#Recto Verso #14|Le monde entier est une scène*

Elle ne supporte pas les dates. Elle déteste les chiffres. Elle ne veut plus être identifiée à une date de naissance, un numéro d’immatriculation, un code postal, un relevé de compteur d’électricité, un identifiant d’ordinateur. Elle a oublié la date de sa première dent, de ses dernières règles. Elle a fait exprès de ne plus jamais se souvenir de la mort de ses êtres chers, de celle qui lui a donné la vie, de son chat. Elle ne veut pas qu’on l’alarme sur son taux de glycémie, la date d’obsolescence de son réfrigérateur, la fausse péremption de ses boites de vitamines, le changement d’heure. Elle ne veut pas savoir le montant de la dette du pays où elle a choisi de vivre, la date anniversaire des petits enfants de sa lointaine cousine germaine. Elle refuse de fêter le premier de l’an et le trente et un de la veille. Elle ne veut pas être au courant de la température ambiante, du nombre de morts partout où la guerre a pris son ticket d’entrée dans l’indécence et l’horreur. C’est déjà bien assez de savoir que trop c’est trop, maintenant presque partout et presque tout le temps. Elle est cernée de code-barres à 8 ou 128 chiffres, de codes d’accès, d’ondes 5G, de mégawatts, de pourcentages de taxes exponentielles, d’unités de mesure informatique qui dépassent largement le cadre limité du double décimètre en plastique transparent qui traine sur son bureau tel un objet fabriqué dans un autre monde, une autre galaxie dont on ne sait toujours pas à combien d’années-lumière se situe la plus lointaine. Elle est rassurée de savoir qu’il n’existe aucun consensus scientifique sur la taille minimale qu’un organisme peut avoir pour vivre. Elle voudrait parfois se faire toute petite, se faire oublier des radars constamment allumés de la société, oublier combien il lui faut pour manger, avoir un toit, le nombre d’années loin derrière passées trop vite ou quand sur le malheur le temps s’est arrêté. Elle voudrait peut-être repartir à zéro. Un zéro qui prendrait la forme d’un O bien rond. Et y rester dans ce cercle sacré.

Un corps dépose des mots par la pointe des pieds sur un parquet ciré Développez Mademoiselle développez je n’en peux plus continuez je vous dis chassé croisé déboulé arabesque port de tête soyez fière d’être qui vous êtes si vous voulez devenir un rat, là-bas, à l’Opéra .

Assignation conclusions mémoire nonobstant preuves nemo auditur propriam turpitudinem allegans radiation péremption prescription jugement avant dire droit exécution provisoire sans droit ni titre nullité irrecevabilité départage de cujus  conciliation voie de recours délibéré incident sursis à statuer condamnation contrainte in limine litis signification appel cassation incompétence attendu que référé jour fixe minute ad hoc grosse déféré audience suspension ultra petita par ces motifs erreurs judiciaires erreurs judiciaires erreurs judiciaires

Aller chercher les mots pour respirer. Revenir à la source, aux origines, se libérer du connu, expérimenter. Se servir de mots simples, qui parlent Bon, Bio, Bien-être. Les offrir et les partager. Collectionner les gestes simples, les paroles vraies, les pensées pures, pour des temps à venir compliqués.

La danse des mots. Inventer des rituels en solitaire, à deux, à dix, à cent. L’envol des mots précieux. Danser, jusqu’à l’épuisement des corps, l’énergie des mots.  « Intelligence du corps entendue dans les deux sens qui doivent s’identifier : intelligence tout entière occupée par l’attention au corps et corps qui est intelligence parce qu’il mémorise toute l’histoire de la personne, parce qu’il perçoit en même temps tous les paramètres d’une situation, parce qu’il se situe dans l’environnement qu’il organise. En ce sens, l’intelligence première et fondatrice est celle du corps propre ; toutes les autres en sont dérivées. […] vider sa tête de tout projet autre que de laisser faire cette intelligence, abandonner nos soucis de comprendre et de gérer nos vies, descendre là où le changement se fera de lui-même, parce que nous laisserons faire […] » François Roustang La fin de la plainte

Danser la paix laisser le corps faire comme il peut avec l’impossible paix de l’esprit faire cessersesplaintes jusqu’à l’oublitemporairedumoi. Danser la paix aller à la rencontre de conflitsintérieurs les prendre àbraslecorps leur offrir plus qu’une voiede garage une belle et grande portedesortie faire de la place pourplusgrand plus vaste quesoi Danser la paix laisser l’énergie corporelle faire œuvresacrée à partir d’un corps quipense avantdeparler et dont le mouvement prendlaforme d’un humain qui se remplitd’humanité et nond’individualité Alorspeut-être ce corps quidanse quidanse et danseencore devient soudainementcomplètementindissociablement la paix qui se meut dans tous les possibles inexplorés d’une terrienneharmonie.

