#rectoverso #15 | Cinquième symphonie


15- Quand on écrit les mots justes, la beauté elfique de ce bébé au berceau croisé au marché, une Diane dit la mère, on prend soin d’elle dit la mère, on peut se sentir soumis au jugement du lecteur à cause du mot « elfique ». Pourtant c’est le mot juste.

16- « Diane » vient donner sa force à l’elfe, prénom divin annonçant les temps de guerres à venir. Le retour de l’antique au présent.

17- Le saisissement des trompettes, cette marche funèbre de la 5ème de Mahler, funèbre et militaire : c’est maintenant, c’est la beauté de Diane.

18- C’est en l’écrivant que j’ai compris ce personnage : il avait faim, il avait des hallucinations, il attendait de sortir de l’Ehpad, il voulait se remarier.

19- Pendant qu’il s’affaiblit dans son lit métallique en rêvant encore, avec vue sur un silo solitaire au milieu de champs de blé coupé à perte de vue, la Beauce et son horizon, on voit que la terre est ronde dit ma soeur, comment ont-ils pu ne pas y penser plus tôt dit-elle, mais elle ne connait pas l’Histoire et personne ne sait qui a compris le premier, pendant ce temps Diane grandit.

20- Nous sommes tous au centre du monde, le silo l’étoile l’arbre abattu le grabataire le chant des altos le berceau le narrateur le vol d’oies sauvages et chaque oie et chaque œil de chaque oie et chaque pupille noire vigilante regardant les marais survolés le ciel sombre et l’océan à traverser.
Tout centre à écrire.

21- Si dans l’écriture du récit il y a résonance avec le « dit » conscient ou inconscient collectif, l’inquiétude ambiante, ou le « dit » phénomène de société, s’il y a cette résonance sans que le fait soit nommé, j’ai l’impression que c’est juste là qu’il faut écrire.

22- Cela n’empêche pas de rire.

23- Notre corps qui écrit est bien fragile. Profitons que les doigts trottent bien sur le clavier, remercions pour ce moment de paix où l’on aligne tranquillement des numéros, en cherchant à chaque retour à la ligne d’un petit coup sec sur la touche, La phrase, celle qui dirait le tout.

24- Et Mahler poursuit sa tragédie lyrique, passé des trompettes funèbres à l’immense adagietto des cordes sur socle d’arpèges de harpes, les voix parlent, racontent tout, racontent ce que c’est que d’être homme, de naître d’aimer de disparaître et comment dire quelque chose après cela ?

25- La crise frumentaire de 1788. Elle est toujours là. Les étudiants ont faim.

26- Pas la cinquième de Beethoven avec le destin qui frappe à la porte, ta ta ta taaaaa, ta ta ta taaaaa , l’heure de la Faucheuse, non le destin qui est là, qui s’accomplit à chaque instant, on est dedans, Mahler le dit, et continuons à aimer la terre.

27- Le personnage écrit à quelqu’un dont il ne connait pas l’adresse, un jour de grande Messe.

28- Il y a beaucoup de monde dit-il. Il écrit dans sa chambre : « Chère petite amie ».

29- Mahler c’est une cathédrale.

30- La messe à l’Ehpad était-elle dite dans le réfectoire ou dans la salle de télé ?

31- Après sa mort quelqu’un va lire la lettre. On sait que la destinataire, sa « copine » était un rêve. En existait-elle moins pour cela ? Elle était blonde avec de longs cheveux et cavalière. Une autre Diane ?

32- « Les mains sous la nuque à regarder le plafond ou les étoiles » : comment faisions-nous ? La station spatiale a dépassé la brillance de Vénus. Elle va vite. Les étoiles étaient fixes, se laissaient regarder.

33- Carte chance !

34- Si, ça arrive. Mais c’est parfois une petite carte. Un biscuit. Pas nécessairement un château.

35- Train omnibus, train Intercités, métro, TGV, car grandes lignes, car chérie FM :  l’œil sur l’ancien personnage.

37- Car Chérie FM, car grandes lignes, TGV, métro, RER : l’œil sur le nouveau personnage.

38- À quand les vacances ? Je ne parle pas des grandes vacances ni de la quille, je parle d’un ruisseau de montagne où s’abreuvent papillons noirs et grillons du soir.

39- Ah ! Voici un papillon jaune sur une fleur blanche, c’est le biscuit, la petite carte chance. Il n’y a plus de papillons sur le front de l’est, il n’y a plus de papillons en terre sacrée.

40- La petite était divine, « et encore plus belle quand elle a les yeux ouverts » a dit la mère, « quelle couleur ? », « bleu-gris », Ah bleu-gris… »

41- Des yeux bleu-gris.

42- Une Apparition entre les stands de lavande, de fromage, de pacotille et de nappes provençales.

43- Une mue de serpent la gueule ouverte et deux petites cornes, sur le seuil. Les animaux se rapprochent. On ne parle pas de la révolte des animaux, on ne veut pas regarder. Mais ils développent des nouvelles stratégies.
Certains s’arrangent en disant qu’une mue de serpent porte bonheur.
On dit que les éléphants en ont ras-le-bol, il se peut que les serpents aussi.

