#rectoverso #08 | ulule & ambroise

Ulule c’est l’élagueuse de vigne vierge. Je la vois suspendue en apesanteur en un lieu où personne, d’habitude, ne s’aventure, elle se déplace où personne ne l’ose s’il veut rester vivant, ange accrochée à sa corde, elle monte, descend, en confiance totale avec ses cordes, son harnais, ses mousquetons, ses freins de corde, de ceinture, de pied, elle se balance, tente d’attraper le bord du mur, la branche à couper, les feuilles à garder. Ambroise dirait que c’est une sainte, une qui consacre sa vie à l’inhabituel, à l’inattendu et n’en démord pas. Ambroise sait comment on devient saint officiel, il se demande si être saint dans son coin, ça vaut la peine. Parce que ça n’est pas rien, passer sa vie suspendue, au risque de passer tête en bas, de dégringoler, de suivre vers le sol cette liane urbaine qui produit une quantité incroyable de matière organique et s’y écraser. Et ne pas le faire savoir, faire tout ça sans que le monde en ait écho, c’est très insuffisant, se dit Ambroise.

Du pavé de la cour, il me regarde comme s’il avait eu une apparition, pourtant je suis juste là, juchée sur le petit toit dix mètres au-dessus de lui. Je croise de temps en temps son regard éberlué, ses yeux curieux mais pleins de crainte. Il se demande comment je fais pour rester en équilibre, il a dû voir que j’ai trouvé un crochet pour agripper un mousqueton. Pour aller plus loin je ne pourrai pas utiliser l’échelle, pas assez de recul, elle basculerait, je passe par le toit, corde autour du pied de la cheminée, j’espère qu’elle n’est pas trop pourrie, harnachée je plonge dans le vide, il sursaute, se penche, veut voir comme fasciné par cette présence humaine si inhabituelle. L’ordre de mission dit suppression des parties de la vigne vierge qui se sont décrochés, quelques mots simples pour dire un fouillis de feuilles et de branches dans ce mur végétal, espace vertical, mon espace ; je m’y déplace vers le haut le bas à droite à gauche, parfois oiseau, je me sens ange, l’espace d’Ambroise est horizontal, il lui manque la disponibilité d’une troisième dimension, il vit plat. Et dans ce fouillis vert, se retrouver, repérer ce qu’il faut garder, ce qu’il faut couper, gérer la biomasse. Évacuation des déchets végétaux en décharge spécialisée dit aussi l’ordre de mission

A propos de bernard dudoignon

Ne pas laisser filer le temps, ne pas tout perdre, qu'il reste quelque chose. Vanité inouïe.

Une réponse à “#rectoverso #08 | ulule & ambroise”

  1. coexistence des deux espaces, l’un vertical et l’autre horizontal
    et t’as raison, c’est souvent comme ça dans la vie réelle ! on ne se rencontre pas facilement…
    on peut comprendre la nécessité d’inventer des modes transversaux sans être obligé de s’initier à la varappe !! Triste constat pour Ambroise… « il lui manque la disponibilité d’une troisième dimension, il vit plat. »
    Dis donc Bernard, tu es dur avec lui quand même !!