#recto verso #07 | le fait qu’il y a que c’était

Le fait qu’il y a les hélicoptères, du moins leur bruit ; le fait que ça tournoie, là-haut, derrière. Et le ciel d’un bleu. Pas un petit nuage, même pas. La chaleur. La mer. La mer on la dirait à l’arrêt, elle stagne; une heure qu’elle aurait dû commencer à monter, à peine de quoi barboter : Tu es sûre qu’elle monte ? On est là, les trois, on parle de son poste au Vietnam, de la vie avant: elle travaillait pour l’OMS – un sacré truc dis-donc… tu peux t’offrir des crevettes tous les jours, même faire l’aller-retour pour les manger in situ j’imagine, Marie ne peut ne pas ne pas… Le fait que ce n’est qu’une rumeur, un grondement, et que ça se rapproche. Ça va très vite après – On dirait qu’elle s’est arrêtée la mer je t’assure c’est à cause des avions et de toute cette merde qu’on lui balance – Non ce sont les hélicoptères, maintenant elle se traine, qui sait si elle bougera encore demain la mer… : « je traine ma vie comme une lourde robe  » c’est dans la Mouette ça non, Macha, une traduction de Duras ? Mais il y a le bruit, un bruit d’enfer, il nous encercle : Macha Duras qui? – le fait que le bruit – Qui? Quoi? Elle fait répéter : Qu’est-ce Duras vient faire ici.. Le fait qu’il y a le bruit des hélicoptère et que ça emporte nos phrases et nos têtes. Même l’air change ; ce vent qui se lève et toutes les têtes, tous les bras ensemble : on dirait une mise en scène, un ballet avec des cheveux et des serviettes qui volent – dans le film les hélicoptères et Wagner tu t’en souviens–, lenteur et accélération. En deux temps. Le ciel et la plage et la mer se déchirent. Le fait qu’il y a ce bruit d’enfer et que ça tournoie : Là regarde : Ici : Trois. Et les sirènes en arrière sur la route. Elle lève son écran avec les autres, rattraper au vol l’instant de la catastrophe, même un peu décentrée, faire une image, même juste un petit rectangle de ciel pour dire, en temps réel j’y étais… Le fait qu’elle passe en mode vidéo : Attends je prends le son : et photographier le bruit des hélicoptères, et photographier le vent et se faire au passage un selfie. Le fait d’y être, le fait de se tenir prête… mais à quoi : … Il y a sûrement des morts qui sait quoi. Elle lance une recherche Google : des fois déjà on sait , attends je cherche. Le fait que le bruit s’éloigne; c’est vers le phare elle dit : à propos tu as a vu la couverture du journal avec l’homme dans son cercueil qui sourit, jusqu’où ça peut aller… Le fait qu’il y a le bruit et qui sait quoi derrière

Le fait que c’était il y a longtemps que je ne sais plus très bien si oui longtemps ni rien tout à fait juste le petit corps dessous et la bâche au bord de la route avec un peu de vent après le grand tournant le fait qu’il y avait le sable oui sur le bord du sable quand parfois on s’enlisait au grand tournant tout ce sable et ces pompons sur leur tige comme des queues de lapins et toutes ces immortelles tête en bas pendues à la poutre avec la poussière de sable qui retombe partout il y en avait des jaunes et qui reste dans la paume l’odeur safran curry ou de ce temps là sous la bâche toutes ces fleurs de sable beaucoup plus qu’aujourd’hui dans la dune qui s’affaisse je crois je me souviens disons beaucoup à hauteur d’enfant le fait que c’est toujours plus ou moins beaucoup plus grand à hauteur d’enfant celle qu’on voit sur la photographie de l’album dans la maison de la grand -mère qui est morte depuis oui c’est toi et entre les pages un bouton de rose a séché 1966 cette photographie qui dit j’y étais et la dune faisait une montagne qu’elle se soit affaissée depuis est-ce que ça compte on y jouait nous eux lui on était des indiens on tombait raide morte on se relevait couverte de sable de sel même le petit corps sous la bâche on était un garçon une fille une bête c’est un garçon j’avais entendu à la maison après les voix elles te remontent non ce n’est pas possible le fils des oui lui oui sept ans ce mais n’est pas qu’il y avait eu des fleurs fraiches sur la route au bord ou une croix un jour ou rien qui sait encore Le fait qu’il y avait eu le petit corps en bordure après le grand tournant sous la bâche est-ce que ça change quelque chose à la dune à la route à la mer aux étoiles qui s’échouent qui s’échouaient à mon corps à mes mains quand plus tard cet autre bouquet dans la dune affaissée est-ce que j’y pensais le jour souvent ou dans la nuit de nos corps qui jouissaient Le fait du petit corps sous la bâche sur le bord Le fait d’un cri puis d’un autre quand elle me dit le texte assise sur sa petite chaise en haut des marches sur la placette qui va porter le nom de sa mère est-ce que je l’entends là sous la bâche l’enfant alors que le vent se lève et qu’elle dit ses mots de théâtre

A propos de Nathalie Holt

A commencé en peinture, a vécu de théâtre et d’opéra, des années de scénographie plus tard ne photographie pas que son lit, tient son journal en images, écrit et marche chaque jour a publié un peu pour aller au bout d’un geste ( Ils tombaient ) ( Averses) https://www.amazon.fr/stores/author/B09LD7R2KY . Écrit pour lire.

10 commentaires à propos de “#recto verso #07 | le fait qu’il y a que c’était”

  1. « Le fait qu’il y a le bruit et qui sait quoi derrière »
    Merci Nathalie. Comme ils sont forts et chargés d’émotions, ces récurrents allers et retours dans l’espace et le temps.

  2. Nathalie, quel plaisir de lire vos textes, on se laisse entraîner… de fait que
    Merci

  3. envie de filer des beignes aux capteuses de catastrophes et puis le coeur se déchire à voir ce petit corps sous la bâche, car on le voit, et la vision temps réel de celle assise sur la petite chaise (on devine qui) et pourtant comment est-on passé des uns aux autres (pas encore bien capté la proposition) mystère et boule de gomme…

  4. Le brut assourdissant du recto et le lointain essouflé sans ponctuation du verso, comme autant de paroles qui nous emportent. Belle expérience de lecture. Merci.

  5. Cette mer qui s’arrête… c’est fort… et ce monde qui vit sous la bâche… beau… merci.

  6. de la mer au bord de la route , des émotions dessous devant partout du bruit et le silence de la mort… emportée par tes textes, merci!

  7. Ugo, Raymonde, Catherine, Jean Luc Ève, Annick. Daniele . Merci beaucoup de vos retours .

  8. Merci Nathalie, très prenant ce texte par ce théâtre de l’urgence « On dirait une mise en scène, un ballet avec des cheveux et des serviettes qui volent »… puis l’incompréhensible dans sa répétition du petit corps sous la bâche. Comment les parties se contaminent, trouvent des voies de transitions.