44- Sans doute qu’il reste des brèches pour les solitaires vagabonds ou chats sauvages, dans les rochers les dunes les forêts les zones industrielles les zones commerciales. Peut-on survivre en allant de brèche en brèche ? Un moment de vie dans une faille, un trou, un chantier abandonné, un champ : racontez. Le mat, le vagabond, le nomade peut-il être mat, vagabond, nomade ?
Le troupeau d’éléphants, non. La communauté, non.

45- À force de se faire discret pour exister, certains ne sauvent même pas leur peau.

46- Jusque-là les noyers les lierres les matous et les baroudeurs n’ont pas réussi à faire armée, encore moins à livrer une bataille.

47- « Car oui j’étais danseuse et mon corps se meut avec toujours en son for intérieur, si ce n’est visible en dehors, la grâce, le goût du geste déployé, la conscience de l’espace au bord de ma peau, la perception de l’air sec, humide, pollué, oxygéné, où je pourrais faire quelques sauts, quelques pas, virevolter, mon dos ne courbe jamais, je garde bien présents mes muscles mon sang mon architecture » : garder l’œil sur le troisième personnage, il est tonique, il est vivant, il est par là, il est partout.

48- La grande marche funèbre de la cinquième serait-elle prétentieuse pour la cérémonie de départ d’un petit personnage ? On n’oserait pas.  Pour l’antépénultième personnage le narrateur avait mis « Komm süßer Tod[1] » oubliant de traduire.

49-JonathanNott : Marche funèbre
https://www.youtube.com/watch?v=cHGJIrbeE6g&list=RDcHGJIrbeE6g&start_radio=1&t=292s
Myung Whun Chung : Adagietto
https://www.youtube.com/watch?v=75YmlDR92UQ&list=RD75YmlDR92UQ&start_radio=1

50- Uri Caine, pianiste jazz et compositeur : Marche funèbre Mahler 5e symphonie
https://www.youtube.com/watch?v=zDwT9Ye9i9c


[1] Viens douce mort.

A propos de Valérie Mondamert

J'anime des ateliers d'écriture dans les Alpes de Haute-Provence depuis 20 ans, (DU d'animateur en atelier d'écriture en 2006, à Marseille), je suis prof de musique et je mêle avec joie les deux fonctions. J'ai publié des récits.

6 commentaires à propos de “#rectoverso #15 | Cinquième symphonie”

  1. Cinquième ou première symphonie ? Je connais mal Malher mais j’entends très bien le troisième mouvement de la Symphonie No. 1 « Feierlich und gemessen, ohne zu schleppen » (« Solennel et mesuré, sans traîner ») il dure 10’39, je l’aime beaucoup, je l’ai même indiqué à mes enfants pour mes obsèques 😉 Je l’écoute par l’entremise de ton dernier fragment [50] c’est pourquoi ma question 5ème ou 1ère ?
    En tout cas, merci Valérie pour cette ouverture musicale qui m’ouvre grand la porte pour mon grand chantier ^^

    • Super cette réponse musicale! La marche funèbre de la première symphonie, 3e mvt est celle dont tu parles, un canon, superbe, sobre.
      La marche funèbre de la cinquième symphonie, 1er mvt est celle du texte. La question se pose pour un « petit » personnage, peut-on vraiment mettre celle-ci pour une cérémonie?
      J’ai refait les liens, j’espère que ça va marcher, sinon en tapant la symphonie et le chef..
      Merci de ta lecture! Et bon grand chantier!

      • Merci Valérie ! La fin de la marche funèbre [50] est plutôt surprenante. Je suppose que c’est la marque de fabrique du pianiste compositeur. Ce que ça donnerait si l’écriture partait ainsi en vrille ? Y a-t-il des « petits » personnages et des « grands » personnages ? Tout le monde a droit à la marche funèbre de Mahler !

  2. Partir en vrille dans l’écriture! Je n’aime pas, mais ça se fait.. J’aime comprendre et être comprise. Et la question du trop grandiose est liée pour moi à celle de trop d’ego, mais ta façon de remettre de l’égalité dans les personnages est évidemment LA question!

  3. j’attrape la 22- Cela n’empêche pas de rire…

    entendu hier cette citation quelque peu déformée de Nisargadatta Maharaj : « Quand je vois que je ne suis rien, c’est la sagesse.
    Quand je vois que je suis tout, c’est l’amour.
    Et entre les deux ma vie s’écoule … » …et à l’écoute distraite que je devais avoir à ce moment là j’ai cru entendre…  » et entre les deux ma vie c’est cool »! ah le poids des mots le choc de l’écho.*

    .. je me suis attachée à ces deux petites.. bien vivantes… sous tes doigts qui trottent sur le clavier…

  4. Merci Eve pour ta lecture et tes citations de sagesse. Joyeux « la vie c’est cool », j’aime!