Accusation récusation, plainte demande irrecevable accusé levez-vous relaxe perpétuité exécution de la peine révocation du sursis infanticide féminicide meurtre assassinat viol coups et blessures volontaires la parole est à la défense agressions sexuelles excuses atténuantes aggravantes exemption casier judiciaire reconstitution aveu garde à vue isolement parloir complicité non lieu classement sans suite classement sans suite classement sans suite

On ne sait jamais vraiment qui écrit quoi. On ne sait jamais vraiment pourquoi on écrit.  Il n’est pas important de savoir qui écrit. Pour entendre le bruit des mots. Il est parfois vital d’écrire. Écrire sérieusement. Sans se prendre au sérieux .

Demain est un fantasme. C’est déjà tellement compliqué d’exister au présent. Vraiment. Le vrai présent, celui qui est en moi, avec moi. Autour de moi pendant que j’écris ces lignes. Des enfants jouent et rient dans la rue. Un chien aboie. Sur le téléphone mobile en surchauffe, défilent des nouvelles fraiches à l’heure d’une catastrophe caniculaire annnoncée : une femme aux cheveux blancs confirme qu’il est ILLÉGAL de payer plus de 1000 € en espèces attention au piège des objets connectés un certain Martin A. déclare que les chances d’une guerre avec échange nucléaire sont de 100% l’euthanasie est-elle un dispositif biopolitique un hypermarché va expérimenter le paiement avec la paume de la main un tournant démographique inédit avec plus de décès que de naissance en France pour la première fois depuis 1945 des tensions Thailande-Cambodge des protestations de masse dans plusieurs villes ukrainiennes contre une loi limitant les pouvoirs des organes anti corruption en Australie les femmes qui avortent tardivement reçoivent une prime de plusieurs milliers de dollars Israël Syrie le piège se referme la ceinture corallienne et les glaciers de l’Himalaya vont bien Israël prépare une offensive majeure contre le Yémen le Portugal et l’Espagne en tête des pays de divorcés un million de suicides annuels en Occident reconnaissance du soixante douzième miracle de Lourdes. Je veux bien croire aux miracles, reconnus ou pas, à ceux qui agissent dans l’ombre pour plus de lumière, à ceux que je vois, que je perçois quand j’observe ce qu’il se passe en moi. Autour de moi. Je veux bien contribuer dans l’instant présent aux miracles pour ce demain que je ne connais pas. Pour cet après-demain que je ne verrais pas.
 

*Le monde entier est une scène, hommes et femmes, tous, n’y sont que des acteurs, chacun fait ses entrées, chacun fait ses sorties, et notre vie durant, nous jouons plusieurs rôles. ( William Shakespeare)


 

A propos de Eve F.

Rédige des assignations et des conclusions, défend le veuf et l'orpheline, écrit sur le Droit et son envers, la Justice et ses travers, le bien-être et son contraire, les hommes et pas que, le bruit du monde et ses silences, aussi.

16 commentaires à propos de “#Recto Verso #14|Le monde entier est une scène*”

  1. « Je veux bien contribuer dans l’instant présent aux miracles pour ce demain que je ne connais pas. Pour cet après-demain que je ne verrais pas »
    Merci Eve pour ces vivifiantes archives !

  2. ..Merci Nathalie! exercice de haute voltige qui nous a été proposé… et sans filet, merci à toi.

  3. C’est beau parce que vrai. C’est ce que nous éprouvons tous dans ce monde qui brinquebale. C’est si bien dit et imagé. Merci Eve !

  4. Tes mots sont comme ces pas de danse , tu les chorégraphies en pas de deux ,,chassés, déroulés . Etre soi dans une actualité frontale et débordante . Écrire , un médium, une recette, un espoir ?

    • Ecrire? E cri re ?
      Merci pour tes passages chaleureux et qui donnent du baume au coeur.
      Que l’écrit..dure!

  5. Superbe(s) danse(s) de vie frôlant la catastrophe, la mort, une énergie, une joie malgré tout… j’ai beaucoup aimé aussi ce bousculement des mots qui se collent les uns aux autres… qui fait vivre dans les mots ce déséquilibre toujours à l’origine d’un mouvement… et merci aussi pour cette citation de François Roustang, dont l’œuvre est si inspirante

    • Merci à toi.
      Oui.. François Roustang .. un grand parmi les  » aidants » au mouvement de la vie :
      « la pratique de l’hypnose doit être comprise non comme mise en conformité mais comme mise en mouvement »

  6. Je peux ressentir cette même exaspération des chiffres… dépersonnalisation… Oui pour cette danse des mots, et pour la folie qui les prend par surprise à apaiser. Merci Eve