Ecrire dans les marges, en travers, à l’intérieur des couvertures, entre les spirales, par la fin, à l’envers, double entrée, je mets des astérisques et des doubles et des triples, puis des flèches. J’en commence un, je continue ailleurs, là où j’attrape. Je préfère les spirales, bascule rapide. Tentative d’être ordonnée, de mettre des titres, des dates, des notes, d’agrafer des idées, et puis tout fout le camp, je m’éparpille. Invariablement, je me mets à noter ailleurs, ne joins jamais. Je tombe dessus des jours, des mois des années après et les mots sont là… tout nus. Comme séparés d’un tout, un tout qui n’existe pas tant l’épars est la règle. Et je me souviens.

A propos de Helene Gosselin

Un peu de sociologie de l'imaginaire, quelques années de journalisme à Montpellier. Mise au vert en Lozère. Venue ici par un heureux concours de circonstances. M'y accroche. Dévide, fouille, cherche sous les doigts.

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