
| écran noir | il pousse une porte capitonnée | une salle de cinéma clandestine | ses yeux étonnés | quelques personnes | pas plus de cinq ou six | regardent un cosmonaute marcher dans la rue | film dans le film | il s’assoit à côté de la fille | ivre | décoiffé | un manteau type drap de laine | beaucoup trop grand pour lui | les épaules flottent dedans | échange de regards | son visage à lui | son visage à elle | le film qu’ils regardent | le cosmonaute continue sa lente exploration urbaine | il semble lutter contre la gravité | un chien passe près de lui en aboyant | le personnage continue d’avancer | comme lesté d’enclumes | il sourit | il lui parle | il se penche vers elle | il parle | elle sourit | s’excuse pour son accent | absurde se dit aussi absurd en anglais | elle rit | il ne parle pas allemand | les fossettes un peu crispées | tourné vers le film | qu’on ne verra plus désormais | que dans leur regard | il fait mine de se concentrer | mais c’est elle qu’on voit dans ses yeux | elle | dans le hors-champ | il se penche | son visage est plongé dans le noir | on ne peut que l’imaginer | mouvante | dans la pénombre du film | scène de nuit | sans doute | sur écran noir | ils sourient | ils se lèvent | on suit leur corps longiligne | qui se faufile hors de la salle | comme un seul homme | ou une seule femme | son d’électro minimaliste et fort | trop fort | pour pouvoir les entendre | ils se regardent | son visage à elle | diaphane | belle et anachronique | lui a l’air d’un enfant malade avec son manteau ample | il titube | on sait qu’il a bu | il se dirige vers le bar | il commande deux verres de vin | elle rit de sa maladresse | passe sa main sur ses lèvres rouge | ils ne parlent plus | ils boivent leur verre rapidement | derrière lui on voit la porte capitonnée s’ouvrir | c’est elle | qui lui prend la main | ils retournent dans la salle de cinéma | générique de fin à l’écran | décidément on ne verra plus le cosmonaute | la salle est vide | ils montent le plus haut possible | s’assoient | on n’entend plus que le son de leur respiration | ils s’embrassent | ils s’emparent l’un de l’autre | plan resserré sur leur étreinte | retour au bar | un autre homme apparaît | regard anxieux | néons fluorescents | il cherche quelqu’un dans la foule | on voit des gens danser | bref échange avec le barman | qui lui désigne la porte capitonnée | il entre | plan large sur la salle de cinéma | on devine le personnage féminin à moitié dénudé | de dos | à califourchon sur lui | long plan fixe sur l’homme qui se tient dans l’embrasure de la porte | deux secondes | c’est tout le regard qu’il a sur l’action | tous nos regards | qui se cristallisent | en deux secondes | dans le sien | sur son visage | inquiet | pour ces deux-là |
J’aime beaucoup l’effet de surimpression qu’il y a dans ce texte, chevauchement du film, de la salle de cinéma, du couple, de la musique, du bar… un film dans le film.