1. Cuisine — Osmoseur inversé
L’osmoseur inversé trône à gauche de l’évier comme un petit pancréas survolté. Il filtre tout, même les conversations, dit-on. Il fait croire à l’eau qu’elle n’a jamais vu de chlore, qu’elle n’a pas connu les tuyaux rouillés, ni les résidus de spaghetti rincés dans l’évier. L’eau sort pure, prétentieuse, maigre de souvenirs. On la boit avec un respect absurde, comme si elle avait lu Proust. Elle n’a pas de goût, c’est justement ça qui impressionne. Une absence nette, comme un yaourt nature qu’on aurait oublié d’ouvrir. Et quand on s’en sert pour le café, il prend une arrogance un peu grillée, comme du pain perdu qui aurait fait HEC. L’odeur ici c’est celle de la tomate qu’on coupe trop tôt, l’odeur verte-acide qui pique le nez et reste sur les doigts comme une promesse mal tenue. Il y a aussi des miettes, bien sûr, mais les miettes n’ont pas d’odeur, seulement un bruit quand on les écrase : crounch. Le crounch de la mémoire alimentaire.
2. Toilettes — Balai de chiottes
Le balai de chiottes vit dans une solitude morale. Toujours debout, le manche rigide, frisé de poils plastiques en bas, jamais invité à table, sauf par erreur. Il sait ce qu’il vaut : un nettoyeur d’intimité, un frotteur d’urgence. Son seau en plastique blanc cassé n’est jamais vraiment propre, mais il se veut discret. On ne le regarde pas dans les yeux — enfin, on n’en est pas loin. Quand il sort, c’est pour opérer : il tourne, il frotte, il plonge. Et il sent. Ah, il sent. L’odeur des toilettes, c’est celle d’un bouillon cube tombé derrière un radiateur : pas franchement alimentaire, mais ça flotte, ça insiste, ça dit « j’ai connu la soupe », mais la mauvaise. Une vapeur d’ail qui aurait pris l’avion en cabine. On pense parfois à une olive très mûre oubliée au soleil ou au fond d’un tiroir. On y pense malgré soi. Et puis il y a ce spray d’eucalyptus vanille qu’on a acheté par culpabilité. Il ne recouvre pas, il juxtapose. C’est une cacophonie de senteurs, comme une salade composée où tout est mauvais.
3. Débarras — Malle à vêtements anciens
La malle ne se ferme plus, elle bâille comme une vieille tante au réveil. En métal boursouflé, couvercle en simili, elle conserve des robes qu’on ne portera plus et des odeurs qu’on ne devrait pas garder. Elle sent le moisi littéraire. Le théâtre d’école, la naphtaline militante. On l’ouvre parfois, en quête d’un déguisement ou d’un passé romantique, et tout de suite c’est la vanille morte. Une vanille d’armoire, usée jusqu’à la corde, qui rappelle le flan de cantine en plastique mou. Et puis il y a le tweed humide. Le tweed a une odeur, oui : celle d’un champignon qui aurait fait carrière dans la biscotte. On retrouve parfois des gants en cuir sec qui sentent le pot-au-feu recuit dans le fond d’un sac. Le débarras n’est pas un endroit, c’est une digestion. Rien ne s’y jette, tout s’y rumine. On y respire comme on mange un bonbon oublié dans une poche : avec méfiance, mais un certain plaisir. Parfois, on éternue de nostalgie.
je crois qu’il y a une erreur de balisage Raymonde, c’est la proposition #09
Oui tout à fait merci de le relever
😉
(il y a une idée vanillée dans ces affaires-là) (balai de cabinets c’est plus joli non ? non, je dis ça pour la rachida de la com’) (rires du dimanche : merci !)
Merci pour la lecture et son commentaire dominical 😉